Loin de mettre les contrôleurs dans une situation de contrôlés, il s’agira, pour mieux
garantir leur indépendance et par ricochet renforcer la relation de confiance entre la Cour et les
citoyens, d’élaborer des normes professionnelles (sous-section 1), mais aussi de se livrer au
contrôle de leurs pairs (sous-section 2).
33 Sy Aboubakry, La transparence dans le droit budgétaire de l’Etat en France. LGDJ, 2017, p.332-333
35
Sous-section 1. L’élaboration de normes professionnelles applicables aux magistrats de la
Cour des Comptes
La Cour des comptes, composée de magistrats et d’agents de différents corps de
l’administration qui s’occupent de tâches administratives dispose d’un règlement intérieur qui
régit les droits et devoirs de ses membres.
Ce règlement intérieur, prévu par l’article 8 de la loi organique relative à la Cour, doit
être pris par arrêté par le Premier Président après délibération des chambres réunies.
Cet article, in fine, dispose que le Premier Président a en charge les relations avec les
institutions supérieures de contrôle des finances publiques et leurs groupements associatifs,
dont l’organisme supérieur est l’Organisation internationale des Institutions supérieures de
contrôle des Finances publiques (INTOSAI).
Cette organisation a élaboré en son sein un guide sur la bonne gouvernance (destiné à
fournir des conseils aux services publics sur la bonne administration des fonds publics), mais
aussi les principes fondamentaux de contrôle avec le développement de normes ISSAI.
35Parmi ces normes, la norme ISSAI 20 prévoit que les Institutions supérieures de contrôle
adoptent des normes d’audit, des procédures, et des méthodes à la fois objectives et
transparentes.
Ainsi, la Cour des comptes du Sénégal, à l’instar de son homologue français qui a
élaboré un recueil des normes professionnelles, accompagné d’une charte de la déontologie,
conformément à l’article 38 de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011, devrait se mettre à
niveau et élaborer à son tour en sus du règlement intérieur, un recueil de normes applicables
aux magistrats afin de satisfaire quatre objectifs :
« - décrire le déroulement des travaux de la Cour (…) dans tous les aspects significatifs ;
- offrir des développements méthodologiques nécessaires et suffisants pour permettre leur
compréhension par ceux qui réalisent les travaux, ceux qui sont sollicités à ce titre et
ceux à qui les résultats de ces travaux sont destinés ;
- respecter une organisation identique et une présentation homogène ne comportant pas
de renvoi à des textes ou des outils internes ;
36
- former un ensemble autonome et cohérent avec les normes internationales d’audit des
institutions supérieures de contrôle « dictées par l’INTOSAI ».
36.
« Ces normes exposent et déclinent les principes propres à garantir un déroulement efficace
et efficient des travaux de la Cour (…). Elles constituent un cadre de référence permettant une
réalisation raisonnablement diligente du travail d’instruction et formalisent de manière
transparente les conditions nécessaires à l’obtention de décisions étayées. »
37La mise en œuvre de ces normes professionnelles au sein de la Cour des comptes,
accompagnée d’une charte de déontologie qui « fixe les valeurs et les principes qui s’appliquent
aux magistrats, aux conseillers maîtres et référendaires en services extraordinaires, aux
rapporteurs extérieurs et aux conseillers experts notamment en ce qui concerne l’indépendance,
la neutralité, l’intégrité, la préservation de la confidentialité et des différents types de secret, la
préservation des conflits d’intérêts et les activités extérieurs »
38, va sans doute encadrer la vie
professionnelle des magistrats qui doivent chaque fois se poser les bonnes questions sur leur
manière de conduire leurs instructions, face à la prise de conscience citoyenne et aux besoins
de transparence de plus en plus développés.
En même temps aussi, elles constituent une condition de légitimité et de valeur ajoutée des
publications des rapports de la Cour.
Sous-section 2.La mise en œuvre d’un contrôle par les pairs
Avec la diversification des compétences de la Cour des comptes, dans le temps, l’idée
de soumettre cette dernière à des contrôles a commencé à se concrétiser dans certains pays,
pour apprécier, mais surtout s’interroger sur la manière dont elle-même utilise les deniers
publics dans le cadre de son fonctionnement et du suivi des recommandations qui lui sont faites.
Dans le cadre, la Cour pourrait être soumise à trois types de contrôles.
Premièrement, par le Parlement, qui au travers du programme budgétaire fixera des
indicateurs de performance.
Deuxièmement, par une démarche volontariste reposant sur une soumission à une
évaluation externe dénommée « revue par les pairs »
39, qui est une pratique assez générale, à
36 Avant-propos du recueil des normes professionnelles de la Cour des comptes française.
37 idem
38 ibidem
37
laquelle la Cour des Comptes européenne s’est déjà soumise pour évaluer en fonction des
normes internationales la manière dont elle s’acquitte de ses missions.
Dans cette même logique, la Cour des comptes française a ouvert ses portes en 2012 au
tribunal des comptes du Portugal et au Bureau national d’audit de Finlande pour évaluer son
organisation et ses procédures. En 2010 et 2013, elle a fait appel au Contrôle fédéral des
finances de la Suisse pour évaluer l’organisation et le fonctionnement des ses systèmes
financiers d’information.
Troisièmement, la Cour pourrait adopter une démarche d'audit, assurée par des experts
désignés par le conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables ou une agence
indépendante.
40Il est vrai que le passage du contrôleur qui est la Cour, au contrôlé sous nos tropiques
n’est pas chose aisée, parce que les velléités de résistance, quant à la publication des
recommandations formulées et du niveau de suivi de ces dernières peuvent être tenaces et ce
d’autant plus que dans ce cas, le contrôleur sera le seul à sélectionner les principales
recommandations à publier.
Force est cependant de préciser que la gestion budgétaire et financière de la Cour ne
soulève pas de grandes difficultés, même si la transparence de ses comptes est sans doute plus
incertaine, alors même que la Cour est financée par l’argent public.
38
CONCLUSION
S’il y a en France, une institution qui a su traverser le temps, voire les temps et même
les temps difficiles, et notamment les temps politiques, c’est bien la Cour des comptes, créée
par la loi du 16 septembre 1807 par le Premier Empereur.
Cent quatre-vingt-douze ans après (en 1999), le Sénégal, plutôt que d’inventer une
autre, a préféré adopter cette institution si ancrée dans les mœurs administratives françaises,
dans son architecture institutionnelle, en la constitutionnalisant pour mieux marquer son rôle
primordial dans la vie publique.
En effet, cette institution a pour rôle d’assurer à la fortune publique sa véritable
destination, pour éloigner du pouvoir exécutif tout soupçon de corruption ou de prodigalité, et
lui faire bénéficier ainsi de la confiance dont il a besoin de la part des citoyens.
Pour ce faire, il est nécessaire que le pouvoir justifie rigoureusement de l’emploi des
subsides qui lui sont accordés, et que la plus grande publicité soit donnée aux résultats de la
vérification des comptes rendus par ses agents.
Ces vœux formulés supra ne peuvent être atteints que lorsque l’institution supérieure se dote de
moyens matériels, financiers et humains considérables.
Or, à ce niveau, la situation de la Cour n’est pas reluisante, car ne disposant que de vingt
et un magistrats et pas de siège fonctionnel, alors qu’à l’inverse, son périmètre de compétence
s’est très largement étendu, partant de l’assistance du gouvernement et du Parlement, à
l’évaluation des politiques publiques en passant par les contrôles non juridictionnels et
juridictionnels.
Si aujourd’hui, personne ne conteste son expertise, force est de reconnaître qu’elle ne
peut que seulement présenter des critiques aux pouvoirs publics et les éclairer sur les
conséquences de leurs choix.
Cette limite objective laisse penser que la Cour n’a pas encore épousé son temps. En
effet, les évolutions actuelles du contrôle des finances publiques voudraient que la Cour
s’investisse davantage dans le contrôle de tous les organismes publics ou privés bénéficiant du
concours financier de l’État et que ses recommandations soient suivies à la lettre pour le bien
de tous.
39
Elle doit aussi intégrer dans ses contrôles, toutes les institutions constitutionnelles de la
République qui lui échappent délibérément, à commencer par la Présidence de la République
et l’Assemblée nationale qui doivent servir d’exemple, pour éclairer davantage le trio, citoyen,
usager et contribuable, de l’utilisation et de la destination des ressources publiques qu’elles
gèrent.
Ainsi, ce contrôle permettra non seulement de suivre la traçabilité des deniers publics,
mais aussi de mettre fin à ce débat malsain qui pollue l’atmosphère du débat politique sur
l’utilisation, la destination et la légalité des fonds politiques ou secrets, dont disposent certaines
institutions.
Il est vrai, qu’une telle réforme, aura bien des difficultés à être mise en place, car ceux
qui seront chargés d’en définir les contours à savoir, la Présidence de la République et à travers
elle le Gouvernement d’une part et les parlementaires d’autre part sont concernés au premier
chef par cette réforme qui dépasse largement les seuls enjeux de la loi de finances pour toucher
à la transparence de la gestion publique.
Cette transparence, devenue de nos jours une exigence citoyenne, doit conforter les
pouvoirs publics à engager des réformes allant dans le sens de préserver les finances publiques
de tout acte de prévarication.
Ainsi, est-il utile de rappeler qu’il ne sert à rien, d’assister le Président de la République,
le Gouvernement et l’Assemblée nationale dans l’exécution des finances publiques, si au final
les recommandations formulées par la Cour n'étaient suivies d’aucun effet.
À quoi sert d’évaluer des politiques publiques si aucune restructuration organique ou
fonctionnelle des structures contrôlées, ne sera envisagée par les autorités compétentes après
lecture des mesures correctrices proposées dans les rapports ?
À quoi bon, élargir davantage les compétences de la Cour vers la certification des
comptes si cette dernière se voit opposer un refus catégorique de pénétrer dans les locaux de
certaines structures afin d’y disposer des instruments d’analyse, malgré le fait que les
magistrats disposent d’importantes prérogatives pour les besoins de l’instruction, avec un droit
d’accès permanent dans les bureaux, les locaux et dépendances des organismes contrôlés ?
L’épisode des magistrats de la Cour des comptes chassés des locaux d’un ministère est
encore vivace dans les esprits des Sénégalais, sans qu’aucune sanction ne soit prise à l’ encontre
40
du ministre concerné, alors même que ce contrôle faisait parti du plan de contrôle de la Cour
pour l’année 2016.
Cette méprise inqualifiable des membres de cette prestigieuse institution n’aurait jamais
dû arriver dans une démocratie qui se respecte et où la culture de la reddition des comptes est
ancrée dans les mœurs administratives et surtout érigée en principe cardinal.
Pour arriver à ce stade, il au aujourd’hui urgent, que la démonstration par l’exemple en
soit le modèle achevé. Et cela passe obligatoirement par les présidents des institutions
constitutionnelles, par devoir et par responsabilité.
Etant donné qu’il ne peut exister un État sans finances, et qu’il est aberrant d’envisager
des finances sans contrôle adéquat, la question fondamentale qui mérite d’être posée reste de
savoir jusqu’à quel niveau les autorités sont prêtes à libérer la Cour ?
41
BIBLIOGRAPHIE
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Rapport publics de la cour des comptes du Sénégal
Rapport public 2011
Rapport public 2013
Document
Enquête sur le budget ouvert 2017/ Sénégal
Discours
Migaud Didier, Premier Président de la Cour des comptes française, intervention à l’occasion
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43
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Loi n° 2011-15 du 8 juillet 2011 portant loi organique relative aux lois de finances.
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99-70 du 17 février 1999 sur la Cour des comptes.
Décret n°2011-1880 du 24 novembre 2011 portant règlement général sur la comptabilité
publique.
Décret n°2013-1449 du 13 novembre 2013 fixant les modalités d’application de la loi organique
n°2012-23 abrogeant et remplaçant la loi organique n° 99-70 du 17 février 1999 sur la Cour des
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Site internet
Sané Youssouph, La décentralisation au Sénégal, ou comment réformer pour mieux maintenir
le statu quo, disponible sur http://journals.openedition.org/cybergeo/27845, consulté le
11/04/18
Dans le document
Master spécialité Administration et finances publiques
(Page 34-43)