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Les nouvelles missions des juridictions financières

Contrairement à la loi organique de 1999, celle de 2012, en son article 31, prévoit

l’évaluation des politiques publiques (section 2), mais ne fait aucunement mention de la

certification des comptes (section 1), qui apparait comme une réelle innovation concernant

l’évolution des missions des institutions supérieures de contrôle des finances publiques.

Sous-section 1. La certification des comptes

Mission non juridictionnelle, destinée à assurer la régularité, la sincérité et la fidélité

des comptes, la certification des comptes, même si elle n’est pas encore entrée dans les mœurs

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de la juridiction financière sénégalaise, devrait constituer une réelle innovation dans l’évolution

des missions de la Cour des comptes en matière budgétaire et comptable.

Contrairement au Sénégal, l’article 58-5 de la loi organique française n° 2001-692 du

1

er

août 2001 relative aux lois de finances, dispose en effet que la Cour des comptes a pour

mission la certification de la régularité, de la sincérité et de la fidélité des comptes de l’État.

Ainsi, selon Bertrand Huby, cette formulation retenue par le législateur, montre que

celui-ci a entendu faire expressément référence au processus de certification des comptes des

entreprises privées tel que le prévoit en France le code de commerce

28

. Et la Cour a, d'ailleurs

retenu, dans un premier temps, cette référence comme cadre général de sa mission, après avoir

précisé que les spécificités des comptes de l’Etat devraient naturellement être prises en

comptes

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La certification des comptes est conçue comme « une opinion écrite et motivée que

formule, sous sa propre responsabilité, un organisme indépendant sur les comptes d’une entité.

Elle consiste à collecter les éléments nécessaires à l’obtention d’une assurance raisonnable sur

la conformité des états financiers, dans tous leurs aspects significatifs, à un ensemble de règles

et de principes. »

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Elle participe malgré ses limites techniques, fonctionnelles et institutionnelles, à la

qualité des comptes de l’État et donne au parlement des informations sur la situation financière

et patrimoniale de l’État ainsi que sur les résultats de sa gestion.

Ainsi, en procédant à la certification, le certificateur, a la possibilité d’exprimer quatre

types d’opinion qui se conçoivent comme suit :

- certification sans réserve : il ne subsiste aucun désaccord ou les désaccords relevés ne

sont pas significatifs à l’issue des vérifications effectuées ; le certificateur n’a pas été

limité dans ses vérifications.

- certification avec réserves : le certificateur a identifié des limitations ou désaccords,

mais ceux-ci ne sont pas suffisants pour l’empêcher d’émettre une opinion ou remettre

en cause la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes.

28 Article L. 225-235 du code du commerce qui dispose que « les commissaires aux comptes certifient que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la société à la fin de cet exercice.

29 Huby Bertrand, la certification des comptes, l’Harmattan 2010, p 54

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- impossibilité de certifier : le certificateur indique que l’accumulation de limitations est

trop importante et l’empêche d’émettre une opinion.

- refus de certifier : dans ce cas, les limitations et désaccords sont tels qu’ils entachent la

sincérité, la régularité et l’image fidèle des comptes de l’État.

Malheureusement, pour le Sénégal, la Cour des comptes, aujourd’hui, ne doit se limiter qu’à

la déclaration générale de conformité entre les comptes des ordonnateurs et ceux des

comptables publics conformément à l’article 50 de la loi organique relative aux lois de finances,

en vue de l’adoption de la loi de règlement.

Cette déclaration de conformité, très loin de la démarche de certification, trouve son origine

selon Abdourahmane Dioukhané « dans le principe de la séparation des ordonnateurs et des

comptables avec les deux séries respectives d’écritures que comporte la comptabilité de l’État.

Celle des ordonnateurs qui constatent la mise en recouvrement des recettes et l’ordonnancement

des dépenses, et celle des comptables qui constatent les recouvrements et les paiements

correspondants, et l’exécution des opérations de trésorerie qui sont de leur seule

responsabilité ».

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Conçue de la sorte, elle ne permet à la Cour que de procéder à des rapprochements entre les

comptabilités des ministres et celles des comptables publics afin d’en dégager la conformité.

Et d’ailleurs, un examen des rapports publics annuels de 2011 et 2013 comportant la

mention : « la cour n’est pas en mesure de déclarer conformes les comptes de gestion des

comptables de L’État et la comptabilité de l’ordonnateur », prouve à suffisance les difficultés

qu’elle rencontre pour arriver à cette déclaration de conformité.

Aujourd’hui, il est nécessaire, pour la Cour, de tendre vers la certification des comptes,

si elle veut jouer pleinement son rôle d’assistance des pouvoirs publics qui doivent le lui

faciliter par la production des comptes réguliers, sincères et fidèles, ce qui au regard des

rapports sus évoqués n’est pas encore acquis.

Cette situation ne permet ni le renforcement du contrôle démocratique ni le

renforcement des garanties offertes aux financeurs de l’État pour l’accès aux ressources. Elle

ne favorise pas aussi l’acquisition de leviers efficaces pour mobiliser les différents acteurs du

chantier de la fiabilisation des comptes et au final optimiser leur organisation interne et leurs

procédures pour tout ce qui touche aux finances.

31 Dioukhané Abdourahmane, Les finances publiques dans L’UEMOA : le budget du Sénégal, L’Harmattan 2015, p. 246-247

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Sous-section 2. L’évaluation des politiques publiques

Avec l’entrée en vigueur de la loi organique n°2012-23 du 27 décembre 2012, abrogeant

et remplaçant la loi organique n° 99-70 du 17 février 1999 sur la Cour des comptes, cette

dernière se voit ainsi s’ajouter une nouvelle dimension à son rôle d’assistance du Président de

la République, du gouvernement et du Parlement : une mission d’évaluation des politiques

publiques, mission tout aussi non juridictionnelle.

En effet, l’article 31 in fine de la loi précitée dispose que « sans préjudice des

dispositions du dernier alinéa de l’article 30 de la présente loi organique, la Cour évalue les

politiques et programmes publics. Elle peut, aussi vérifier la mise en œuvre des dispositifs

d’évaluation des projets et programmes soumis à son contrôle et en apprécier les résultats ».

Désormais, avec ces dispositions, les missions de la Cour se présentent sous une

quadruple forme : l’assistance aux deux autres pouvoirs, le contrôle juridictionnel, le contrôle

ou l’examen de gestion et l’évaluation qui présente une ambition plus soutenue que celle d’un

contrôle de gestion classique. Il s’agit désormais d’apprécier la pertinence des politiques

publiques par rapport aux objectifs (notion d’efficacité), aux moyens (notion d’efficience), et

aux besoins (notion d’utilité) qui leur sont assignés, ce qui ne veut pas dire leur opportunité.

Ainsi, la Cour des comptes, pour évaluer les politiques publiques doit accepter un

positionnement moins prétorien que celui que lui vaut sa fonction juridictionnelle, en

conservant la possibilité de réaliser des évaluations de politiques publiques inscrites à sa seule

initiative dans son programme de travail. Son indépendance en tant que juridiction est un atout

pour la qualité du travail d’évaluation.

Pour l’efficacité de sa mission, elle doit « choisir les projets évaluables qui respectent

certains critères : produire des effets mesurables, être de taille intermédiaire, correspondre à

une ancienneté moyenne, présenter des enjeux significatifs et être d’une complexité

raisonnable ».

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Une tâche, qui ne semble pas très aisée pour elle, dans la mesure où c’est le pouvoir

politique qui arrête les objectifs, met les moyens, définit l’utilité et de surcroît, attache peu

d’importance aux recommandations formulées par l’institution de contrôle qui doit désormais,

pour marquer son empreinte, introduire dans son rapport annuel, le principe du suivi des

32 HAYEZ Philippe, la cour des comptes « du contrôle à l’évaluation », Revue française d’administration publique n°155, 2015, p.707-7011

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recommandations formulées dans le rapport de l’année précédente et en faire une véritable

publicité au niveau des partenaires financiers de l’État, mais aussi de la société civile.

Car il demeure évident que l’appréciation des politiques publiques ne peut être objective

qu’avec la Cour des comptes pour une raison évidente : elle n’interviendra ni comme juge, ni

comme, un contrôleur, mais plutôt comme un conseiller impartial, dont les conclusions doivent

servir aux décideurs politiques comme une aide à la décision, qu’ils doivent prendre en

considération pour les programmes futurs.

L’évaluation des politiques publiques apparaît ainsi comme l’un des grands chantiers

actuels de la Cour, qui lui permettra d’améliorer sa contribution à l’accomplissement de sa

mission constitutionnelle d’information des pouvoirs publics et des citoyens.

C’est une mission lourde qui requiert des magistrats et des assistants de vérification une

bonne formation, mais aussi et surtout la maîtrise de certains outils d’évaluation comme

l’analyse coût-avantage et l’analyse comparative des risques, surtout financiers qui permettent

d’isoler la meilleure option et apparemment de prendre la meilleure décision.

Mieux, la mise en place d’une « chambre exclusivement dédiée à l’évaluation des

politiques publiques afin notamment, de marquer la nette différence entre cette mission et les

autres,

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sera la bienvenue à côté des cinq autres chambres (affaires budgétaires et financières,

affaires administratives, collectivités locales, entreprises publiques et discipline financière) que

compte la Cour.

À défaut, l’option « d’une approche plus transversale, avec, dans chaque chambre, un

volet évaluation des politiques publiques »

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, permettra un partage de l’information entre les

chambres.

Section 2. La mise en place au sein de la Cour des comptes d’un dispositif

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