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Chapitre 1 Les fondamentaux de l’évaluation

2. L’évaluation dans le domaine de la santé

2.1. L’émergence progressive de l’évaluation dans le secteur de la santé

2.1.2. La mise en place d’agences spécialisées

A partir des années 1980, plusieurs agences ont été créées, principalement en réponse aux crises sanitaires, afin d’une part, de renforcer l’expertise et la gestion des risques sanitaires, et d’autre part, de séparer les niveaux d’expertise et de décision (Benamouzig et Besançon, 2007). La naissance des agences chargées de missions d’évaluation s’inscrit dans ce mouvement.

2.1.2.1. Dans le domaine des soins

Créée en 1990, l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (ANDEM) est focalisée sur l’évaluation des techniques et stratégies médicales. Elle s’appuie sur les sociétés scientifiques et les groupes professionnels avec qui elle a développé un ensemble de méthodes et de recommandations pour la pratique clinique ainsi que des démarches d’évaluation de la qualité des soins dans les établissements et en médecine libérale.

En 1996 l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES) reprenait, dans une version élargie, les missions de l’ANDEM pour la partie évaluation. En matière d’accréditation, elle a construit et validé des méthodes et des référentiels pour l’accréditation des établissements.

Créée par la loi n°2004-810 du 13 août 2004, la Haute autorité de santé (HAS) succédait à l’ANAES. Instance d’expertise scientifique, consultative et indépendante, sa création relevait d’un triple objectif : améliorer la qualité des soins, renforcer les liens avec tous les acteurs du

système de santé et garantir la transparence de l’information médicale. Elle évalue l’utilité médicale des médicaments, les dispositifs médicaux et actes professionnels, coordonne les dispositifs d’évaluation et d’amélioration de la qualité des pratiques et des soins.

Bien que l’évaluation d’actions ou programmes de prévention figure dans ses missions, cette évaluation est centrée sur « l'opportunité de mettre en place des actions ou de modifier des programmes existants et d'en préciser les modalités afin d’émettre une proposition (la recommandation en santé publique) destinée en premier lieu aux décideurs publics (…) les recommandations en santé publique privilégient l’approche populationnelle des problèmes de santé appréciant le rapport bénéfices/risques des différentes interventions possibles à l’échelle de la population et intégrant de façon habituelle une évaluation économique et organisationnelle14 ». La HAS intervient plutôt en amont de la mise en place d’interventions, s’intéressant plus spécifiquement à leur pertinence au regard des données scientifiques ou encore au rapport bénéfices/risques ; elle peut également analyser des modes d’organisation du système de santé (Scemama and Rumeau-Pichon, 2009). Sa méthode de travail qui s’appuie sur l’analyse de la littérature et les avis d’experts, se différencie de la démarche d’évaluation de politiques publiques.

2.1.2.2. Dans le domaine de la santé publique

Le domaine de la santé publique est le terrain d’intervention de plusieurs organismes en matière de l’évaluation, certains ayant des missions formelles et exclusives, d’autres exerçant l’évaluation de façon plus marginale.

Le Haut conseil de la santé publique

Instance d’appui à la conception et à l’évaluation des politiques et stratégies de prévention et de sécurité sanitaire, le Haut conseil de santé publique (HCSP) est chargé depuis la loi du 9 août 2004, d’évaluer la politique de santé. A ce titre, il dispose d'une commission « évaluation, stratégie et prospective » qui réunit l’expertise nécessaire pour la réalisation des travaux15. Elle

14 http://www.has-sante.fr/portail/jcms/fc_1250012/fr/sante-publique-et-organisation-des-offres-de-soin, consulté le 22 juillet 2014 15 http://www.hcsp.fr/Explore.cgi/groupe?clef=62 .

comprend vingt membres dont les directeurs généraux ou représentants des cinq agences16 les plus concernées. Depuis sa création, le HCSP a réalisé l’évaluation de l’atteinte des objectifs nationaux de santé publique ainsi que l’évaluation de plusieurs plans et programmes nationaux. Par ailleurs, il apporte un soutien méthodologique à l’élaboration de l’évaluation de plans en cours. Bien que ses missions soient distinctes de celles de la HAS, des « zones de recouvrement » existent sur des thèmes, tels que le dépistage ou la vaccination, mais le travail du HCSP a une dimension plus politique (Perret, 2009b).

Après quelques années de fonctionnement au cours desquelles une méthode de travail a progressivement été construite, la commission spécialisée a entamé une réflexion sur la démarche et les méthodes utilisées. En 2011, devant le nombre important de plans ou de programmes nationaux de santé susceptibles d’être évalués, le Haut Conseil de santé publique a souhaité se doter d'un outil d’aide à la décision pour la sélection des travaux d’évaluations. A sa demande, une étude a été réalisée avec l’appui d’un groupe d’experts (Deumelemeester and El Khoury, 2011) aboutissant à la mise à disposition d’une grille d’appréciation de l'évaluabilité des interventions. L’utilisation de cet outil permet de faciliter les échanges avec les promoteurs de l’évaluation pour formuler les questions évaluatives et identifier les méthodes appropriées pour y répondre mais elle peut aussi trouver des applications auprès des concepteurs des plans et programmes, en tant que levier d’amélioration de la qualité des programmes. En effet, ce travail montrait que les plans/programmes étaient rarement étayés par une logique d’intervention et que leur structuration n’était pas de nature à permettre leur évaluation. Par ailleurs, quelques principes méthodologiques et déontologiques, inspirés de la charte de la Société française de l'évaluation, étaient soumis à la réflexion de la commission du HCSP, notamment, l’association des parties prenantes à l'évaluation comme moyen d'appropriation des résultats et de contribution à une meilleure utilisation de l'évaluation. Depuis, deux séminaires de réflexion sur les méthodes ont été tenus au sein de l’audience élargie du HCSP.

L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé

L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) créé également par la loi d’août 2004 n’a pas une mission explicite d’évaluation mais développe quelques actions

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Institut de veille sanitaire, Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, Institut national de lutte contre le cancer, Haute Autorité de santé.

dans ce domaine (Guilbert et al. 2009). Cependant, promouvoir la recherche de données probantes et l’élaboration de stratégies adossées aux connaissances scientifiques fait partie de ses objectifs. Ainsi, la direction des Affaires scientifiques17 réalise, au sein de son département « Evaluation et expérimentation », des évaluations scientifiques d’efficacité sur les actions qu’il porte, expérimente et évalue de nouvelles formes d’actions potentiellement efficaces, développe une expertise sur les méthodes d’évaluation d’interventions. Ce département encourage le développement de la démarche « évaluation action », qui intègre l’évaluation à l’action, démarche utilisée à l’INPES, pour évaluer les diverses actions réalisées en son sein.

L’INPES contribue à la qualification des acteurs de la promotion de la santé avec la diffusion de matériaux pédagogiques : guide d’autoévaluation de la qualité, guide adapté du guide suisse Outil de catégorisation des résultats (Inpes, 2010). La promotion de ces outils a été accompagnée de formations relayées par les pôles de compétences régionaux en éducation pour la santé auprès des professionnels de terrain.

L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS)

Les organismes de contrôle, Cour des comptes et IGAS, sont mandatés régulièrement seuls ou conjointement à d’autres organismes pour réaliser des évaluations.

L’IGAS est régulièrement saisie pour des évaluations de plans (Plan National Nutrition Santé, évaluation des mesures du Plan Cancer 2003-2007 relatives au dépistage et à l’organisation des soins), de politiques (soutien à la parentalité, prise en charge du diabète), de dispositifs (dispositif médicosocial de prise en charge des conduites addictives, financements des médicaments). Elle réalise parfois ces évaluations en complément des travaux conduits par le HCSP (évaluation du Plan Cancer, PNSE2), son périmètre étant généralement délimité par les questions relatives à la mise en œuvre et à l’utilisation des fonds. Certains travaux (Daniel et al., 2006) procèdent d’une forme hybride, traduisant « l’évaluation comme prolongement du contrôle » (Perret, 2009b).

Il n’est pas rare que plusieurs expertises ou évaluations soient demandées sur le même objet. L’exemple du Plan Cancer 2003-23007 est illustratif de la dispersion des commandes : le HCSP était saisi pour l’évaluation de l’impact du Plan ; l’IGAS évaluait les mesures du Plan relatives au dépistage et aux soins ; la Cour des comptes étudiait le degré de réalisation des mesures. Bien que les segments d’évaluation attribués aux différents organismes soient

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adaptés à leur périmètre de compétences et permettent de distinguer la spécificité des apports de chacun, la coordination est parfois insuffisante. A l’instar de ce qui a été observé dans les autres secteurs de politiques publiques (Jacob et Varone, 2004), l’existence de dispositifs concurrents entre plusieurs types d’acteurs souhaitant demeurer présents sur la scène de l’évaluation démontre à quel point l’évaluation est perçue comme un enjeu d’influence (Perret, 2009b).

2.1.2.3. Dans le champ médicosocial

L'Agence nationale de l'évaluation de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) créée en 2007 a pour mission principale d’accompagner les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) dans la mise en œuvre de l’évaluation interne et externe, instituée par la loi du 2 janvier 200218 qu’ils sont tenus d’effectuer pour le renouvellement de leur activité. Pour cela, l’Agence produit des procédures, références et recommandations sur les pratiques professionnelles et sur l’évaluation, de même qu’elle habilite les organismes chargés de l’évaluation externe.

L’évaluation dans ce domaine est une forme assez inédite dans la mesure où elle combine une évaluation interne, réalisée par les établissements eux-mêmes, proche de la démarche qualité et une évaluation externe ouvrant la voie à une forme d’accréditation.

Les autres agences sanitaires (Institut national de veille sanitaire, Institut national du Cancer par exemple), du fait de leur expertise et de leur capacité de synthèse de connaissances, contribuent à l’évaluation en fournissant des données.

La création d’agences spécialement missionnées pour l’évaluation a contribué à une plus grande visibilité et reconnaissance de l’exercice, favorisé la structuration de l’évaluation, tout particulièrement dans les domaines du soin et du médicosocial, la légitimité de l’Etat s’exprimant dans la définition des référentiels d’activité (Tabuteau, 2013).

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