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4. Résultats et Analyses

5.1 Mise en commun des analyses

Dans cette partie il nous paraît important de mettre en commun les éléments principaux de nos deux matériels d’observation. On a l’impression que nos réflexions se rejoignent, ainsi que nos deux expériences. Ce qui est frappant c’est les similitudes dans ce matériel entre Julie et Alessia, ainsi que les similitudes entre nos deux « façons d’être » dans les séances et nos ressentis. Au niveau méthodologique, nous n’avons pas fait émergé les mêmes catégories lors de nos relectures successives, les dimensions qui ressortent du matériel sont différentes dans les deux situations. L’évolution dans ces dimensions n’est devenue commune qu’à la fin. Ces points communs relèvent d’éléments en lien à l’observatrice (ou la PEPS), à l’enfant et à ses parents. Ils partent du postulat fondamental que le développement est relationnel. La PEPS dans son travail au SEI se trouve au cœur de la relation, et nous avons le sentiment qu’elle peut donc avoir une influence sur le développement de l’enfant.

Ci-dessous nous présentons les problématiques communes que nous considérons comme importantes :

- L’importance de la verbalisation : ce qui ressort de nos deux narrations c’est le sentiment aigu ressenti par les observatrices d’avoir besoin de verbaliser dans la situation d’observation. En effet, tant avec Julie qu’avec Alessia, les observatrices se sont retrouvées plongées dans des systèmes de communication antérieurs à la parole. Bien que ces petites filles ne parlent pas, nous avons eu l’impression d’une communication avec elles. Il y a de nombreuses similitudes entre nos deux narrations quant on regarde attentivement comment Julie et Alessia nous font comprendre ce qu’elles attendent de nous. Un sentiment commun que ces petites filles sont « pré-cablées » à la communication mais que les outils pour communiquer ne sont pas encore acquis.

Nous nous rejoignons sur le fait que la verbalisation permet à l’enfant de sortir de la toute-puissance et du sentiment qu’il est le seul à agir sur les objets. Nous avons fait le lien de cette verbalisation avec l’apprentissage du tour de parole et le début de l’acquisition du langage. Cette verbalisation est également à mettre en lien avec le fait que verbaliser nos émotions est un moyen à notre avis de nommer ce que l’observatrice ressent. C’est rendre les émotions

pensables. Le fait de verbaliser les vécus de l’enfant, c’est d’une part les comprendre, mais également les tolérer, les valider et les ramener à la relation.

Nous sommes également extrêmement attentives à la façon dont l’enfant va pouvoir imiter un son ou un geste (l’imitation comme le témoignage que l’autre est pris en compte, qu’il a été introjecté en tant qu’objet).

Chez Alessia la verbalisation est une validation et une reconnaissance de l’état interne de l’enfant, afin qu’elle puisse se sentir exister.

Le geste « encore » chez Julie signifie qu’il y a transformation de sensation en expérience, que l’enfant a intériorisé le sens de ce qu’elle vit.

- L’impression ressentie parfois par l’observatrice de ne pas exister face à l’enfant (attention conjointe) : l’impression est prégnante avec Julie que le fait d’être trop proche de l’enfant empêche que l’observatrice existe en face d’elle. Cette prise en compte est à mettre en lien avec ce que l’enfant vit à l’intérieur de lui (monde intérieur), par quel type d’angoisse est-il animé ? On peut affirmer qu’il y a des liens entre le monde intérieur de l’enfant et les liens que l’enfant fait avec l’observatrice. Cela nous rappelle ce « sentiment continu d’exister » qui se constitue grâce à la rêverie maternelle.

Chez Alessia, Valentina a le sentiment d’une “bulle sensorielle”, comme un cocon que l’enfant se fait pour se réfugier du monde extérieur. Il y a également le sentiment qu’Alessia utilise à certains moments Valentina comme un objet : on parle alors d’ « identification adhésive ». On peut aussi établir un parallèle avec le fait de faire sentir Valentina comme elle se sent quand on la manipule : on parle alors d’ « identification projective ».

- L’émergence de la symbolisation : l’émergence du langage comme l’émergence du symbole. Avec Julie, nous formions l’hypothèse de la présence d’ « équations symboliques » (assimilation de l’objet au symbole), mais dans l’idée d’un chemin vers la formation du symbole. Julie montre des amorces de jeu symbolique (poupée, statues d’ours).

Chez Alessia : elle agit sur les objets selon son état interne. Essai avec la peinture mais non prise en compte de ce que Valentina propose. Dans les chansons, le geste est dirigé vers la maman, il marque un début de symbolisation.

- L’intérêt sur le sensoriel : intérêt chez Julie pour l’emballage du matériel plutôt que pour le contenu. On a le sentiment que si elle n’est pas contenue dans notre esprit, elle cherchera par tous les moyens à se contenir elle-même, par des stimuli sensoriels.

Chez Alessia, Valentina parle d’une impression de « bulle sensorielle », comme si le monde extérieur n’existait plus. Comme si il y a avait une telle connexion avec son monde intérieur que l’extérieur n’était pas pris en compte.

- L’image de soi à travers le miroir : chez Julie, le miroir n’engendre pas de reconnaissance de soi-même. On a le sentiment que l’image reflétée est en trois dimensions et que Julie a un mouvement, soit d’entrer dans le miroir, soit de le mettre à l’intérieur d’elle.

Chez Alessia, le miroir était un moyen d’être active et de retrouver une vitalité. On retrouve chez elle, comme chez Julie, ce mouvement d’ « avaler » son image, est-ce un moyen de réappropriation de soi-même ?

- La bouche comme moyen d’appréhender l’extérieur : on observe chez Julie et chez Alessia une primauté orale manifeste. Julie a besoin de faire passer les objets par la bouche en premier avant de pouvoir les explorer par d’autres modalités sensorielles. Chez Alessia également on observe à de multiples reprises une mise à la bouche des objets comme première exploration du monde extérieur.

Pour nous cette « mise à l’intérieur » nous permet aussi de faire des liens avec les mécanismes d’introjection, et avec la métaphore digestive de la construction de la vie psychique.

- La fonction observante (contenante) : nous avons vu Julie et Alessia agir sur le matériel, vider/remplir, faire s’entrechoquer les objets (en tester la résistance). Vider et remplir comme un mécanisme d’introjection et de projection. Chez Alessia le fait de vider les sacs était à mettre en parallèle avec le fait de « vider Valentina ». La répétition des séances amène un sentiment de vivre Valentina comme un objet permanent. Tant pour Julie que pour Alessia nous avons pu mettre en évidence à plusieurs reprises comment l’observatrice jouait le rôle de « fonction alpha » (contenante). Cette fonction a consisté à accueillir et métaboliser les expériences douloureuses et en faire quelque chose de pensable.

La fonction contenante de l’observation pour les parents est remarquable. Il y a la mise en évidence d’un partage d’informations du parent présent autour de réflexions sur le développement de l’enfant. Nous formulons toutes les deux la même hypothèse que notre posture d’observatrice crée un espace de partage commun, dans la confiance. Nous formulons toutes les deux l’hypothèse que l’observation permet une appropriation (identification) des parents à cette fonction observante. Plus on s’intéresse on monde psychique de l’enfant, plus on postule qu’il y a un monde psychique, plus on attise l’intérêt pour ce monde psychique.

Cet espace ainsi créé permet une relation de partenariat telle qu’on cherche à la créer avec des parents en travaillant au SEI.

- La relation aux parents (accès aux objets internes de Julie et d’Alessia) : pour Julie, l’absence momentanée des parents a permis à l’observatrice de mesurer la qualité des objets internes de Julie et comment elle pouvait avoir assez de sécurité pour voir partir ses parents. Chez ces deux petites filles les observatrices ont pu mettre en commun leur ressenti quant à la relation privilégiée de ces mamans avec leurs petites filles, une relation tellement proche que chacune de ces mamans pouvait comprendre et anticiper le moindre signe chez leur enfant. On a eu a plusieurs reprises un sentiment que l’enfant et sa mère ne formaient qu’un, qu’elles partageaient les mêmes émotions.

- La passivité et le refus de la guidance : Julie refuse la guidance physique, elle réagit très fortement au contact physique avec l’observatrice, avec une impression de « dévitalisation ». L’hypothèse avancée était que Julie n’était pas agressée quand le geste était fait conjointement et qu’il avait du sens pour l’observatrice et pour elle.

On retrouve cette même impression chez Alessia, une impression de dévitalisation lorsqu’elle est manipulée. Chez elle nous formulions l’hypothèse d’une non mise en route de son « appareil à penser » propre, comme si elle était encore dépendante de la « fonction alpha » d’une autre personne.

- L’agressivité : chez Julie on a pu entrevoir l’agressivité des parents à l’égard de leur fille, nous formulions l’hypothèse d’une agressivité à l’égard de la partie « déviante » de Julie. Chez Alessia cette agressivité a été vécue pleinement par Valentina, nous formulions l’hypothèse qu’elle incarnait le support sur lequel Alessia pouvait projeter ses angoisses primitives.

- Les départs de l’observatrice comme une séparation qui est gérée par l’enfant et par ses parents : chez Alessia, on ressent fortement comment progressivement le fait de pouvoir dire au-revoir à Valentina, et le fait de la retrouver toutes les semaines (retrouvailles) lui a permis de forger en elle un sentiment de permanence de l’objet.

Chez Julie on sentait combien le départ de la PEPS ravivait les émotions douloureuses liées à la séparation des parents avec leur petite fille (à l’hôpital). Dans les deux situations la

régularité des séances a permis à ces enfants et à leur parent de gérer ensemble les émotions en lien avec la séparation (le sevrage, la perte, le deuil).