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1. Le texte parchemin des entités monde

1.2. La mise en abyme

Le procédé de la mise en abyme ou l’autoreprésentation s’installent comme une mesure de créolisation favorisée, dans le roman Verre Cassé et Meursault contre-enquête. La mise en abyme est un procédé, qui se relève de la narratologie, il s’agit d’un mécanisme qui met un texte dans un texte déjà existant, un sou-texte et calque les caractéristiques de ce dernier en l’interprétant et le contredisant : il crée comme un synchronisme textuel qui le reçoit.

Nous sommes en présence de ce dispositifs dans les deux romans. En effet, l’histoire des personnages porte-paroles, «Haroun » et « Verre Cassé », nous permettront de mettre la lumière dans cette composition multiple. Une telle stratégie d’écriture souligne que les narrateurs se veulent des visionnaires. Cette manière de penser les transformations leur donner son aval, de dépasser les frontières de la temporalité et du territoire aux niveaux desquels l’imaginaire collectif s’arrête, lorsqu’il est question de ressasser l’histoire.

A cet ordre d’idées ce mécanisme : nier l’historicité (aion chromos) serait un « cri » contre le silence de l’histoire et l’uniformisation des imaginaires. La mise en abyme cherche donc a placé l’imaginaire au même ordre que la réalité. Les œuvres d’Alain Mabanckou et celle de Kamel Daoud comme nous l’avons déjà souligné sont le lieu de relation opaque et des recherches multiples. Nous pourrions expliquer cette attitude sociale au niveau pragmatique,

d’une recherche de détail et de sens. Par cette dynamique Alain Mabanckou et Kamel Daoud voudraient remédier à cette séparation entre africanité, monde et l’homme. Albert Camus a illustré cette séparation en expliquant :

Un monde qu’on peut expliquer même avec de mauvaises raisons est un monde familier. Mais, au contraire, dans un univers soudain privé d’illusions et de lumières, l’homme se sent un étranger. Cet exil est sans recours puisqu’il est privé des souvenirs d’une partie perdue ou de l’espoir d’une terre promise. Ce divorce entre l’homme et sa vie, l’acteur et son décor, c’est proprement le sentiment de l’absurdité. […] il y a un lien direct entre ce sentiment et l’aspiration vers le néant168.

Toutefois, l’enjeu de cette écriture est justement d’éliminer les frontières notamment celles qui se relèvent de l’absurdité. La mise en abyme vient avec l’intention de refondation, et de remise en ordre. Elle propose le procédé de l’éclatement comme lieu de relation.

En fait, depuis les titres, ces instances mettent en scène une marque théâtrale : l’extrapolation. Ils dénoncent une situation sociale désormais insupportable. Dans Verre

Cassé nous constatons que la mise en abyme est introduite à travers l’histoire du président de

la république congolais enragé. Puisque son Ministre de l’Agriculture a trouvé une formule laconique pour convaincre les masses, en empruntant l’expression « J’accuse » d’Emile Zola et ce, pour défendre non pas une cause dreyfusarde mais celle du cas de « L’Escargot entêté ». Patron d’un bar misérable de la capitale, qui refuse d’abandonner son bistrot, qui pour lui représente sa vie et celles de ces clients.

Le ministre de l’Agriculture, du Commerce et des Petites et Moyennes Entreprises, Albert Zou Loukia, a élevé la voix, il a fait une intervention mémorable, un intervention qui est restée ici comme un des plus beaux discours politiques de tous les temps, le ministre Zou Loukia a dit à plusieurs reprises « j’accuse », et tout le monde était si médusé que dans la rue, pour un oui ou pour un non, pour une petite dispute ou une injustice mineure, on disait « j’accuse », et même le chef du gouvernement a dit à son porte-parole que ce ministre de l’Agriculture parlait bien, que sa formule très populaire de « j’accuse » resterait dans la postérité, et le Premier ministre a promis qu’au prochain remaniement du gouvernement on confierait au ministre de l’Agriculture le portefeuille de la culture, il suffirait alors de rayer les quatre premières lettres du mot « agriculture », et jusqu’ ce jour on s’accorde à reconnaître que le ministre avait fait un discours brillant 169.

La médiatisation a été faite par la radio FM. Le résident dont seul le nom marque une appartenance africaine : Loukouta Eleki Mingi. Charge ses « nègres », afin de trouver une formule équivalente, si non plus brillante, que celle de son Ministre de l’Agriculture .Qui grâce à cette formule à savoir : « j’accuse » est devenu populaire, et qui sera surement nommé Ministre de la Culture, car en réalité ce n’est qu’un préfixe « agri » qui sépare le domaine de

168 Albert Camus (1985) Le mythe de Sisyphe, Gallimard, Paris, pp.20-21.

Agriculture de celui de la Culture. Un néologisme qui souligne la relation rhézomatique que la culture se complaire dans les autres domaines de la vie.

Le narrateur porte-parole « Haroun/Daoud »170, place la mise en abyme au centre de toute la trame textuelle, en fait, toute l’histoire semblerait faite sur l’œuvre de Camus

L’étranger. Car une brève incruste dans sa vie nous aiderait à mettre un jalon de lumière sur cet

effet :

Tu peux en rire, c’est un peu ma mission : être revendeur d’un silence de coulisses alors que la salle se vide. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai appris à parler cette langue et à l’écrire ; pour parler à la place d’un mort, continuer un peu ses phrases. Le meurtrier est devenu célèbre et son histoire est trop bien écrite pour que j’aie dans l’idée de limiter. C’était sa langue à lui. C’est pourquoi je vais faire ce qu’on a fait dans ce pays après son indépendance : prendre une à une les pierres des anciennes maisons des colons et en faire une maison à moi, une langue à moi. Les mots du meurtrier et ses expressions sont mon bien vacant. 171

Aujourd’hui, maman est morte, mais avec ce que personne n’a jamais entendu, c’est-à- donc l’histoire de ce meurtre ne commence pas avec la fameuse phrase, dire ce que mon frèr-e Moussa a dit à ma mère avant de sortir ce jour-là : Je rentrerai plus tôt que d’ »habitude. C’était, je m’en souviens, une journée sans172.

Que cela soit l’article de 1986, ou de L’Etranger, le sens est détourné et reçoit une nouvelle portée dans le roman ; c’est bien ce dispositif de lecture et de l’interaction du texte sous le texte. L’image du parchemin qui laisserait paraître quelques signes capables d’interférer avec les éléments du monde. Une écriture qui va s’y superposer qu’en s’entend l’effet de créolisation dans la fiction de Daoud et de Mabanckou. Cette narration se construit sur des références historiques et mythiques jusqu’à nos jours, en reprenant leurs propos.

Simultanément à la partie qui expose la situation politique de leurs pays, « Et je t’ai dit qu’à cette époque-là on tuait beaucoup et dans le tas l’OAS, mais aussi des djounoud FLN de la dernière heure. Temps troubles, terres sans maîtres. »173 Et qui soulignerait la non-compétence des dirigeants africains. Les narrateurs porte-parole vont nous raconter leurs propres histoires, à travers les méandres de l’histoire de Moussa et de celle de L’escargot – entêté. Tous deux ont la volonté de garder vivant dans la mémoire de l’histoire leurs vécus, par écrit « noir sur blanc », dans un cahier, « Haroun » ferait aussi allusion au cahier d’un retour au pays natal de Césaire, d’abord quand il évoque la notion de la : « négritude », puis il l’affirme

170 Nous pourions se permettre ce rapprochement, car le texte est fait de ces relations établit entre Meursault et Camus : Albert Meursault, Moussa zoudj, Ecrivain assassin.

171 Meursault contre-enquête, op.cit.p.125.

172 Ibid. p.172.

en ajoutant : « juste un mythomane que tu as rencontré pour remplir tes cahiers »174 p.173 écrits par un étudiant qui vient de l’occident. S’ajouterait cet enchainement avec les évènements qui ont suivi le cessé de feu en Algérie notamment à Oran. La tâche accomplie par Verre Cassé dans un cahier interpelle « le Cahier d’un retour au pays natal » de Césaire, que même Haroun citait le testament de la négritude. Ainsi, la mise en abyme s’installerait comme étant procédé de créolisation.