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Les migrations comme enjeu sécuritaire : perceptions postérieures au

Chapitre 1. Migrations internationales et littérature scientifique

1.3. Les migrations comme enjeu sécuritaire

1.3.3. Les migrations comme enjeu sécuritaire : perceptions postérieures au

Collyer affirme que les migrations sont perçues comme une menace à la sécurité, en établissant cependant une différence entre pays : « reactions to terrorist attacks around the world, since the attacks of 11 September 2001 indicate that migration is not universally considered as a security risk, but most frequently associated with terrorism in wealthier parts of the world » (Collyer 2006, 256). Pour sa part, Kerwin relève que peu après les attentats du 11 septembre 2001, immigration et terrorisme sont devenus « inextricablement liés » dans le débat public américain sur la sécurité (Kerwin 2005, 749). Les migrations internationales seraient donc perçues comme une menace à la sécurité, du moins dans les pays développés. Cependant, cela ne signifie pas nécessairement qu’il y ait securitisation du discours. Selon la définition de Lindstrom, il est nécessaire qu’un enjeu soit dramatisé et présenté comme étant une priorité suprême (Lindstrom 2005, 591). Buonfino met en exergue le rôle joué par les médias en la matière, en Italie comme en Grande-Bretagne : « the collective and predominant construction of immigration as a security concern, provoked by the existence of boundaries and by the deriving public fear (as “fear is related to difference”), is due to the agenda-setting powers of the mass media » (Buonfino 2004, 32). Ibrahim est également d’avis qu’il y a eu une sécuritisation du discours sur les migrations, cimentée par la peur que les migrants participent à des insurrections ou des activités terroristes18. La sécuritisation des mouvements de population aurait involontairement contribué au « choc des civilisations » tel que

18 “It is believed that migrants, both in the form of immigrants and refugees, may pose a threat by supporting insurgency movements” (Ibrahim 2005, 172).

dépeint par Huntington, notamment par le renforcement de craintes culturelles (Faist 2002, 8). Pour sa part, la Commission interaméricaine des droits de l’homme exprime des réserves sur le bien-fondé de ces craintes lorsqu’elle déclare que les migrants, plus particulièrement les réfugiés et les demandeurs d’asile, sont « parmi les plus vulnérables aux violations des droits humains dans l’élaboration et l’exécution des mesures anti-terroristes »19 (Stuart 2005, 67).

Cependant, avec Migration control in Europe after 9/11: Explaining the absence of securitization, Boswell nous permet de relativiser le consensus apparent sur l’existence d’une sécuritisation des migrations. En effet, l’auteure, tout en reconnaissant une tendance semblable dans le cas des contrôles frontaliers américains, souligne qu’il y aurait « remarquablement peu de preuves » de tentatives de sécuritisation des migrations en Europe (Boswell 2007, 590). Une autre objection soulevée par Boswell porte plus particulièrement sur la direction de la causalité liant discours et pratiques étatiques : « the direction of causality could also work the other way: a resistance to securitization within parts of the administration could make politics cautious about adopting securitarion discourse, as this could create unmanageable public expectations » (Boswell 2007, 607). L’auteure souligne que depuis la fin de l’année 2001, les références au terrorisme sont « presque totalement absentes » des débats sur l’immigration illégale et le contrôle des migrations en Europe20 (Boswell 2007, 596). Elle soutient plutôt qu’autant au niveau discursif qu’au niveau pratique, les politiques de contrôle

19 “States have not only used their immigration laws to arrest, detain, question and deport non- nationals suspected of being involved in terrorism, but fear of terrorism has led states to declare a state of emergency and derogate from human rights treaties, enabling them to detain non-nationals in a manner that would normally breach their human rights” (Stuart 2005, 67).

migratoire en Europe « n’ont pas l’air » d’avoir été sécurisées après les attentats du 11 septembre 2001, de Madrid et de Londres (Boswell 2007, 606). Dans le cas espagnol, malgré la détention de plusieurs suspects marocains, le gouvernement aurait privilégié les besoins économiques et marchands de l’Espagne en régularisant le statut de 700 000 immigrants en situation irrégulière, dont environ 135 000 étaient marocains (Boswell 2007, 597). Boswell traite également des discussions sur les politiques d’immigration au sein de l’Union européenne, qui auraient suivi le même ordre du jour que celui établi avant les attentats du 11 septembre 200121. Boswell ne nie pas un certain changement de pratiques ; elle estime cependant que ce changement avait pour objectif une surveillance accrue et non l’exclusion des migrants22.

Malgré la divergence de point de vue de Boswell, l’essentiel de la littérature est unanime : « immigration as a threat and a security concern has become the hegemonic discourse type in government policy » (Buonfino 2004, 24). Le lien entre sécurité et politiques d’immigration est présenté de la manière suivante : « migration policy has become one of the most significant influences on migration and security is the dominant force behind migration policy. Any understanding of human movement must therefore incorporate notions of security at both an empirical and theoretical level » (Collyer 2006, 268). La relation intrinsèque entre migrations et sécurité est également exprimée par Kritz : « although immigration 20 Ce constat serait possible à la lumière de l’étude des différentes coupures de presse consacrées aux questions migratoires dans les pays européens de 2002 à nos jours (Boswell 2007, 596).

21 “Migration control remained high on the list of priorities, but the explicit rationale for this focus was the need to combat trafficking and better protect Europe’s external borders from unwanted immigration” (Boswell 2007, 597).

was not the root cause of 9/11, and reforming immigration policy may not prevent future 9/11s, some improvements in immigration policy may indeed increase our ability to thwart terrorist efforts and such changes should be carefully evaluated » (Kritz 2002, 33). Le rôle important des politiques étatiques est aussi abordé par Ibrahim dans le cas canadien23. Aussi, même quand il est question du lien entre sécurité et migrations, les politiques étatiques occupent une place centrale. À la lumière de ce constat, nous pouvons effectuer le choix du cadre théorique dans la prochaine section de cette revue de littérature.

1.4. Migrations, sécurité et changements institutionnels :