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2.2 METHODE : ANALYSE DE LA TEXTURE DE MICRO-USURE DENTAIRE (DMTA) 2.2.1 Ecologie alimentaire des cervidés actuels et fossiles

La détermination du régime alimentaire des espèces fossiles est souvent basée sur le principe d’uniformitarisme taxinomique (Schubert, Ungar, Sponheimer, & Reed, 2006), mais une connaissance limitée et une vision parfois simpliste de l’écologie des espèces actuelles ainsi qu’une sous-estimation de l’impact de l’anthropisation des habitats (et ce dès le Pléistocène ; Auffray, Cassaing, & Legendre, 1991 ; de Beaulieu & Goeury, 2004) sur le comportement écologique des espèces actuelles prises pour référence (Bocherens, Hofman-Kamińska, Drucker, Schmölcke, & Kowalczyk, 2015 ; comme c’est notamment le cas du bison européen : Kerley, Kowalczyk, & Cromsigt, 2012) a conduit à des interprétations paléoécologiques certaines fois malheureuses, conduisant à des reconstructions paléoenvironnementales inexactes (Alcalde & Hoek Ostende, 2015 ; Rivals, 2012). L’assignation fréquente des cervidés fossiles aux habitats arborés en constitue un bon exemple (Guérin et al., 2004 ; Pastre et al., 2015 ; Rivals & Athanassiou, 2008 ; Spassov, 2002). Cependant, la répartition des cervidés actuels est déterminée non seulement par la disponibilité des ressources végétales, mais également par le risque de prédation. Dans une étude portant sur l’utilisation de l’habitat par une population de chevreuils, Bonnot et al. (2013) ont montré que le chevreuil évitait les zones ouvertes durant la journée ainsi que les zones fréquentées par l’homme durant la période de chasse (Bongi, 2009 ; voir aussi Kilgo et al., 1998). Ainsi, l’association fréquente entre les cervidés et les habitats forestiers est sans doute biaisée par les stratégies de survie développées par ces animaux en contexte anthropisé. L’écologie des cervidés est en réalité bien plus complexe, comme en témoignent plusieurs études portant sur les taxa actuels (Azorit et al., 2012 ; Bugalho & Milne, 2003 ; Gebert & Verheyden-Tixier, 2001 ; Geist, 1998 et les références citées dans cet ouvrage ; Schaller, 1967). Leur régime alimentaire est impacté par de nombreux facteurs environnementaux liés au climat et à la végétation disponible (Borowik et al., 2013 ; Bugalho & Milne, 2003 ; Gebert & Verheyden-Tixier, 2001 ; Maizeret, Bidet, Boutin, & Carlino, 1991 ; Mysterud et al., 1997 ; Nugent, 1990 ; Tixier & Duncan, 1996), à la densité de population (Kie & Bowyer, 1999 ; Kie et al., 1980 ; Maizeret et al., 1989 ; Ripple & Beschta, 2004, 2006), à la compétition interspécifique (Lovari et al., 2014 ; Smith & Julander, 1953), à la pression de prédation (Altendorf et al., 2001 ; Bonnot et al., 2013), ainsi qu’à l’âge, au sexe et aux besoins physiologiques des animaux au cours de l’année (Azorit et al., 2012 ; Bjørkvoll et al., 2009 ; Cransac et al., 2001 ; Groot Bruinderink & Hazebroek, 1995 ; Mitchell et al., 1976). De même, plusieurs études portant sur l’écologie alimentaire de cervidés fossiles ont permis de mettre en évidence chez ces taxa une certaine plasticité alimentaire et une capacité de réponse aux changements environnementaux induits par les fluctuations

climatiques par une modification de leur régime alimentaire (Berlioz, Kostopoulos, Blondel, & Merceron, 2017 ; DeMiguel, Azanza, & Morales, 2011 ; DeMiguel et al., 2008 ; Merceron, Costeur, Maridet, Ramdarshan, & Göhlich, 2012 ; Merceron, Schulz, Kordos, & Kaiser, 2007 ; Rivals & Lister, 2016 ; Solounias & Moelleken, 1994). A titre d’exemple, DeMiguel et al. (2010) ont montré grâce à l’étude de la méso-usure et de la micro-usure du cervidé miocène Procervulus que ce taxon présentait une plasticité alimentaire lui permettant de faire face à un important refroidissement se traduisant par l’ouverture des milieux au Miocène moyen par l’inclusion dans son alimentation de grandes quantités d’herbacées monocotylédones.

Dans l’Europe actuelle, l’extermination des prédateurs liée à l’anthropisation des milieux ainsi que la réintroduction et la mise en place d’une régulation de la chasse ont mené à la multiplication des grands mammifères herbivores sauvages, parmi lesquels le cerf élaphe et le chevreuil. Cette augmentation des populations a conduit à de sérieux problèmes de gestion des habitats naturels, liés à l’impact de l’herbivorie sur la végétation (Apollonio et al., 2010 ; Nugent, 1990 ; Ripple & Beschta, 2004, 2006 ; Sabalinkiene, Simkevicius, Petelis, Stankeviciute, & Talijunas, 2016). En effet ces taxa sont impliqués dans des cascades trophiques aboutissant à des modifications profondes et irréparables de la structure des paysages ainsi qu’à un important appauvrissement de la biodiversité animale et végétale. Le travail de Ripple et Beschta (2004), constitue un exemple éloquent de l’impact d’une forte densité de cervidés sur les paysages. La population de loups (Canis lupus) du Parc National de Yellowstone a été exterminée dans les années 1920. En l’absence de la mise en place d’autres systèmes de régulation, la densité de Cervus

elaphus a augmenté drastiquement. Ceci a eu pour résultat la consommation par les cerfs de la majeure

partie des jeunes pousses et graines d’essences ligneuses, stoppant ainsi le renouvellement du couvert arboré. Or le Parc National de Yellowstone abritait également une importante population de castors (Castor canadensis) qui a abattu les arbres matures pour se nourrir et effectuer des constructions. Avec la disparition du couvert arboré, les castors se sont raréfiés, entraînant la destruction de tous les habitats propices à une flore et une faune de vertébrés et d’invertébrés qui bénéficiait jusqu’alors des modifications géomorphologiques des cours d’eaux induites par les castors. Cela a eu pour résultat un élargissement des rivières et une rupture de la connexion entre les ruisseaux et la plaine d’inondation entraînant la disparition des zones humides dans le parc. Dans ce contexte, de nombreuses études (contenus de panses, analyses de fèces, observations de terrains et comptage des traces d’abroutissement pour ne citer que les études les plus classiques permettant d’évaluer l’écologie alimentaire des espèces de grands mammifères herbivores) se sont attachées au cours des dernières décennies à caractériser l’écologie des espèces actuelles qui nous entourent, notamment des cervidés. Ces travaux sur la faune

actuelle constituent une source d’information de référence précieuse pour les reconstructions paléoécologiques à laquelle il est fait référence tout au long de ce travail.