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Mesure de la non-linéarité Kerr : D-scan

Caractérisation expérimentale de guides en silicium

2.5 Mesure de la non-linéarité Kerr : D-scan

Nous avons vu au chapitre 1.1.6 que la non-linéarité Kerr induit l’auto-modulation de phase. Nous savons également que les autres effets non-linéaires présents dans le silicium peuvent forte-ment altérer ce processus. L’expérience que nous proposons ci-dessous repose sur l’auto-modulation de phase dans le cas où la phase non linéaire est petite et donc les effets de porteurs restent faibles. Le fait que la phase non linéaire soit petite signifie que le spectre est peu affecté par celle-ci. Cela rend la mesure des variations du spectre difficile voir impossible. Il semble donc difficile d’éviter un compromis entre faisabilité de l’expérience et influence des porteurs.

En fait, il est possible d’augmenter l’effet de l’auto-modulation de phase sans augmenter les autres effets. Il faut pour cela induire un chirpaux impulsions. Le terme anglais chirp (ou gazoulli en français) est associé à une impulsion dont le contenu spectral n’est pas uniformément réparti. Il est connu [70] que pour de telles impulsions, l’auto-modulation de phase peut conduire à un rétrécisse-ment spectral plutôt qu’un élargisserétrécisse-ment. Ce dernier peut égalerétrécisse-ment être magnifié dans certaines conditions.

2.5.1 Principe

La méthode appeléeD-scana été mise en évidence d’abord par Louradouret al.[109, 110] et a été peu étudiée depuis [111]. Ses implémentations ont toujours été réalisées grâce à des impulsions femtoseconde. Le principe est une étude systématique de l’auto-modulation de phase pour des im-pulsions plus ou moinschirpéeset à puissance constante.

Lechirpest un retard de phase temporelle quadratique imprimée à l’impulsion. La dispersion de la vitesse de groupe induit naturellement unchirp. Par exemple dans un guide de dispersion nor-male (β2 > 0), les fréquences les plus hautes sont les plus lentes et se retrouvent donc en queue de l’impulsion. Lorsque cette dispersion induite est grande, elle conduit à un étalement temporel de l’impulsion, donc une diminution de la puissance crête etin fineune auto-modulation de phase amoindrie.

Le principe de fonctionnement de la méthode est décrit par la figure 2.9. D’abord, les impulsions chirpées sont fournies par un laser et une ligne de dispersion. Ensuite, le guide induit l’auto-modulation et l’effet sur le spectre est mesuré en bout du montage. Il s’agit donc de mesurer la largeur du spectre en fonction de la dispersion induite. La ligne de dispersion est le coeur de cette mesure ; elle permet d’induire une dispersion ajustable négative et positive. Nous consacrons l’an-nexe A à sa conception, sa réalisation et sa validation.

Le résultat caractéristique d’une mesure de D-scan est présenté dans la figure 2.10a. Nous pouvons distinguer trois comportements dans cette courbe. L’absence de toutes modifications spectrales pour les grandes valeurs de la dispersion s’explique par le fait que cette dernière étale tant l’impulsion qu’elle ne dispose plus d’une puissance suffisante pour induire un effet non linéaire significatif. Pour les petites valeurs de la dispersion, il y a soit élargissement soit rétrécissement spectral. Mathéma-tiquement, nous considérons une impulsion dont le profit temporel estA(t) =A0exp(−t2/2T2

Laser

Ligne de dispersion accordable

guide, échantillon

OSA

FIGURE2.9 – Principe de fonctionnement du D-scan.

Un laser délivre des impulsionsà la limite de Fourier. Celles-ci sont chirpéesvolontairement par une ligne accordable en dispersion de vitesse de groupe. Ces impulsions permettent alors de sonder la non-linéarité optique de guides d’ondes. La non-linéarité optique est quantifiée grâce à la dé-pendance de la largeur spectrale des impulsions en la dispersion induite. Cette mesure est réalisée grâce à un analyseur de spectre optique (OSA).

fait d’imprimer une dispersionφtransforme ce profit temporel en3

A0(t)⇒ pT0A0 T2 0 −iφexpt 2 2(T2 0 −iφ) = T0A0 (T4 02)14 e t2T02 2(T4 0 +φ2)e i 2 arctg(Φ T02)−T4t2φ 0 +φ2 (2.4) où le terme de droite n’est qu’une réécriture qui se justifiera dans la suite du développement. L’am-plitude est donc réduite et une phase apparaît dans l’exponentielle. L’évolution de l’impulsion dans un guide exclusivement Kerr est donnée par l’équation 1.5

∂A(z, t)

∂z =i

γk

2 |A(z, t)|2A(z, t) ⇐⇒ ∂ϕ∂z(z) = γk|A0|2

2 siA(z, t) =|A0|exp (iϕ(z))

La solution est doncA(z, t) = A0(t) exp(iz|A0(t)|2γk/2). Cette dernière expression justifie l’expres-sion d’apparence compliquée de l’équation 2.4 puisque la norme deA0(t)y apparaît explicitement. Pour avoir l’expression du profil temporel de l’impulsion ayant subi d’abord une dispersion et en-suite l’effet Kerr, il suffit de remplacer l’expression 2.4 du champ dans 2.5.1. Néanmoins, c’est le spectre qui est mesuré expérimentalement. Il faut donc prendre la transformée de Fourier de l’ex-pression finale, ce qui ne peut se faire que numériquement.

Enfin, la figure 2.10b. montre l’influence sur la courbe de D-scan des pertes (linéaires, par absorp-tion à deux photons, et par absorpabsorp-tion par les porteurs libres), de la dispersion et du changement d’indice de réfraction induit par les porteurs libres (FCI). Alors que logiquement les différentes pertes réduisent le contraste de la courbe, la FCI abaisse légèrement cette courbe. En effet, l’effet de la FCI est d’induire une phase de signe opposé à la phase non linéaire Kerr mais indépendante du chirp (car la dynamique est lente). La très faible dispersionβ2n’a aucun effet sur la courbe.

2.5.2 Expérience

Le schéma de l’expérience est celui de la figure 2.9 où un atténuateur variable (HP 8156A) a été introduit entre le laser et la ligne de dispersion afin de compenser les imperfections de la ligne dispersive. En effet, de petites variations de la puissance collectée sont observées. Le laser utilisé est le laser Pritel qui délivre des impulsions de3.9 ps et dont le profil spectral est décrit par la figure 2.11a.

Le résultat de l’expérience est présenté dans la figure 2.11. Nous traçons la largeur à0,3×la

hau-teur. Ce choix inhabituel est justifié par la forme spectrale de l’impulsion de départ (figure 2.11) 3. Cela peut se comprendre facilement en résolvant l’équation 1.2 en l’absence de pertes. Dans ce cas, la dispersion induite est une constante qui dépend de la distance de propagationLet vautφ=β2L.

-40 -20 0 20 40 0 1 1.5 2 2.5 Dispersion (ps2) F W H M (n m ) -40 -20 0 20 40 0.5 0.6 0.7 0.8 0.9 1 1.1 Dispersion (ps2) F W H M (n m ) (b) (a)

FIGURE2.10 – Prédictions théoriques d’un mesure de type D-scan.

A gauche (a) : les courbes supposent une impulsion initiale gaussienne de largeur à mi-hauteur 0.7 nm. La propagation est supposée se faire sur 1 cm et(γkP)1vaut 2-4-8 mm (du plus clair au plus foncé). Seul l’effet Kerr est pris en compte.

A droite (b) : influence des différents effets propagatifs sur la courbe de Dscan. La courbe de ré-férence (grise) ne considère que l’effet Kerr ((γkP)−1 = 4 mm). Les autres effets pris en compte successivement et cumulées sont la dispersion (verte), les pertes linéaires (bleue), les pertes par TPA (rouge), les pertes par FCA (bleu clair) et l’effet du changement d’indice du aux porteurs (ocre). La largeur de la courbe dépend avant tout de la durée des impulsions et son contraste dépend de l’amplitude de la non-linéarité.

qui n’est pas tout à fait gaussienne. L’asymétrie de l’impulsion est amplifiée par l’auto-modulation de phase. La courbe théorique présentée est obtenue en ajustant le paramètre de non-linéaritéγkà

550 W−1m−1, très proche de la valeur de600 W−1m−1

±10%déduite par la mesure de mélange à quatre ondes dégénéré (section 2.4). L’ajustement est réalisé en approximant les impulsions du Pri-tel par des gaussienne de même largeur à mi-hauteur et en utilisant la méthode split-step-Fourier déjà introduite (annexe E). Les autres paramètres utilisés sont ceux déduits des précédentes me-sures (τeff= 3,5ns,α0= 55m−12= 88W−1m−12=−2ps2m−1) ainsi que ceux déjà introduits (σ= 1,45×10−21 m2,µ= 7,5,Aeff= 0,064µm2). Si l’accord entre théorie et expérience est bon en ce qui concerne le rétrécissement spectral, il est clairement réduit pour l’élargissement. Nous pensons que cela est une conséquence de l’asymétrie initiale du spectre. Une sous-estimation de l’effet de la dispersion induite par les porteurs libre permettrait également d’expliquer le désaccord entre les deux courbes.

Bien que sa réalisation soit encore perfectible, cette méthode présente un avantage remarquable sur les méthodes habituellement utilisées pour mesurer la non-linarité de guides. En effet, elle permet de mesurer le signe de la non-linéarité optique. Spatialement, le signe de la non-linéarité implique le caractère auto-focalisant ou auto-défocalisant de la non-linéarité. Bien sûr, nous savons que la non-linéarité Kerr du silicium est focalisante (l’indice de réfraction augmente avec l’inten-sité) et nous le savons grâce à des mesures telles que le Z-scan. Le D-scan n’est rien d’autre que l’analogue temporel du Z-scan qui, de par son principe, ne permet de mesurer que la non-linéarité d’un matériau brut et pas celle d’un guide optique. Cette capacité remarquable n’est pas anecdo-tique. En effet, les guides en silicium offrent la possibilité inédite de façonner, grâce au couplage

1548 1549 1550 1551 1552 0 1 Longueur d’onde (nm) S pe ct re (u .a .l in éa ir e) -20 -10 0 10 20 1.4 1.6 1.8 2 2.2 Dispersion (ps2) L ar ge u r sp ec tr al e (n m ) (b) (a)

FIGURE2.11 – Résultats de l’expérience.

A gauche (a) : spectre du laser Pritel. Spectre mesuré (en rouge) et approximation par une gaus-sienne (en bleu).

A droite (b) : résultat de la mesure de D-scan (points rouges) et ajustement à un paramètre (ligne bleue). Le désaccord aux petites valeurs positives de la dispersion est présentée dans le corps du texte.

évanescent avec un matériau à non linéarité négative (quantum dot), des guides à indice de réfrac-tion effectif négatif. Avec notre montage, nous serions capable de mettre en évidence la propriété remarquable d’un tel guide.

2.6 Résumé

Dans ce chapitre, nous avons mesuré la plupart des propriétés d’un seul et unique guide optique (puceWonderwall, guide-6). Nous avons mesuré les pertes linéairesα0, la dispersionβ2, l’absorp-tion à deux photonsα2, la non-linéarité Kerrγk(par deux méthodes différentes) et le temps de vie des porteursτeff. Cette dernière mesure est également susceptible de nous donner le paramètreσ

de l’absorption par les porteurs libres. Les valeurs obtenues sont conformes à celles reportées dans la littérature et que nous avons résumé dans le premier chapitre.

Les seuls paramètres non-mesurés sont le rapportµde l’absorption (FCA) et du changement d’in-dice (FCI) induit par les porteurs libres, la non-linéarité Raman et l’aire effectiveAeff. L’utilisation de réseaux de couplage dont la bande spectrale est plutôt limitée complique assez fortement l’étude de l’effet Raman (spectralement à 100 nm de l’onde pompe). Par ailleurs, l’effet Raman a été étudié de manière exhaustive en régime classique ces dernières années. L’effet de la fci est plus difficile à découpler des autres effets. Il faut, en effet, disposer d’impulsions suffisamment longues que pour induire une population importante de porteurs mais suffisamment courtes que pour induire des effets de phase non linéaires visibles. L’étude systématique de l’auto-modulation de phase en ré-gime nanoseconde est une piste, mais elle nécessite la connaissance préalable de la non-linéarité Kerr. Une autre possibilité est l’étude de la bistabilité optique dans des cavités (nous reparlerons des cavités au chapitre 4) dans le même régime nanoseconde. Enfin, l’aire effective pourrait être estimée en comparant les propriétés non-linéaires (en particulier l’effet Kerr ou la TPA) de guides de différentes largeurs.

Au delà des valeurs mesurées, nous avons proposé un ensemble de mesures découplant assez net-tement les différents processus mis en jeux. Cette caractérisation n’est pas une première (excepté pour le Dscan en régime picoseconde) et elle survient à un moment où les propriétés des guides en silicium commencent à être bien établis. Néanmoins, cet ensemble de mesures permet la caractéri-sation de tout autre guide nanophotonique présentant des pertes raisonnables. Cette perspective a récemment été mise en pratique (et est aujourd’hui en cours) avec la caractérisation de guides en silicium amorphe.

Chapitre 3

Génération de paires de photons