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Mesure de la croissance « pro-pauvres » : Approche non monétaire

1.2.1 1 L’approche de Ravallion et Chen (2003)

1.2.2. Mesure de la croissance « pro-pauvres » : Approche non monétaire

Le développement récent observé en Tunisie a soulevé des questions concernant la nature et le type de croissance réalisée ces dernières années. La flambée de protestations de la population contre le régime autoritaire a montré qu’une orientation trop étroitement axée sur la croissance économique, et une incapacité à tenir compte de certains phénomènes annexes pouvaient avoir de lourdes conséquences.

Dans l’ensemble, ce soulèvement s’est produit dans un contexte quelque peu paradoxal d’une période de relative amélioration de la performance économique. Pour la période 2000-2010, par exemple, la croissance du PIB réel se situe en moyenne autour de 5%. Toutefois, le pays a continué à souffrir de disparités sociales et économiques, avec la persistance d’un chômage élevé, en particulier chez les jeunes. Ce qui nous amène à conclure que la structure et le rythme de la croissance sont des éléments critiques dans la réduction de la pauvreté, et que la réduction des inégalités pour assurer une répartition plus homogène et équitable des bienfaits de la croissance nécessite la mise en œuvre d’un programme qui ne se limite pas à maximiser la croissance.

Depuis le milieu des années 2000, les institutions financières internationales (IFI) et les chercheurs dans les cercles académiques ont commencé à défendre l’idée d’une croissance inclusive qui accorde une attention particulière à la qualité de la croissance, à sa durabilité, et

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2 1 ) 1 , ( ˆ 1 1 1 1          P z t Lt P z t Lt P z t Lt P z t Lt t t G    

à sa capacité à profiter à de larges couches de la population (Ali, 2007 ; Rauniyar et Ravi, 2010 et Klasen, 2010). La croissance inclusive ne se limite pas à créer de nouvelles possibilités économiques, mais elle vise aussi l’égalité d’accès à ces opportunités à tous les segments de la société et notamment aux pauvres (Ali et Hyun, 2007). Un épisode de croissance est considère comme « inclusif » dès lors qu’il : (i) permet la participation (et la contribution) de tous les membres de la société, en mettant l’accent sur la capacité des pauvres et des catégories défavorisées de prendre part à la croissance, ce qui implique de porter l’attention sur le processus de croissance ; et (ii) est associé à un recul des inégalités dans les dimensions non monétaires du bien-être qui jouent un rôle particulièrement important pour promouvoir les opportunités économiques, y compris l’éducation, la santé, la nutrition et l’intégration sociale, ce qui implique de s’intéresser plus particulièrement aux résultats de la croissance.

Dans la mesure où la croissance inclusive vise à améliorer les aspects non-monétaires du bien-être, elle implique de fait d’être abordée en s’appuyant sur une conception multidimensionnelle de la pauvreté. En conséquence, elle rend nécessaire d’appréhender le concept de croissance « pro-pauvres » dans ces dimensions.

Bien que la plupart des approches proposées pour analyser la nature « pro-pauvres » de la croissance s’appuient sur une conception purement monétaire, toutefois, il existe quelques travaux au sein de la littérature qui ont tenté d’aborder ce concept de croissance « pro- pauvres » dans le cadre d’une approche multidimensionnelle de la pauvreté incluant ses dimensions non monétaire. Les rares études existantes sont celles de Grosse et al. (2008), Bérenger (2010), Bérenger (2013) et Bérenger et Bresson (2012). Grosse et al. (2008) proposent d’étendre le concept de croissance « pro-pauvres » aux dimensions non monétaires de la pauvreté afin de montrer les progrès accomplis dans certains domaines sociaux (notamment dans l’éducation et la santé), et de vérifier si ces progrès ont concerné les plus pauvres (en termes de pauvreté monétaire). De même, Bérenger (2013) développe une analyse qui consiste à examiner si les évolutions du niveau de vie et du niveau d’éducation ont été « pro-pauvres » en se basant sur la méthodologie de Grosse et al. (2008). Aussi, Bérenger et Bresson (2012) élaborent un ensemble de tests basés sur les outils de la dominance stochastique séquentielle permettant d’établir de manière robuste la nature« pro-pauvres » de la croissance dans le cadre dune conception multidimensionnelle de la pauvreté.

L’étude de Grosse et al. (2008) se base essentiellement sur l’approche de Ravallion et Chen (2003). En effet, ces auteurs ont proposé d’étendre la méthode des courbes d’incidence de la croissance aux dimensions non monétaires telles que l’éducation, la santé et la nutrition. Ils définissent deux types de courbes d’incidence de la croissance : non conditionnelle et conditionnelle.

- La courbe d’incidence de la croissance non conditionnelle (non conditionnelle NIGIC) consiste à classer les individus ou les ménages selon un indicateur social donné et présente les taux de croissance de cet indicateur associés à chaque centile de la distribution.

- La courbe d’incidence de la croissance conditionnelle (conditionnelle NIGIC) classe les ménages selon les indicateurs monétaires et associe le taux de croissance de l’indicateur social à chaque centile selon ce classement.

Le recours simultané à ces deux méthodes permet de prendre en compte le cas où les plus pauvres en termes monétaires ne sont pas les plus pauvres en termes d’éducation par exemple. La courbe inconditionnelle permet de mesurer l’évolution des indicateurs sociaux le long de leur distribution. En revanche, la courbe conditionnelle permet d’analyser comment le progrès social est distribué le long de la distribution des revenus. Elle peut s’avérer particulièrement pertinente pour évaluer l’impact distributif des aides ou dépenses publiques.

En particulier, la nature des indicateurs utilisés justifie plutôt le calcul de la croissance en termes absolus (ou de variation absolue). En effet, concernant l’éducation, il est possible que plusieurs ménages présentent un niveau d’éducation nul qui ne pourrait pas être pris en compte pour le calcul du taux de croissance. Dans ce cas, une comparaison des taux de croissance peut être trompeuse car elle peut conduire à surestimer l’amélioration de la situation des pauvres. La solution est d’utiliser des NIGIC en termes absolus. Cela peut d’ailleurs pleinement se justifier par l’approche des capabilités de Sen (1984) qui conçoit la pauvreté comme une « privation absolue ». Sen défend la nature absolue de la pauvreté sans pour autant rejeter l’approche en termes de privation relative. Cette dernière pourrait constituer un complément d’analyse.

Outre les définitions absolues et relatives associées aux GIC traditionnelles, les courbes d’incidence de la croissance conditionnelle et inconditionnelle permettent de rendre compte d’une définition absolue forte et faible de la croissance « pro-pauvres ». La croissance économique est « pro-pauvres » d’une manière absolue forte si le gain absolu des pauvres est supérieur à celui des riches. En revanche, elle est qualifiée de croissance « pro-pauvres » en

termes absolus faibles, si le taux de croissance de l’indicateur non-monétaire des pauvres est positif.

Grosse et al. (2008) définissent des GIC en termes absolus de la manière suivante : Absolute GIC =gt(p) yt(p) yt1(p)

g( p)est le taux de croissance absolu au centile p entre les dates t-1 et t et y est un indicateur non monétaire de pauvreté.

Si la pente de la GIC absolue est négative, la croissance est alors pro-pauvre absolue d’une manière absolue dans la mesure où elle s’accompagne d’une réduction de l’inégalité absolue.

Section 2. La croissance « pro-pauvres » dans les pays du MENA : Une