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Analyse spatiale de la pauvreté multidimensionnelle en Tunisie

Introduction

Depuis le début des années 1990, les grandes institutions internationales ont inscrit dans leurs agendas la lutte contre la pauvreté comme un objectif prioritaire. La signature des Objectifs du Millénaire pour le Développement au début des années 2000 confirme que la réduction de la pauvreté reste prioritaire. Toutefois, il n’en reste pas moins qu’il est nécessaire, avant de mener toute politique de réduction d’en offrir une définition opérationnelle et une méthode de mesure qui permettent de quantifier le phénomène.

La Banque Mondiale considère que la mesure de la pauvreté sur une base monétaire est la meilleure approche pour appréhender le bien-être des individus. Toutefois, comme Levine et al. (2011) le soulignent, les dernières estimations de la pauvreté des revenus ont alimenté de nouvelles discussions sur la nécessité des mesures qui reflètent mieux les multiples dimensions de la pauvreté et des privations. En d’autres termes, la pauvreté semble être une situation dans laquelle les individus sont exposés à de multiples désavantages (Alkire et al., 2014). Dans ce même contexte, Bertin et Leyle (2007) soutiennent que le seul critère monétaire ou des revenus (dépenses de consommation) ne permettrait pas de capter l’essentiel des privations dont sont victimes les individus ou les ménages les plus démunis. De plus, plusieurs travaux empiriques ont démontré que les individus qui sont multidimensionnellement pauvre ne le sont pas d’un point de vue monétaire et vice versa (Alkire et Kumar, 2012).

Il s’agit dès lors, de définir la pauvreté non plus sur la base du revenu ou des dépenses de consommation uniquement, mais aussi d’intégrer un ensemble de dimensions pouvant affecter

les conditions de vie de la population pauvre. En conséquence, l’efficacité des politiques de réductions de la pauvreté devrait être évaluée sur la base de satisfaction des besoins non liés au revenu, comme la santé l’éducation, la participation à la vie sociale…. (Bérenger et Bresson, 2012).

La littérature actuelle portant sur la mesure et l’analyse de la pauvreté permet de spécifier différentes dimensions ou facteurs pouvant affecter le bien-être des individus. De l’approche des besoins de base développée par le Bureau International du Travail dans les années 1970 à l’approche par les capabilités ou de fonctionnements des individus de Sen, l’approche multidimensionnelle a pris une dimension importante dans la mesure et l’analyse de la pauvreté. Sen a fourni à travers cette nouvelle manifestation du bien-être, les bases pour la prise en compte d’un ensemble d’attributs afin d’appréhender de manière plus adéquate l’état de privations ou non d’un individu à partir de ses fonctionnements ou de ses capabilités. Ainsi, l’individu au sein des ménages sera l’élément de base de toute analyse car sa perception de sa situation d’existence apparait être le meilleur indicateur pour juger d’un état de pauvreté ou non. Cependant, trois difficultés doivent être évoquées lorsqu’il s’agit d’analyser la pauvreté en se basant sur une approche multidimensionnelle : la spécification des dimensions ou attributs à prendre en compte, le choix du système de pondération (souvent élaboré de façon arbitraire) et la nature de l’indice composite à créer (compte tenu de différentes techniques d’approche). Dans ce cadre, l’extension des travaux de Sen (1985) permet de surmonter une telle difficulté et d’affiner la mesure de la pauvreté dans un cadre multidimensionnelle.

Comme nous l’avons mentionné dans le troisième chapitre, l’analyse de la pauvreté en Tunisie fondée sur une approche multidimensionnelle est peu développée. L’étude la plus significative est celle d’Ayadi et al. (2005). Ces derniers ont construit un indicateur de richesse basé sur l’agrégation de plusieurs attributs de niveau de vie des ménages tunisiens pour étudier l’évolution de la pauvreté entre 1988 et 2001. Ils ont retenu onze attributs classés selon trois dimensions : possession de biens durables, conditions de logement et éducation. Cependant, de notre point de vue, cette étude contient deux limites fondamentales.

Premièrement, l’analyse d’Ayadi et al. (2005) ne contient pas d’indicateur nutritionnel alors que l’amélioration de l’état nutritionnel de l’enfant constitue le premier point des Objectifs du Millénaire pour le Développement. De même, l’UNICEF (2000) considère « qu’une réduction de la pauvreté de manière durable, passe par la réduction de la pauvreté infantile ». Une bonne nutrition protège la santé, réduit la mortalité, en particulier maternelle et infantile, et renforce

les capacités d’apprentissage des enfants. Une bonne nutrition est essentielle pour les personnes de tous âges afin d’être en bonne santé et de mener une vie productive, permettant de contribuer à la croissance économique et au développement social de leur pays. Inversement, la malnutrition sous toutes ses formes à un coût économique et social considérable pour les familles et les nations. Il paraît donc nécessaire d’étudier la pauvreté multidimensionnelle en utilisant deux indicateurs à savoir un indicateur de richesse et un indicateur nutritionnel pour mieux cerner le phénomène et fournir par conséquent des pistes d’interventions plus appropriées pour la réduction de la pauvreté.

Deuxièmement, l’utilisation d’un indicateur composite de pauvreté ne permet pas de saisir de façon précise les aspects de pauvreté dans chaque dimension du bien-être et, en conséquence, de reformuler des recommandations de politiques adéquates pour chaque dimension. De ce fait, une étude des privations au niveau de chaque dimension pourrait enrichir l’analyse du phénomène de pauvreté en Tunisie.

L’objet de ce chapitre est de proposer une analyse de la pauvreté en Tunisie tenant compte à la fois de la santé de nutritionnelle de l’enfant et de la nature multidimensionnelle du bien-être matériel dans la perspective d’appréhender le différentiel spatial de la pauvreté multidimensionnelle au niveau des différentes régions de la Tunisie. Puis, l’analyse sera approfondie afin d’identifier les dimensions du bien-être qui doivent être prises en compte pour réduire la pauvreté multidimensionnelle.

Ce chapitre est organisé en cinq sections. La section 1 présente les différentes approches permettant de mesurer la pauvreté multidimensionnelle. La section 2 développe la méthodologie d’estimation des indicateurs de bien-être. La section 3 expose le cadre théorique de l’approche de dominance stochastique. Une application empirique pour le cas de la Tunisie est ensuite réalisée dans la section 4. Enfin, la section 5 présente les conclusions et recommandations issues des résultats de notre étude.

Section 1. Mesure de la pauvreté multidimensionnelle

Au sein de la littérature actuelle, il est possible d’identifier plusieurs approches pour mesurer la pauvreté multidimensionnelle. Bibi (2002) les résume en deux catégories : les approches non axiomatiques et les approches axiomatiques. Parmi les mesures non axiomatiques, il y a la méthode des ensembles flous, l’approche de la fonction de distance, la théorie de l’information et les méthodes d’inertie qui se basent sur les analyses factorielles. Ces méthodes combinent plusieurs dimensions du bien-être en un indicateur unique, ce qui réduit l’analyse statistique au cadre traditionnel unidimensionnel.

Bourguignon et Chakravarty (2003) démontrent que les choix d’une mesure donnée, de même que les conclusions qui en découlent, comportent un degré d’arbitraire susceptible d’être réduit en choisissant des mesures de pauvreté fondées sur un certain nombre de postulats raisonnables. Ceci nous renvoie concrètement, aux approches axiomatiques dont l’idée de base est d’étendre certaines classes d’indices de pauvreté proposées dans le cadre de la pauvreté unidimensionnelle (Watts, 1968 ; Foster et al., 1984) à un contexte de pauvreté multidimensionnelle.