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Analyse de la pauvreté multidimensionnelle en Tunisie

Introduction

La persistance de la pauvreté et l’accroissement des inégalités constituent les problèmes majeurs qu’affrontent actuellement les pays en développement. Les engagements pris par la communauté internationale32 d’œuvrer dans la lutte contre la pauvreté sous toutes ses formes

d’ici 2015 renforcent le caractère prioritaire de cette thématique.

La notion de la pauvreté a évolué et s’est étendue à travers le temps. La littérature économique en la matière montre que les études sur la pauvreté peuvent être regroupées en deux approches majeures : l’approche unidimensionnelle et l’approche multidimensionnelle. De nombreuses études se sont fondées sur l’approche unidimensionnelle pour étudier la pauvreté en utilisant le revenu ou les dépenses comme seul indicateur de bien-être. Toutefois, il existe un consensus parmi les économistes sur le fait que la pauvreté est un phénomène multidimensionnel. Autrement dit, l’approche monétaire est insuffisante pour rendre compte d’un phénomène à plusieurs facettes et qui empêchent les personnes qui en sont touchées d’avoir une vie décente (Bennett et Mitra, 2011). Même avec un niveau de revenu permettant de satisfaire les besoins de base, il faut aussi que certains biens et infrastructures soient disponibles et accessibles dans la localité où l’on vit. Sous cet angle, on peut être condamné à boire de l’eau non potable même si l’on a les moyens financiers de se payer les services de la société des eaux de son lieu de résidence. On peut aussi avoir les moyens de s’offrir une éducation et ne pas être scolarisé faute d’école. Ou encore, on peut décéder des suites d’un petit malaise avant d’arriver à l’hôpital du simple fait que l’on habite loin de celui-ci. Ces situations constituent bien d’autres formes de conception de la pauvreté. Elles nous amènent à

affirmer que la pauvreté n’est pas seulement monétaire mais plutôt elle se présente comme un phénomène multidimensionnel. De plus, des conclusions récentes font valoir qu’une évolution du revenu n’explique que dans une faible mesure la variabilité de la qualité de vie : le revenu ne constitue pas donc un proxy des privations non monétaires (Laderchi et al., 2003 ; Alkire et Kumar, 2012 ; Alkire et al., 2014). D’où la nécessité de tenir compte de l’aspect multidimensionnel de la pauvreté pour mieux identifier les pauvres, afin de définir des stratégies efficaces de lutte permettant de sortir ces derniers de la pauvreté (Nolan et Whelan, 2011).

Comme le souligne Ben Hassine (2014), une appréhension multidimensionnelle de la pauvreté exige l’élaboration des mesures capables de refléter les différents aspects de la privation. Afin de rendre opératoire la nature multidimensionnelle de la pauvreté, de nombreuses méthodes de mesure ont été développées au cours des quinze dernières années ouvrant ainsi la voie à de nouvelles perspectives pour appréhender les multiples facettes de la pauvreté à l’échelle locale, nationale et internationale.

En ce qui concerne les travaux empiriques sur la pauvreté multidimensionnelle, il semble que deux voies d’investigation ont été adoptées : la première utilise des données agrégées permettant l’évaluation des carences que connaissent certains pays en termes de satisfaction des besoins élémentaires. L’indicateur IPH (indicateur de pauvreté humaine) fournit la principale application de cette orientation. La seconde voie, utilisant des données micro- économiques, explore, outre la dimension monétaire, les autres facteurs sources de privation. Depuis l’article pionnier de Sen (1976), les efforts pour la construction d’indice de pauvreté se sont multipliés. On cite à titre d’exemple, les travaux de Ton (1979), Kakwani (1980), Foster et al. (1984), etc. Les travaux les plus récents se concentrent sur la transposition des axiomes formulés dans le cadre unidimensionnel au cadre multidimensionnel dans le but d’obtenir les mesures adéquates33.

L’objectif de ce chapitre s’inscrit dans ce cadre et consiste à proposer une analyse de la pauvreté en Tunisie en utilisant l’approche multidimensionnelle.

Très peu d’études ont abordé l’aspect multidimensionnel de la pauvreté en Tunisie. Parmi celles-ci, on peut citer l’étude d’Ayadi et al. (2005) qui analyse l’évolution de la pauvreté et des inégalités entre 1988-2001 en se basant sur un indicateur composite de pauvreté. Bibi (2003) compare la pauvreté en Tunisie et en Egypte en adoptant une méthode qui distingue

33 On peut citer quelques références : Chakravarty et al. (1998), Tsui (2002), Bourguignon et Chakravarty (2003),

deux dimensions pour mesurer la pauvreté (les dépenses par tête et le nombre de chambre par personne) et en se basant sur l’approche de la dominance stochastique. Cependant, à notre connaissance, aucune étude n’a encore tenté de repérer les dimensions et les groupes de population où la pauvreté persiste et s’aggrave et où elle se réduit.

Dans ce chapitre, nous calculons un indice multidimensionnel de la pauvreté en Tunisie et nous procédons à la décomposition de cet indice suivant les différentes dimensions et suivant des sous-groupes de ménages. Pour cela, nous utilisons la théorie des ensembles flous. Comme nous le montrerons, cette approche permet l’obtention d’informations essentielles et utiles pour la mise en œuvre de politiques adéquates de lutte contre la pauvreté.

Le plan de ce chapitre est le suivant : la section 1 est consacrée à une brève présentation des différentes approches de la pauvreté. Dans la section 2, nous introduisons les mesures floues multidimensionnelles. La section 3 développe trois sortes de décomposition : la décomposition en groupes, la décomposition par attribut de Dagum et Costa (2004) et la décomposition multidimensionnelle. La section 4 est consacrée à l’application des méthodes de décomposition à l’enquête de l’Office National pour la Population et la Famille Tunisienne de l’année 2006. La section cinq conclut le travail.