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La mentalisation parentale dans le cadre de la théorie de l’attachement

En s’inscrivant dans le cadre de la théorie de l’attachement et du le fonctionnement du système de soins parentaux, et sur la base des études de Fonagy et collègues (Fonagy et al., 2003, 1991), Slade (2005) a développé le concept de mentalisation parentale. Celle-ci est définie comme la capacité du parent de percevoir et d’interpréter le comportement de l’enfant en tant que manifestation de son monde interne, habité par des états mentaux tels que des émotions, des intentions et des croyances. Un parent capable de mentalisation a construit un modèle mental relationnel où l’enfant est vu comme un sujet dont les comportements sont la manifestation extérieure de ses besoins intérieurs tant physiques que psychiques. Le parent mentalisant est également en mesure de comprendre l’influence que ses comportements parentaux peuvent avoir sur l’enfant en termes d’états mentaux que l’enfant même peut vivre. Comme suggéré déjà par Bowlby et élaboré ensuite avec la notion de mentalisation par Fonagy et Slade, le cerveau «fournit des modèles mentaux plus ou moins élaborés qui permettent d’effectuer, pour ainsi dire, des expériences à petite échelle dans la tête» du monde interpersonnel, ce qui permet «de comprendre la complexité du comportement, spécialement du comportement humain» (Bowlby, 1982, pp. 80–81). Les comportements de l’enfant exprimés dans l’interaction peuvent activer le système de soins parentaux et par conséquent déclencher la capacité de mentalisation : le parent simule donc dans la tête le fonctionnement de l’interaction parent-enfant expliqué en termes d’états mentaux.

La théorie de la mentalisation de Fonagy s’inscrit dans la théorie du fonctionnement des MIOs parentaux et l’enrichit grâce au développement de l’un de ses aspects centraux (Figure 1). En effet, si les MIOs du parent offrent un modèle représentationnel de l’interaction entre le parent et l’enfant, la théorie de la mentalisation permet d’interpréter les comportements de l’enfant et du parent même en termes d’états mentaux. En d’autres termes, les états mentaux sont vus comme les causes mentales probables des comportements et des échanges interactifs. Dans cette perspective, si la chaîne interactionnelle entre le parent et l’enfant est prévisible grâce

aux MIOs que le parent a de la relation, les processus de mentalisation permettent d’attribuer un sens logique et rationnel aux comportements de l’enfant (Dennett, 1971;

Fonagy et al., 2003).

Figure 1. Modèle de la relation parent-enfant impliquant les processus de mentalisation qui font partie du système de soins parentaux.

Sur la base de la théorie de la mentalisation de Fonagy, plusieurs auteurs ont commencé à s’intéresser aux processus de mentalisation parentale. Ils ont donc repenser le concept de sensitivity parentale et du fonctionnement des MIOs en termes de capacité à focaliser l’attention que le parent porte sur le monde mental de l’enfant, au lieu de s’arrêter sur le plan comportemental et sur la chaîne interactive entre le parent et l’enfant (Koren-Karie et al., 2002; Meins et al., 2001). Dans ce sens, les recherches montrent que lorsqu’un parent est en mesure de tenir compte du monde mental de l’enfant, alors il est probable que l’enfant développe un style d’attachement sécurisé, car ses comportements ont été perçus et correctement interprétés pare le parent sur la base des états mentaux sous-jacents. En revanche, un parent ayant une mentalisation déficitaire à l’égard de l’enfant a plus de risque que ce dernier développe un style d’attachement insécurisé (Grienenberger et al., 2005; Koren-Karie et al., 2002; Meins et al., 2001; Schechter et al., 2005; Slade, Grienenberger, et al., 2005).

La mentalisation déficitaire peut prendre différentes formes. Le parent peut avoir une totale absence de capacité à comprendre les comportements de l’enfant ou de

Système de soins parentaux

système d’attachement Modèle interne

opérant

parent

enfant processus de

mentalisation

comportement parental

comprendre l’effet que ses comportements pourraient avoir sur le monde intérieur de l’enfant (“je ne sais pas du tout pourquoi il s’est comporté ainsi”). Dans des formes moins extrêmes, le parent peut avoir la tendance à mal interpréter le comportement de l’enfant, par exemple en termes de traits de personnalité souvent négatifs (“il est toujours méchant, presque un diable”) ; il en va de même quand il est centré uniquement sur le monde extérieur et sur les comportements (“elle est jolie dans sa belle robe” ; “il va à l’école et fréquente d’autres enfants, c’est bien cela”) ; ou lorsqu’il se montre incapable de comprendre l’état d’anxiété (“la nuit il hurle, après il s’arrête, au fond rien ne l’a dérangé”) ; ou encore quand il se fonde sur des stéréotypes (“tous les enfants à cet âge-là se comportent ainsi, comme je l’ai lu dans ce livre”). Ces différents cas montrent que le parent ayant un déficit sur le plan de la mentalisation interprète le comportement de l’enfant sans focaliser son attention sur son monde mental.

Dans ce contexte, il est également nécessaire de mentionner le travail clinique de Selma Fraiberg (1974; 1980) qui a contribué de manière indirecte au développement de la théorie de la mentalisation. Bien qu’elle n’ait pas utilisé ce terme, elle a conçu la forme de psychothérapie mère-enfant d’orientation psycho-dynamique sur la base d’interventions visant le développement de la capacité maternelle à lire les signaux de l’enfant pour lui permettre d’amener à la conscience l’expérience du monde interne de l’enfant. Elle a observé que les parents dont l’enfant présente des troubles fonctionnels, ont souvent une difficulté à focaliser leur attention sur certains comportements et certaines émotions de leur enfant. Pour cela, ils ne parviennent pas à les interpréter de manière correcte. Sur la base de cette constatation, Fraiberg suggère que le travail thérapeutique doit se focaliser sur des interventions permettant au parent d’éliminer les défenses qui l’empêchent de percevoir et de comprendre le monde émotionnel de l’enfant afin d’adopter son point de vue. Des études centrées sur l’intervention ciblant la capacité mentalisante du parent ont montré des changements, à la fois dans le comportement parental, ainsi que dans le changement de style d’attachement chez l’enfant (Emde, 1990; Robert-Tissot et al., 1996; Rusconi-Serpa, Rossignol, &

McDonough, 2009; Schechter et al., 2006; Slade, Grienenberger, et al., 2005).

Dans les sous-chapitres suivants, nous allons exposer le concept de mentalisation, son fonctionnement, ainsi que les bases théoriques sur lesquelles il a été conçu. Comme nous allons le voir, il ne s’agit pas d’un concept unitaire. Afin d’en comprendre la fonctionnement, nous allons baser la théorie de la mentalisation sur la perspective

adoptée par des nombreux chercheurs qui considèrent cette capacité comme un processus multi-facette (Decety & Jackson, 2004; Fonagy & Luyten, 2009; Frith &

Frith, 2008). Même si ce travail de recherche cible la mentalisation que les parents manifestent spécifiquement au sein de la famille, et même s’il s’inscrit au sein du cadre de la théorie de l’attachement, nous allons traiter certains aspects de ce concept sur la base de recherches effectuées dans d’autres populations et dans d’autres perspectives théoriques. Ce choix est dû principalement au fait que la théorie du fonctionnement de la mentalisation parentale se base sur des recherches effectuées en psychologie du développement et en psychologie cognitive, ayant été élaborées à partir de l’étude de la mentalisation chez le jeune enfant. C’est pourquoi, dans les prochains trois sous-chapitres, nous allons employer cette littérature afin de placer le concept de mentalisation au niveau théorique.

2.3. Définition de la mentalisation en tant que capacité