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Les expériences d’oscillations permettent de mettre en évidence que les neutrinos ont une masse, mais également de mesurer les écarts entre différents états de masse. Cependant, de nombreuses questions restent en suspens quant aux valeurs absolues de ces masses, leur hiérar- chie et le mécanisme qui les génère. Les expériences permettant d’éclairer ces problématiques seront présentées.

2.2.1 Hiérarchie des masses

Le signe de ∆m2

31n’étant pas contraint par les expériences d’oscillations, deux cas de figure

sont envisageables :

– une hiérarchie dite normale car les états propres de masses sont ordonnées par ordre crois- sant dans la notation que l’usage a consacrée (∆m2

31> 0et partant m1< m2 < m3),

– une hiérarchie dite inversée car les états propres de masses ne s’ordonnent plus par ordre croissant dans la notation habituelle (∆m2

31< 0et partant m3 < m1 < m2).

La figure 2.9 représente ces deux configurations, en même temps que la composition des différents états de masse en terme de saveurs.

0 0 m3² m1² m2² m1² m2² m3² atmospheric ~ 2 x 10-3eV2 solar ~ 7 x 10-5eV2 atmospheric ~ 2 x 10-3eV2 solar ~ 7 x 10-5eV2 Normal Inverted νe νμ ντ ? ?

Figure 2.9 –Représentation des états de masse dans le cas de hiérarchies normale ou inver- sée. La composition des états de masse en terme de saveurs νe, νµet ντest présentée [81].

Outre l’incertitude quant à la hiérarchie, la valeur absolue de ces masses n’est pas non plus déterminée. Par commodité, on a l’habitude d’exprimer les masses en fonction de la plus faible. Ainsi pour une hiérarchie normale obtient-on :

   m2 = q m21+ ∆m221 m3 = q m2 1+ ∆m221+ ∆m232 (2.11) On remarque que si m2

1 est inférieure à ∆m232, les trois masses sont bien distinctes. En re-

vanche, lorsque m2

36 De la physique des neutrinos de cas quasi dégénéré. m 3 m 2 m 1 m 1 [eV℄ m [ eV ℄ 10 0 10 1 10 2 10 3 10 4 10 0 10 1 10 2 10 3 10 4 NORMAL HIERARCHY QUASI DEGENERATE m 2 m 1 m 3 m 3 [eV℄ m [ eV ℄ 10 0 10 1 10 2 10 3 10 4 10 0 10 1 10 2 10 3 10 4 INVERTED HIERARCHY QUASI DEGENERATE

Figure 2.10 –Masses absolues des neutrinos représentées en fonction de la masse la plus faible dans le cas d’une hiérarchie normale (à gauche) ou inversée (à droite) [82].

De même, pour une hiérarchie inversée, on obtient :

   m1 = q m2 3− ∆m231 m2 = q m23− ∆m231+ ∆m221 (2.12)

Dans ce cas, quelle que soit la valeur de m3, les masses m1 et m2 sont quasi dégénérées. Si

m3 est grand devant ∆m231, les trois masses sont très proches.

Ces considérations sont résumées par les deux courbes figure 2.10 pour les deux hiérarchies possibles.

En plus des contraintes cosmologiques, l’échelle absolue des états de masse des neutrinos peut être obtenue par l’étude du spectre des désintégrations β, en particulier celle du tritium, ou bien par l’étude de la double décroissance β sans émission de neutrino.

2.2.2 Décroissance β du tritium

Lors d’une désintégration β−, électron et antineutrino se partagent l’énergie disponible de la

transition. Dans l’hypothèse d’un neutrino sans masse, l’énergie cinétique maximale de l’électron correspond à l’intégralité de l’énergie disponible E0. À l’inverse, si le neutrino émis possède une

masse m¯νe, cette énergie maximale devient E0− m¯νe (cf. Fig. 2.11), ouvrant ainsi la possibilité

d’une mesure de la masse effective du neutrino de saveur électronique [83, 84, 85] :

mνe = s X k |U2 ek| m2k (2.13)

La masse attendue des ¯νe étant faible, il faut une énergie de transition basse pour y être

sensible. Avec une énergie disponible de 18,6 keV, le tritium constitue un bon candidat. En outre, il s’agit d’une transition super permise, toutes les corrections à la théorie de Fermi peuvent être maîtrisées avec précision pour ce noyau demeurant relativement simple.

Chapitre 2 : Situation expérimentale : masses et paramètres de mélange 37

ν

m = 1 eV

ν m = 0 eV

Figure 2.11 –Partie supérieure du spectre de l’électron émis dans la désintégration du tri- tium pour mν¯e = 0et pour m¯νe = 1 eV[86].

Figure 2.12 – Spectre d’énergie de la

double désintégration β : contributions avec et sans émission de neutrino [87].

Les expériences Mainz et Troitzk ont permis de donner les limites supérieures suivantes : mν¯e < 2,3 eV[88] et mν¯e < 2,1 eV[89] respectivement. L’expérience KATRIN a été conçue pour

atteindre une sensibilité de 0,2 eV [86].

Les masses effectives des νµ et ντ peuvent être évaluées en étudiant respectivement l’im-

pulsion des muons dans la désintégration des pions π+ → µ++ ν

µ et la forme du spectre des

produits de la désintégration du lepton τ. Les limites suivantes ont été obtenues :

mνµ < 170 keV [90] et mντ< 18,2 MeV [91] (2.14)

2.2.3 Double décroissance β sans émission de neutrino

L’étude de la double décroissance β peut être riche d’enseignements pour la physique des particules. Elle consiste en la transformation simultanée de deux neutrons en protons. Elle est possible pour certains noyaux pairs–pairs pour lesquels une désintégration β est interdite. Deux processus se distinguent :

A

ZX →Z+2AY + 2 e−+ 2 ¯νe (2.15)

A

ZX →Z+2AY + 2 e− (2.16)

Le premier constitue une double décroissance β « classique » que l’on note 2νββ et qui a été observée, tandis que le second, sans émission de neutrinos, noté 0νββ, comporte une violation de la conservation du nombre leptonique L. L’interprétation courante de ce phénomène implique que les neutrinos soient des particules de Majorana1.

En considérant les énergies de liaison des noyaux, on peut déterminer que la double décrois- sance β n’est possible que pour 35 noyaux, dont neuf seulement se révèlent prometteurs dans une perspective expérimentale [92]. Parmi ceux-ci aucun ne se dégage particulièrement, des compro- mis doivent être trouvés entre abondance naturelle, enrichissement, réalisation expérimentale, couplage avec une technique de détection bien maîtrisée et énergie de la transition.

L’existence de la double décroissance β se traduit par la présence d’un pic dans le spectre des électrons émis à l’énergie disponible de la transition (cf. Fig. 2.12). Le rapport de branchement

38 De la physique des neutrinos

de cette décroissance dépend du mécanisme qui en est à l’origine. Dans l’hypothèse de neutrinos de Majorana, le rapport de branchement est directement relié à la masse effective de Majorana :

mββ = X k Uek2 mk (2.17)

Une partie de la collaboration de l’expérience Heidelberg–Moscow a publié dans les années deux mille des résultats tendant à démontrer l’observation de la double décroissance β sans émission de neutrino du germanium 76 [93] avec une période T0ν

1⁄2de :

T0ν

1⁄2= 1,5

+16,8

−0,7 · 1025années (2.18)

Il s’agit du seul signe observé actuellement, et ces résultats se trouvent en contradiction avec les autres mesures, en particulier avec les résultats récents de Gerda [94].

Les expériences en cours, entre autres Super-NEMO et Gerda, permettront d’ici quelques années de descendre à des sensibilités de quelques dizaines de meV sur la masse effective de Ma- jorana, permettant de mesurer cette dernière dans le cas d’une hiérarchie inversée.