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Quantification et spatialisation de l’érosion à une échelle pluri-décennale : le RUM

3.1. Comment mesurer l’érosion à une échelle-pluri-décennale ?

3.1.1. Les marqueurs géochimiques

Le Césium 137

L’utilisation du Césium 137 comme marqueur passif des transferts de matière à l’intérieur des bassins versants s’est considérablement développée depuis les années 1990, et a constitué une révolution dans le monde de la quantification de l’érosion des sols.

Ce radionucléide artificiel (T1/2 = 30 ans), issu de la fission nucléaire utilisée dans les bombes et dans les centrales électriques, a connu deux phases d’émission à la surface de la Terre : les essais nucléaires débutés en 1954, et l’explosion de la Centrale de Tchernobyl en 1986. En circulant avec les courants atmosphériques, puis en retombant avec les précipitations, le 137Cs s’est accumulé dans les sols à la surface de la Terre de manière hétérogène, en fonction de la proximité des points de contamination, des vents et des précipitations. A une échelle locale cependant, par exemple à l’échelle d’un versant agricole, la quantité de Césium reçue par unité de surface de sol peut être considérée comme homogène (variation de 10 à 30%). Sa fixation aux fractions argileuses dans les cinquante premiers centimètres du sol permet donc au 137Cs d’être quantifié par la mesure de la radioactivité du sol (McHenry and Ritchie, 1977 ; Quine, 1989 ; Walling and Quine, 1990 ; Quine and Walling, 1991 ; Ritchie and McHenry, 1990).

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La migration des matériaux de sol, dont la fraction fine est la plus susceptible d’être transportée par le ruissellement, va modifier la quantité et la distribution du 137Cs dans le sol. Cette modification se fait verticalement par ablation du sol ou épaississement, horizontalement par redistribution de la matière dans un espace (champ, bassin versant), et quantitativement par augmentation ou diminution de la quantité totale de 137Cs en un point de l’espace. En se référant à un point de référence, où il n’y a eu aucun remaniement sédimentaire (érosion, transport, dépôt) et/ou anthropique (labours), la profondeur maximale du 137Cs dans le sol permet de connaître la variation de la topographie. La connaissance de la distribution de 137Cs dans les sols (Figure 3.1) permet d’estimer la quantité de matériau déplacé depuis les premières émissions de 137Cs dans l’atmosphère, c'est-à-dire obtenir une image de la redistribution de matière à l’intérieur d’une parcelle ou d’un bassin versant depuis les années 1950 (1954 exactement ; Navas et al., 2004).

Les mesures de l’activité du 137Cs peuvent être utilisées de deux manières, l’une qualitative, l’autre quantitative. La première utilisation s’appuie sur les profils du 137Cs , en se référant à un profil idéalement logarithmique qui fournit le profil de distribution de 137Cs dans un sol, pour estimer la tranche de sol qui a été remaniée par érosion ou dépôt (Figure 3.1). Généralement, la résolution verticale est de 5 cm.

Figure 3.1. Distribution verticale du 137Cs dans des sols sur lœss en Chine (In : Zhang et al., 1998). (a) : site de

référence, avec diminution du 137Cs depuis la surface jusqu’à 35 cm de profondeur ; (b) : site en érosion, avec

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Figure 3.2. Cartographie d’un versant en Calabre (In : Porto et al., 2001). La résolution d’échantillonnage est d’une vingtaine de mètres. Ici, la variabilité des vitesses d’érosion est reliée à celle du couvert végétal.

La répétition des mesures permet d’obtenir une image de la distribution des processus érosion/transport/dépôt, d’autant plus précise que la résolution est forte. On peut ainsi cartographier la redistribution des sédiments à l’échelle d’un bassin versant ou d’une parcelle (Figure 3.2), en reliant taux de 137Cs et flux sédimentaire.

La seconde approche va considérer la mesure de l’activité totale de rayonnement dans le sol (par unité de surface), qui est théoriquement proportionnelle à la quantité préservée dans le sol. On suppose alors que le rayonnement total reflète la quantité totale. Cette méthode est alors plutôt employée dans le cas de sols remaniés par l’agriculture car les profils n’ont pas d’importance puisque les labours vont homogénéiser la couche supérieure (Brown et al., 1995). La mesure du rayonnement total peut être alors utilisée pour tester des paramètres topographiques, comme la courbure topographique (Figure 3.3).

Figure 3.3. Distribution de la quantité de 137Cs sur un versant non-anthropisé du Kansas, en fonction de la courbure topographique (In : Kaste et al., 2006).

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Ici, sur une cinquantaine d’années, les effets de la courbure topographique sont restitués dans la variation de l’activité du césium, avec une augmentation de la teneur sur les profils concaves (-) et une diminution sur des profils convexes (+) par rapport à des profils plans.

La conversion des mesures de 137Cs dans le sol en flux sédimentaire est en revanche encore beaucoup discutée. En effet, pour calibrer ces mesures, le transport des sédiments est supposé être indépendant de la granulométrie ; si tel n’est pas le cas, il est alors nécessaire de connaître la granulométrie d’origine et la comparer à l’actuelle, pour connaître le type de sédiments qui ont été privilégiés par le transport. En outre, il existe actuellement plusieurs modèles de conversion des taux de 137Cs en érosion (Walling et Quine, 1990; Chappell, 1999 ; Porto et al., 2003 ; Heuvelink et al., 2006). Le 137Cs est un excellent traceur qualitatif qui permet de spatialiser les phénomènes redistribution des sédiments et permet de partitionner les processus d’érosion et de dépôt en se référant à une valeur référence. Certaines approches permettent d’affiner et de préciser la signification des mesures de 137Cs (Porto et al., 2001 ; Ritchie et al., 2005). A l’heure actuelle, cette conversion est encore sujette à de nombreux débats qui devraient s’estomper avec la multiplication des données (Chappell, 1999 ; Porto et al., 2003). La résolution spatiale de cette approche est fortement limitée par le temps et le coût nécessaires à une campagne de mesures.

Est-il possible d’utiliser la mesure du Césium dans les vignes ? Hilfiker et Dominik (1989) ont quantifié l’activité du 137Cs sur des sols viticoles du canton de Vaud (Suisse) quelques mois après l’accident de Tchernobyl. Cette étude a permis de tester la faisabilité de l’utilisation des isotopes du césium pour quantifier l’ablation des sols. Les mesures ayant été réalisées peu de temps après la catastrophe, les profils de radioactivité reflétaient une distribution peu remaniée par les labours (mais déjà remaniée par l’érosion), et les auteurs insistent sur le fait que cette méthode s’applique mal aux sols « faiblement ou moyennement érodés ». L’utilisation du 137Cs dans les vignes a été testée en Australie sur des vignobles sur pentes modérées (Krause et al., 2003 ; Loughran and Balog, 2005). Outre le fait que les flux calculés marquent une sensibilité extrême des sols à l’érosion par rapport à d’autres contextes d’occupation des sols, et que les valeurs des flux sont extrêmement homogènes pour l’ensemble des mesures effectuées, ils mettent en évidence l’impact de l’enherbement sur la limitation du ruissellement et de l’érosion (comparaison de l’activité totale avant et après enherbement). Les données ne permettent pas en revanche de relier les flux avec des paramètres topographiques. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette non-relation. D’une part, les intenses remaniements de sols (labours, griffages, remontées de terre) font que les horizons des sols viticoles sont susceptibles d’être très perturbés. D’autres parts, le 137Cs s’appuie sur la mesure de la radioactivité dans les fractions fines des sédiments. Les labours ont pour effet de réhomogénéiser les horizons les plus superficiels, et donc vont potentiellement diminuer la teneur en 137Cs. La connaissance de l’impact des labours sur la redistribution des sédiments (verticalement mais également horizontalement entre le rang et l’interrang) est donc préalablement nécessaire à toute campagne de mesures.

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Les autres marqueurs chimiques

D’autres traceurs géochimiques d’origine naturelle ou anthropique existent pour tracer la diffusion des sédiments sur les versants sur des échelles pluri-décennales, comme le 210Pb (T1/2 = 22,3) et le 7Be (T1/2 = 53 jours) (Hilfiker et Dominik, 1989 ; Whiting et al., 2001, Walling et al., 2003). Des études ont couplées la mesure de l’érosion en utilisant plusieurs marqueurs géochimiques (Walling et al., 2003; Zhang et al., 2006). L’étude de Van der Perk et Jetten (2006) sur des parcelles viticoles du Sud de la France ont montré que la distribution et la quantité de cuivre (introduites par la « bouillie bordelaise ») dans les horizons de surface peut être simplement reliée à un modèle prédictif de l’érosion. En comparant cette distribution spatiale à la perte en sol théorique, il est montré que la mesure de la redistribution du cuivre dans les parcelles permet de fournir une image de l’intensité des processus d’érosion l’échelle d’une parcelle (Figure 3.4).

Figure 3.4. Distribution de la quantité de Cu dans les horizons de surface de deux parcelles viticoles dans le Sud de la France. Ici, les rangs sont dans le sens de la pente. Cette distribution répond à des modèles empiriques de l’érosion (In : Van der Perk and Jetten, 2006).