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Chapitre IV – Le nouveau système géopolitique

2. La marque orpheline de Wilson

a. Dissonance entre principes légaux et raison d’État

Outre la sensible incapacité de la SDN à assurer la paix et la sécurité en Europe, l’ordre wilsonien est porteur d’une idéologie nouvelle à laquelle la France n’adhère initialement pas. Au cours des négociations de paix de la Grande Guerre, Clemenceau envisage un temps de suivre l’exemple de Richelieu aux négociations de Westphalie. En héritier de la tradition de Realpolitik à la française, « le Tigre » est conscient que la menace de l’impérialisme allemand ne peut être neutralisée que par le démantèlement de l’Empire en plusieurs États. En l’occurrence, sa proposition est de créer un État tampon en Rhénanie. Après tout, le sort réservé à l’Autriche-Hongrie et à l’Empire ottoman est bien plus radical. Pourtant, Londres et Washington s’inscrivent en faux et poussent la France à abandonner ce projet. Ce n’est qu’en échange de traités de garantie avec les États-Unis et le Royaume-Uni que Paris consent à renoncer à la fragmentation de l’Allemagne. Signés le 28 juin 1919, les traités de garantie franco-américain et franco-britannique prévoient une alliance militaire immédiate des trois parties en cas d’agression allemande injustifiée des frontières françaises ou belges576. Cependant, ces traités contiennent une clause de solidarité impliquant que l’annulation de l’un des deux entraîne l’annulation de l’autre577. Or malheureusement, les promesses des Anglo-Saxons sont déshonorées : le Sénat étatsunien refuse d’assumer toute responsabilité en Europe, rendant le projet de garantie impossible, au plus grand bonheur des Britanniques578. Une fois de plus, la France se sent trahie par ses alliés, contrainte à abandonner ce qu’elle considérait comme la clef de voûte de la paix, sans contrepartie. En réalité, Britanniques et Américains vont à l’encontre de Paris car leurs intérêts sont opposés concernant l’Allemagne, principalement pour des raisons économiques579. Pourtant, c’est aussi et surtout grâce à l’habillage des principes wilsoniens que la position anglo-saxonne l’emporte. En effet, Vienne et Istanbul exerçaient leur domination sur de nombreux peuples, justifiant la scission de leurs États. Au contraire, l’Empire allemand est beaucoup plus homogène, si l’on exclut notamment les territoires qu’il cède à la Pologne. Ainsi, en vertu du

576 DUROSELLE (J.-B.), Histoire des relations internationales de 1919 à 1945, Paris, Tome 1, 12e édition, Armand Colin, 2001, p.11.

577 Ibid.

578 Ibid ; HIKKANNEN-LIEVONEN (M.-L.), British Trade and Enterprise in the Baltic States: 1919-1925, Suomen Historiallien Seura, 1984, p.30.

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principe de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, il est difficile de justifier la destruction de l’Empire allemand car celui-ci est considéré comme un État-nation580. L’idéologie wilsonienne, progressiste, est alors incompatible avec l’idée d’un retour, d’une régression sur cet acquis du XIXe siècle qu’est l’unité allemande. Or en réalité, cette idéologie du droit des nationalités brandie par Wilson n’est qu’un retour des idées de Napoléon III, sur lesquelles les Français n'ont, au fond, rien à redire. Ce n’est donc qu’en vertu d’appréciations géostratégiques que la France s’oppose à ses deux alliés. Or sur ce point, Wilson et Lloyd George estiment que les craintes de Paris sont infondées.

Non sans une certaine ironie, les Américains sont finalement les plus en rupture avec la vision wilsonienne. En effet, nous l’avons évoqué précédemment, Wilson n’est pas soutenu par les institutions ni l’opinion politique étatsuniennes, majoritairement isolationnistes. Contrairement à la France qui tente péniblement de faire concorder ses intérêts nationaux avec le nouvel ordre européen, les États-Unis refusent de ratifier le Traité de Versailles, refusent de rejoindre la SDN, et refusent de participer à l’arbitrage international à travers la Conférence des Ambassadeurs. De toute évidence, le comportement de Washington est problématique pour l’Europe de l’Entre-deux-guerres. D’un côté, Wilson impose une vision idéologique de détente, s’opposant aux sanctions radicales et aux réparations trop élevées. D’un autre côté, les États-Unis ne veulent souffrir d’aucun délai pour le remboursement des dettes interalliées, poussant les États les plus meurtris (dont la France) à se reposer sur les réparations allemandes pour les payer581. Le retrait des États-Unis du système wilsonien constitue en soi une des principales causes de l’instabilité européenne des années 1920-1930582.

Hybride bâtard de deux conceptions opposées, le Traité de Versailles porte autant la marque de la Realpolitik française que celle des idéaux wilsoniens. La pensée anglo-saxonne est magistralement résumée par John Maynard Keynes. Dans un essai publié en 1919, ce 580 Évidemment, l’homogénéité allemande reste une appréciation subjective. Il est possible d’observer des différences linguistiques et culturelles factuelles entre les différentes régions de l’Allemagne, comme entre la Bavière et la Prusse par exemple. Quant à savoir si ces différences ont une importance, cela relève surtout d’un parti-pris politique. On peut constater dans le cas de l’Italie, qu’il est possible d’unifier la nation sans considérer les variantes dialectales comme un obstacle. Au contraire, on peut voir avec l’exemple de la Russie, que la sécession de l’Ukraine est légitimée sur la base de ces mêmes variantes dialectales.

581 Ce phénomène se reproduit au cours de l’Entre-deux-guerres. Les États-Unis octroient des prêts importants aux banques européennes au cours des années 1920, mais exigent des remboursements immédiats tout en effectuant des retraits massifs suite à la crise économique de 1929. De nombreuses banques européennes font faillite dont la banque autrichienne Kredit Anstalt à Vienne.

Voir DUROSELLE (J.-B.), Histoire des relations… op.cit., p.139.

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dernier dénonce ouvertement les clauses économiques intransigeantes que la France583 est parvenue à intégrer au traité584. Naturellement, si l’essai de Keynes connaît un succès incontestable en termes de ventes (y compris en France), il ne manque pas d’essuyer nombre de critiques et de réfutations. On peut citer notamment celle d’Étienne Mantoux, effectuée a

posteriori, constatant avec recul les erreurs de Keynes dans un ouvrage publié post mortem

en 1946.

[…] le Traité qui devait détruire l’organisation économique de l’Europe, non seulement n’eut pas cet effet, mais n’empêcha même pas l’activité économique de se relever jusqu’à des niveaux qui dépassèrent souvent ceux d’avant 1914, malgré tous les ravages causés par quatre années de guerre ininterrompue585.

Contraires et irréconciliables, les conceptions française et anglo-saxonne s’affrontent au sein même des termes de la paix. Fruit d’un affrontement de stratégies, le Traité de Versailles est à la fois intransigeant et laxiste, car il contient en lui la dissonance de ce double paradigme. En résumé, c’est un compromis maladroit et décevant pour toutes les parties.

583 Bien que nous ne les mentionnions pas, la Belgique et l’Italie sont généralement solidaires des vues françaises à Versailles.

584 KEYNES (J.), Les conséquences économiques de la paix, Paris, Éditions de la Nouvelle Revue Française, 1920, <http://classiques.uqac.ca/classiques/keynes_john_maynard/consequences_paix_1/paix_1.html>, [Consulté le 19.01.2021].

585 MANTOUX (É.), La paix calomniée ou les conséquences économiques de M. Keynes, Paris, Gallimard, 1946, p.259, <http://classiques.uqac.ca/classiques/mantoux_etienne/paix_calomniee/paix_calomniee.html>,

159 b. Locarno

Le vieux continent au début des années 1920 n’est pas des plus tranquilles. L’Ouest est tacitement fracturé entre Paris et Londres qui adoptent des comportements antagonistes vis-à-vis de l’Allemagne. Cette Allemagne, d’ailleurs, ne remplit pas ses obligations en termes de réparations, ce qui ajoute de la tension à la tension, et se traduit par une escalade de fermeté de la part de la France586. Quant à l’Est, l’URSS est tout simplement hors du système de Versailles, et la zone de contact entre elle et l’Europe centrale est soumise à la loi des rapports de force. De toute évidence, la paix a été mal conclue à l’Ouest et mal imposée à l’Est, laissant le continent dans un état d’instabilité insupportable. Pour y remédier, les grandes puissances (sauf l’URSS) cherchent à atteindre un véritable compromis capable de mettre fin aux tensions qui empoisonnent ce début d’après-guerre. Les Britanniques s’investissent politiquement, et même les États-Unis se penchent sur le problème. Puisque le processus de détente en Europe de l’Ouest échappe en grande partie à notre sujet, nous nous focaliserons directement sur sa conclusion et ses conséquences. Un compromis est atteint entre les intérêts de Londres, Paris et Weimar, il se traduit par deux points clefs : le plan Dawes et les accords de Locarno.

Le plan Dawes est un ré-échelonnage des paiements de réparations que doit effectuer l’Allemagne, réalisé par un comité d’experts sous la direction de l’Américain Charles Dawes. Il consiste à étaler les paiements sur une plus grande période, et octroyer un prêt de 200 millions de dollars à l’Allemagne. Ce plan est adopté à l’issue de la conférence de Londres, le 16 août 1924. Il s’agit sans aucun doute d’une détente qui permet de soulager les relations franco-allemandes particulièrement calamiteuses depuis 1923. La Ruhr est libérée, mais les Allemands protestent car ils ne parviennent pas à obtenir l’évacuation de Düsseldorf587. Quant aux accords de Locarno, signés les 15 et 16 octobre 1925, il s’agit d’un regroupement de sept traités internationaux, dont le plus important est sans aucun doute le pacte Rhénan. Par ce dernier, France, Allemagne, Italie, Belgique et Grande-Bretagne s’accordent pour bannir toute menace de guerre, et garantir collectivement les frontières germano-belges et

586 Les troupes françaises occupent la Rhénanie, et depuis 1923, la Ruhr.

587 « Conference Ended – Dawes Scheme to be Applied », The Times, no43733, Londres, 19.08.1924, p.10, <http://link.gale.com/apps/doc/CS167974674/TTDA?u=unilille&sid=zotero&xid=7fc1cdb1>, [Consulté le 30.11.2020].

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germano-françaises, ainsi que le statut démilitarisé de la Rhénanie588. Toute violation de ces frontières ou remilitarisation de la Rhénanie, engage les États signataires à former une coalition contre le rompeur du statu quo589. Les accords de Locarno sont accompagnés de la libération de Düsseldorf et de l’entrée de la République de Weimar dans la SDN. Ce dernier point fait d’ailleurs partie de ceux qui posent le plus problème lors des négociations590. À ce sujet, Nemanov note dans Сегодня que si les participants à la conférence de Locarno on fait leur possible pour ne pas évoquer l’URSS « comme si elle n’existait pas », ils ont quand même dû en parler par rapport à l’article 16 du pacte de la SDN591. Ne parvenant pas à s’assurer du soutien de Stresemann, les puissances locarniennes décident de dispenser l’Allemagne de toute obligation en s’inspirant d’une formule de l’article 11 du protocole de Genève592. Ainsi l’Allemagne se trouve-t-elle exemptée des obligations de l’article 16, sous prétexte de son désarmement. Les Français peinent à pardonner aux Britanniques le blocage de ce même protocole quelques temps auparavant.

M. Chamberlain, qui enterrait le protocole en mars dernier, y cherche lui-même avec empressement la base même du pacte de garantie ? On peut mesurer aujourd’hui le chemin qui a été parcouru en six mois. En tant qu’instrument universel de la paix européenne, le protocole est abandonné ou ajourné ; mais il est plus vivant que jamais comme règlement d’administration du covenant et comme fondement de tous les accords régionaux par lesquels on cherche à le remplacer593.

588 « Les Hautes Parties contractantes garantissent individuellement et collectivement […] le maintien du statu

quo territorial résultant des frontières entre l’Allemagne et la Belgique et entre l’Allemagne et la France, et

l’inviolabilité desdites frontières telles qu’elles sont fixées par ou en exécution du Traité de paix signé à Versailles le 28 juin 1919, ainsi que l’observation des dispositions des articles 42 et 43 dudit Traité, concernant la zone démilitarisée ». « L’Allemagne et la Belgique, de même que l’Allemagne et la France s’engagent réciproquement à ne se livrer de part et d’autre à aucune attaque ou invasion et à ne recourir de part et d’autre en aucun cas à la guerre ».

Traité entre l’Allemagne, la Belgique, la France, la Grande-Bretagne et l’Italie, signé à Locarno le 16.10.1925,

entré en vigueur le 01.12.1925, art.1-2, <https://www.wdl.org/fr/item/11586/>, [Consulté le 01.12.2020].

589 « […] En cas de violation flagrante de l’article 2 du présent Traité ou de contravention flagrante aux articles 42 ou 43 du Traité de Versailles par l’une des Hautes Parties contractantes, chacune des autres Puissances contractantes s’engage dès à présent à prêter immédiatement son assistance à la Partie contre laquelle une telle violation ou contravention aura été dirigée […] en raison soit du franchissement de la frontière soit, soit de l’ouverture des hostilités, ou du rassemblement de forces armées dans la zone démilitarisée une action immédiate est nécessaire ».

Ibid., art.4.

590 Le problème concerne les obligations de solidarité économique et militaire entre les membres de la SDN.

Traité de Versailles, signé à Versailles le 28 juin 1919, entré en vigueur le 10.01.1920, art.16.

591 НЕМАНОВЪ (Л.), « Восточная или западная орiентацiя ? [Orientation orientale ou occidentale ?] »,

Сегодня, no232, Riga, 15.10.1925, <

http://www.periodika.lv/periodika2-viewer/view/index-dev.html?lang=fr#panel:pa|issue:/p_001_sego1925n232|article:DIVL5|issueType:P>, [Consulté le 21.03.2020].

592 « dans la mesure que lui permettent sa situation géographique et les conditions spéciales de ses armements ».

593 « La logique du protocole, ou comment on revient de Locarno à Genève », L’Europe Nouvelle, no400, Paris, 17.10.1925, p.1370, <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k455061t/f2.item>, [Consulté le 01.12.2020].

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La déception des Français est compréhensible, car ils se sentent entravés en permanence par leur allié anglais dans leurs projets de sécurité universelle. Pour autant, si Locarno est un projet de paix strictement régional, il est efficace et très bien conçu, et c’est justement sa dimension restreinte qui le rend réalisable594. Jon Jacobson présente la chose ainsi :

Avec l’établissement des réparations [selon le plan] Dawes, les traités de sécurité de Locarno mirent fin à la “guerre après la guerre” […] Locarno réinventa la paix après la Grande Guerre sur des termes mis-à-jours, post 1919595.

En réalité, il n’y a pas grand-chose à reprocher à la détente locarnienne en elle-même. C’est plutôt le manque de consultations mutuelles entre Paris et Londres qui tendent à minimiser l’efficacité du pacte sur le long terme596.

Les Français ne sont pas les seuls à regretter l’établissement d’un système de sécurité plus global. En effet, les Baltes sont peut-être même les plus clairvoyants dans cette histoire, car ils comprennent instantanément que Locarno constitue la fin d’une ère en Europe de l’Est. En effet, la détente entre la France et l’Allemagne pourrait se ressentir, d’autant plus que les accords de Locarno semblent ne limiter aucunement ni le révisionnisme allemand, ni la relation germano-soviétique. Nemanov est notamment déçu que les Occidentaux aient accepté de céder face à l’Allemagne sur les obligations de l’article 16 de la SDN, aussi bien militaires qu’économiques. De plus, Stresemann refuse de prendre part à toute action contre l’URSS, même si celle-ci venait à agresser la Roumanie, la Pologne ou un autre État de la SDN. Autrement dit, l’Allemagne souhaite entrer dans la SDN, mais en refusant ses articles 10 et 16597. Cette relative inquiétude n’est pas partagée en Pologne, où l’on estime l’accord d’arbitrage germano-polonais598 comme une victoire satisfaisante pour la sécurité des frontières599. La confiance des Polonais n’est cependant que de courte durée, car Locarno marque le début des graves complications géopolitiques pour Varsovie600.

594 Dans le cadre d’un projet plus large, les Britanniques auraient encore et toujours refusé de s’engager au-delà du Rhin, quant à l’Allemagne, elle n’aurait pas garanti des frontières qu’elle veut violer à terme.

595 JACOBSON (J.), «Locarno, Britain and the Security of Europe», dans JOHNSON Gaynor, Locarno Revisited:

European Diplomacy 1920-1929, Routledge, pp.8-22, p.8,

<http://www.taylorfrancis.com/books/e/9780203327753>, [Consulté le 29.09.2020].

596 Ibid.

597 НЕМАНОВЪ (Л.), « Восточная или западная… op.cit. ».

598 Cela fait partie des sept accords de Locarno, avec le pacte Rhénan et les autres traités d’arbitrage.

599 « Успешное окончанiе конференцiи Локарно – Варшава довольна Локарно [Succès de la conclusion de la conférence de Locarno – Varsovie satisfaite de Locarno] », Сегодня, no234, Riga, 17.10.1925, <

http://www.periodika.lv/periodika2-viewer/view/index-dev.html?lang=fr#panel:pa|issue:/p_001_sego1925n234|article:DIVL393|issueType:P>, [Consulté le 25.03.2020].

600 ПАВЛОВА (M.), «Советско-литовский договор о ненападении 1926 г.: обстоятельства подготовки и ратификации [Le pacte de non-agression soviéto-lituanien de 1926 : circonstances d'élaboration et de

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Nous l’avons dit, le traité de Versailles peine à s’imposer en Europe. Les lendemains de la guerre ne ressemblent pas à une véritable paix, en particulier à l’Est et le long du Rhin. En effet, la réelle paix de l’Entre-deux-guerres est finalement davantage établie par Dawes et Locarno que par Versailles. Cependant, si Versailles ne parvient pas directement à stabiliser l’Europe, elle reste la matrice du nouveau système géopolitique601. C’est précisément dans le sillage de ce nouveau paradigme légal et idéologique que sont signés les traités de Dawes et Locarno. En un mot, ces deux traités ne sont autre que l’accomplissement du rêve pacifiste versaillais. Or, il n’est pas à exclure qu’un problème subsiste outre la qualité des accords locarniens. Ce problème, selon les critiques « réalistes », réside dans le nouveau paradigme des relations internationales lui-même602. En effet il est possible de voir dans Locarno les prémices de l’attitude britannique d’appeasement, qui détruit le seul obstacle sérieux au révisionnisme allemand : « un solide endiguement de l’Allemagne par la France, soutenu par une solide entente franco-britannique603 ». L’historien britannique Patrick O. Cohrs résume la pensée « réaliste » en ces termes :

Il a été suggéré que le Premier ministre travailliste britannique et secrétaire des Affaires Étrangères, Ramsay MacDonald, provoqua la fin de la « prédominance » française en Europe en permettant à la haute finance anglo-américaine de lui imposer le plan Dawes de 1924. Son successeur conservateur en tant que secrétaire des Affaires Étrangères, Austen Chamberlain, scelle ensuite la « défaite » de la France à Locarno. Entre eux, ils remettent en question le statu

quo de Versailles et l’équilibre des forces en Europe, préparant le terrain pour Hitler604.

De leur côté, les Britanniques n’ont jamais pensé que le retour à la Realpolitik soit une solution au problème de l’antagonisme franco-allemand. Après Versailles, l’ère du pacifisme qui commence en 1924 est sans aucun doute une victoire de la part de Londres, qui parvient cette fois-ci à imposer sa vision des relations internationales en Occident.

Si les débats ont encore lieu pour ce qui est des conséquences de Locarno à l’Ouest, il existe un assez large consensus pour dire que la détente locarnienne est clairement délétère

ratification]», Петербургский исторический журнал, no2, 2014, pp.153-166, p.154. Il existe toutefois des optimistes convaincus par Locarno, tels par exemple le ministre des Affaires Étrangères polonais Aleksander Skrzyński.

601 Voir supra.

602 Les termes « idéaliste » et « réaliste » font référence à deux approches, la première cherchant avant tout à agir en accord avec des principes et des idéaux, la seconde cherchant à toujours rester en accord avec le réel. Naturellement, cela n’implique pas nécessairement que toute conception idéaliste soit utopique, ni que toute action réaliste soit cynique ou immorale.

603 « […] a strong French containment of Germany, backed by a strong Anglo-French entente ».

COHRS (P.), « The Quest for a New Concert of Europe: British Pursuits of German Rehabilitation and European Stability in the 1920s », dans JOHNSON Gaynor, Locarno Revisited :European Diplomacy 1920-1929, Routledge, pp.23-40, p.23, <http://www.taylorfrancis.com/books/e/9780203327753>, [Consulté le 29.09.2020].

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en Europe de l’Est605. En effet, Locarno marque le véritable retour de l’Allemagne dans le rang des grandes puissances internationales, tout en diminuant les risques de coalition franco-britannique contre elle. Par ricochet, cette détente à l’Ouest et le besoin de la maintenir retire une part de vigueur à l’opposition entre les influences franco-polonaise et germano-soviétique à l’Est. Dans le même temps, l’absence de système de sécurité à l’Est permet à Weimar de développer sa politique de pangermanisme et de révisionnisme. En fait, pour les