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Les principes épistémologiques, théoriques et méthodologiques transversaux pour la réalisation d’une recherche scientifique en sociodidactique de terrain (l’intitulé étant quelque peu pléonastique mais l’insistance est significative) ont été exposés dans le chapitre 2 de cet ouvrage (« Cadre épistémologique et principes théoriques »). Il est important de s’y référer car il ne saurait y avoir de recherche sans explicitation ré- flexive du ou des cadre(s) de pensée et d’action dans lesquels elle s’inscrit, dont elle procède et qu’elle contribue à développer.

Une explicitation précise du concept théorique et méthodologique de sociodidactique reste toutefois nécessaire à ce stade de notre ouvrage. Une recherche en sociodidac- tique devrait, du reste, être plus justement intitulée recherche sociodidactologique en ce sens qu’on y étudie les pratiques sociodidactiques. Toutefois la notion de didactologie ayant été utilisée dans un autre sens (par R. Galisson entre autres), nous nous en tien- drons ici à celui de sociodidactique, sachant qu’il inclut à la fois les interventions sur le terrain et l’observation de ces interventions. Dans un article récent publié en hom- mage à Jean-François Halté, Michel Dabène et Marielle Rispail (Dabène et Rispail, 2008) décrivent ainsi l’entreprise sociodidactique à ses débuts :

« Ces recherches se caractérisaient par une double orientation : d’une part l’analyse de l’hétérogénéité des situations formelles et informelles d’enseignement apprentissage des langues, y compris de la langue dite à l’époque « langue maternelle » et, d’autre part, la description et la prise en compte des pratiques langagières individuelles et des représentations sociales de l’oral et de l’écrit, au sein de ces situations et dans leur environnement. » (p. 10) On retrouve dans ces premiers principes les raisons pour lesquelles il s’agit bien d’une didactique « de terrain », car seul le « terrain » et son observation ont imposé la notion d’hétérogénéité des situations ; par ailleurs, on voit qu’on élargit le « terrain » de la classe à d’autres situations sociales dans lesquelles sont impliqués les acteurs de l’enseignement / apprentissage, acteurs et locuteurs sociaux avant tout, dont l’expérience linguistique et didactique s’inscrit dans une expérience sociale plus large. À ce titre, on se doit d’étudier leurs pratiques langagières en dehors de la classe ou des

39 Les termes suivants sont définis dans l’index notionnel et factuel : sociodidactique, contextualisation

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lieux de scolarisation, car elles entrent nécessairement en interaction avec leurs pra- tiques scolaires – qu’ils soient apprenants ou enseignants. Ces études rendent aussi compte du fait que les acteurs de l’école, et dans notre cas de la didactique des langues, ne se limitent pas au seul couple trop longtemps restreint apprenant / enseignant : les parents y ont leur place, comme les décideurs institutionnels, les formateurs et inspec- teurs, les concepteurs de manuels ou les auteurs de manuels. C’est tout un tissu contextuel qui est visé, aux interactions riches et complexes, aux dynamiques à explici- ter et aux tensions évidentes, qui vont bien sûr toucher aux politiques linguistiques et donc aux environnements politiques et idéologiques dans lesquels elles prennent place. Toute recherche sociodidactique commence par étudier la spécificité du terrain où elle s’inscrit, avant de chercher à mettre au jour des corrélations parfois généralisables ou transférables entre les divers paramètres qui la composent. On arrive ainsi parfois à ten- ter une typologie des terrains didactiques, en tant qu’ils sont le théâtre de pratiques sociales et langagières qui peuvent se reproduire, avec des variations. La notion de varia- tion, à la fois didactique, politique et linguistique, est ainsi promue au cœur de la sociodidactique, dont elle constitue un fondement sur lequel est construit tout l’édifice. C’est au nom de l’hétérogénéité et de la variation que l’accent a été mis, dans les prin- cipes méthodologiques, sur les représentations des acteurs définis ci-dessus. En effet, comment s’en tenir à leurs seules pratiques langagières ? Comment ne pas prendre en compte leurs représentations des langues dans lesquelles ils évoluent ? langues de la fa- mille, de l’entourage social, du terrain scolaire, langues institutionnelles ou intersticielles à l’école, pour ne citer que celles-là, qui ne peuvent qu’intervenir sur leurs actions d’enseignement / apprentissage. Cet enchevêtrement des langues en contact crée d’une part l’identité linguistique et langagière de l’apprenant ou de l’enseignant, mais elle crée aussi d’autre part la physionomie de la collectivité, ou des collectivités dont il est membre. Car les langues connues, entendues, apprises, etc. s’organisent selon des rap- ports de force, des jeux de relations, des combinaisons parfois, auxquels font écho les comportements langagiers, les attitudes linguistiques et les représentations sur ces langues et leurs rapports de leurs locuteurs. Louise Dabène (1994) a mis depuis long- temps l’accent sur ces phénomènes dans son ouvrage précurseur. On y voit entre autre comment cette approche sociodidactique nait de la rencontre entre didactique des langues et sociolinguistique, qu’elle présente comme indissociables, du moins sur le plan théorique, pour qui s’intéresse à la vie des langues, et en particulier à leur transmission scolaire et comment elle induit certaines pratiques méthodologiques, parfois inspirées de sciences connexes à la didactique : questionnaires, entretiens semi-directifs, corpus com- plexes, méthode dite des « biographies langagières », à l’oral ou à l’écrit, enregistrements de pratiques sociales contextualisées, mise en relation, approches comparatives, pour ne citer que celles-là. Plusieurs d’entre elles font d’ailleurs l’objet de passages spécifiques dans les chapitres de cet ouvrage, ce qui nous évite de les définir une à une. Elles ont en tout cas en commun de privilégier, par leur prise en compte des diversités tous azimuts, les traitements qualitatifs qui permettent de fouiller, d’inventer, de comparer, de décrire en détail, d’interroger des fonctionnements, plus que de tirer des conclusions à priorités généralisantes ou à prétention exhaustive. Ce sont des méthodologies qui apportent

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souvent plus de questions que de réponses, car elles travaillent un objet dans le sens de son approfondissement plus que de son éclairage « exact ».

On voit aussi comment ce qui précède détermine un certain nombre d’objets de re- cherche40, souvent à la frontière entre plusieurs champs scientifiques, dont on pense

que, tout en le complexifiant, ils restituent au champ didactique toute sa profondeur et son ancrage social. C’est ainsi qu’on peut étudier les pratiques langagières de certains apprenants dans des lieux précis (la cour de récréation, les abords d’une machine à café, …) ou des situations particulières (conseils de classe, rencontres avec des parents …), la façon dont parlent ou écrivent les membres d’une même famille, des élèves d’une même classe mais d’origines différentes, l’évolution d’un enfant particulier au cours d’un temps donné, les diverses étapes qui ont amené certains acteurs sociaux à leur place actuelle (biographie langagière des enseignants de langues, des apprenants en cours pour adultes, …), les différences de pratiques linguistiques entre filles et gar- çons d’un même groupe, etc. La sociodidactique s’intéressera, on s’en doute, aux parcours des migrants, aux situations individuelles et collectives de contacts de langues, à toutes les situations linguistiques complexes, aux évolutions personnelles marginales ou atypiques. On voit se dessiner un champ de l’apprentissage / enseigne- ment qui ne prend sens que sous la lumière des conditions sociales où il s’enracine, et qui deviennent donc, de fait, une première étape méthodologique indispensable avant toute analyse et encore plus prescription ou préconisation didactique.

Cette approche remet bien sûr en question les confortables transferts des méthodes de langues à prétention universelle, les kits didactiques tout faits et la préférence pour le savoir au détriment des apprenants et de leurs processus particuliers d’avancée dans les apprentissages. Elle s’ouvre à la rencontre des cultures comme indissociable de la rencontre des langues et interroge les déterminismes sociaux autant qu’elle veut les faire évoluer voire les éradiquer. Son articulation avec la variété des contextes et les aspects institutionnels, socioculturels et politiques des situations d’enseignement/ ap- prentissage la met en contact étroit avec les champs anthropologique et sociologique. La sociodidactique, dans ses dimensions théorique et méthodologique, s’inscrit donc au premier titre dans le sens d’une recherche didactique impliquée socialement qui a pour objet et objectif l’intervention sur les terrains analysés et creuse le sillon pour un enga- gement du chercheur : c’est toujours, sous des modalités diverses, une recherche-action. Une sociodidactologie ou sociodidactique (nécessairement « de terrain » donc est ainsi interpellée par la question de la contextualisation à plusieurs titres :

- parce que, comme toute recherche de terrain, elle se déroule dans un certain contexte (le terrain au sens large défini au chapitre 3 ci-après) ;

- parce que, comme toute recherche en SHS, ses résultats sont diffusés et exploités dans divers contextes (problème de la demande sociale, de la restitution de la recherche et de ses implications en termes de formation, d’actions, d’interventions) ;

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- parce que, enfin − et c’est là une orientation forte sur laquelle insiste le préfixe socio-, elle étudie des phénomènes didactiques qui eux-mêmes sont pensés comme contextualisés, voire qui visent explicitement une contextualisation. La contextualisation didactique poursuit et complète en le transformant une dynamique ouverte par la « révolution communicative » des années 1970-80. La question du con- texte en didactique des langues se révèle à cette époque en posant comme objectif et comme moyen d’enseignement-apprentissage « des usages effectifs dans des situations de communication (contextes « authentiques ») produites ou imitées en situations de classes (contextes pédagogiques) de façon réaliste (contexte social) ». Puisque les com- pétences linguistiques sont désormais définies comme des compétences à entrer en relation, à réaliser des actes de langages, à co-construire des significations, l’apprentissage de la prise en compte des contextes en devient un élément primordial ; et puisque la situation classe est un lieu essentiel d’appropriation durable (consciente, transférable) de ces compétences (y compris d’une façon spécifique en contexte ho- moglotte dit « de langue seconde »), les caractéristiques de ce contexte et leur prise en compte pour enseigner, pour apprendre, pour valider les apprentissages, pour y com- muniquer, deviennent primordiales. Dans les pratiques didactiques, sur le terrain, se développe progressivement une contextualisation des interactions enseignées et ap- prises. Un travail important de recherche et de transposition didactique a été réalisé sur cette question depuis les années 198041 : analyse des interactions en classe (donc

des modalités d’apprentissage), analyse des modalités culturelles d’interaction dans les contextes sociolinguistiques cibles, analyse des modalités d’interactions interculturelles par la mise en contact de personnes de communautés différentes via une ou des langue(s) partagée(s) à des degrés divers. Une forme de contextualisation, développée plus récemment, porte sur la contextualisation de l’intervention didactique, notam- ment des dispositifs d’enseignement-apprentissage. Il tente de répondre aux insuffisances communément admises des « placages » de dispositifs (politiques linguis- tiques éducatives, programmes, méthodes, contenus, objectifs…) sur des contextes pour lesquels ils n’ont pas été conçus et s’avèrent mal adaptés. Pour cela, une compré- hension fine de chaque contexte pédagogique, institutionnel, éducatif, social, culturel, économique, politique et bien sûr linguistique est nécessaire. Il tente également une meilleure prise en compte, un ciblage plus réaliste et plus efficace, des enseignants et des apprenants en s’interrogeant non seulement sur leurs pratiques linguistiques effec- tives (préalables, simultanées, à venir, dans diverses situations) mais surtout sur leurs représentations des langues, du plurilinguisme, des relations humaines, de la commu- nication, de l’éducation…, c’est-à-dire sur les significations variables qu’ils attribuent aux comportements, aux discours, aux projets.

C’est cette prise en compte active des contextes dans le tissage concret des pratiques didactiques et didactologiques que l’on appelle contextualisation en insistant sur le proces- sus (d’où les suffixes -iser, -isation) plus que sur un contexte « donné » qui ne serait qu’un simple « décor ». De cela découle une recherche en didactique qui doit être elle-même contextualisée dans ses repères, ses objectifs, ses méthodes, ses implications et ses inter-

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ventions. D’où l’adoption de cadres scientifiques adaptés : méthodes ethnographiques, conceptualisation sociolinguistique des pratiques langagières, anthropologie intercultu- relle.

2. La question des transferts

méthodologiques interdisciplinaires

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