Jean
P.Ce
sont toujours desgens
plusou moins
décrassés, tandisque nous
autres,
nous
envenons
tout de suiteaux
coups.Et, sous l’impression évidente de ce qu’il vient d’entendre, il se
met
à raconter à toute l’assistance tout ceque
sa propremère
lui fait endurer lui et à safemme, comment
elle lui tire lescheveux
jusqu’àen êtrefatiguée etcomment
ilaccepte en silence de pareils traitements
pour
qu’elle laisseau moins
tranquille sapauvre femme
L’aveu
que
fait Boris de sonamour pour une femme
mariée produit sur toutle
monde une
fâcheuse impression.-
— De
quoi sem
le—t—i1 ? Il mériterait d’avoirun
oncle encore pire que le sien.Voilà de bien vilainespensées ! »L’arrivée delavieille
Kabanow
ainsique
son entretien avec son fils et sa belle-fille font rire tout lemonde
et provoquent des observations très animées.—
«
En
voilàune
qui n’est pas facile à contenter ! » dit le beau-père.— Un
joli caractère ! Essayezdonc
de s'arranger avecune femme comme
celle-là ! » dit-on de tout côté?A
la sortie de laKabanow,
levieux Brousko
s’écrie ironiquement:—
Elle leuradonné
leurcompte
et elle s’enva
!Laissons cependant
un moment
à l’écart toute l’assistancepour
dire quel-quesmots du
syndic de baillage qui étaitvenu pour
écouter la lecture deL'Orage.
Ce paysan
est loin d’êtreun
sot,mais
il se rendcomique
à force de gravité affectée et d’exagération de son importance. Il serre lamain aux
nobles avecune
désin-volture pleine derondeur et traite de très haut les simples paysans, ses administrés.Ce
gros bonnetdu
village avaitcommencé
à écouter la lecture avecune
dignité etun
sérieux imperturbable,ne bronchant
pointmême quand
tous les autres assis-tants. riaient jusqu’aux larmes.Tout
d’un coup, à l’une des scènes comiques, levoilà qui ne tient plus et éclate d’un rirehomérique.
Puis, serepre-nant
ets’essuyant lesyeux
d’unmouchoir
en coton qu’il considèreévidemment comme un
accessoire debon
ton, car il en use qdus souventque
de raison, lébonhomme
paraissait trèsmécontent
de son oubli des convenances, reprit l’airdigne, se mit à parler d’affaires pressantes qui l’appellent pour midi et
nous
quitta subitement.— 35 —
=•La
lecture continua.On
écouta avecla plusgrande
attention les premiersmonologues
de Catherine.—
Doit-elle s’ennuyer la pauvrette! ditMarie
lapaysanne
et Jean P. raconta l’histoire d’un jeune gars de son village qui se mit en tète de volercomme
les oiseaux, s’attacha des ailes d'oieaux
épaul s et s’élançant d’une hauteur, faillitse tuer.Au
récitque
fait Catherine de ses songes poétiques,Demian
s’écria : «La
sainte créature ! » et après le
monologue commençant
par ces paroles :« Je ne puis
me
délivrer dlun rêve quime
poursuit » il observa d’un air sé rieuxet triste. « Pensées de perditionque
toutcela. »L’arrivée de la
dame
folle qui parle de l’enfer, parut plutôt terrifierqu’a-muser
l’auditoire.Presque
tous les visages gardèrentune
expression sérieuse et concentrée.Le
beau-père prit en grippeBarbe Kabanow
dès son apparition en d.sant qu’elle valait samère
et semontrant
persuadéque
lajeune filletrahiraitCatherine,mais
les autres ne furent pas de son avis, disant deBarbe
:—
Elle sert derempart
à Catherine, c’estune
filleque
rien ne saurait effrayer.Quand
Catherine dit àBarbe:
« Je ne sais pas tromper, je nepuis rien dissimuler» le cordonnier observa d’un tonsympathique:
« il faut qu’elle ait l’àme bien droite pour n’avoir pas appris celamême dans un
milieu pareil! »Quand
Barbe, parlant de son frèreTikhone
dit : Il est avecmaman.
Elle est maintenant à le rongercomme
la rouille ronge le fer » le vieuxBrousko
ajoutad’un ton ironique : « Elle a d’assez bonnes dentspour
cela! »Aux
adieux de la vieilleKabanow
et de son fils etaux
exhortations qu’elle adresse àTikhone
età Catherine,Demian
soupira et dit:«Toujours
rienque
des ordres! »Pendant
lemonologue
de Catherine : « C’estmaintenant que
l’on est tran-quillechez nous, etc. » lapaysanne Marie murmura:
«comme un
oiseau en cage! » et Grégoire ajouta: «Pour
se distraire elle se cause elle-même! »A
plusieurs endroits le rire qui éclatait tout àcoup dans
l’assistance parais-sait déplacé et parfoismême
cynique,mais
il se peutque
l’effet produit sur nous par ce rire dépendait de ceque nous
connaissions à Pavance
l’issue tragique de l’aventure de l’héroïne, tandis que notre auditoire nesentaitque
ceque
lui faisaient éprouver les scènes successivesdu drame
etne
voyait pour ainsi direque
lemo-rdent présent. Il
s’amusa
parexemple
à la scène des adieux de Catherine à son mari,quand
ce dernier dit: Je finis par neplus tecomprendre ma
petite Cateau,un
jour il m’est impossible de t'arracherun
mot,un
autre tum’assommes
de tes caresses! »Ce
fut lamême
chose à l’exclamation de la vieilleKabanow
:»Qu’est-cequec’estquecettè
manière
desependreàson
cou !En
voilàune impudente
!Ce
n'est pas à
un amant
que tu fais tes adieux! Il est ton mari, tonseigneur et maître!T
u ne connais donc pas les usages?Tombe
à ses pieds,malheureuse
! »On s’amusa
aussi deBarbe
cherchant à faire prendre à Catherine la clefet disant« Si elle ne peut te servir à rien, je puis en avoir besoin moi.Prends donc
bêta, ellene te
mordra
pas » Les assistants disaient en plaisantant: «La commère
estadroite!Gare
à qui s’y fie ! »Mais
dès que l’on entendait denouveau
parler Catherine, le tire cessait subitement.On
était denouveau
saisi de respect et desympathie
pour ce type poétique.La
scène entre Dikoï,complétaient
gris et la vieilleKabanoV
fit de
nouveau
rireaux
éclats toute l’assistance, surtoutquand
lemarchand avoua
sa cupidité « Lesdeux
font la paire ! » fit observer le vieuxBrousko
et Jean profita del’occasion pour raconter plusieurs anecdotes surun vieux
propriétaire foncier rappelant ce toqué de Dikoï.A Koudriache
(cenom
est dérivédu mot
« boucles» )on donna
le sobriquet de « bouclé» etchaque
fois qu’il reparaissait en scène, l’assistance éprouvaitun
plaisir
énorme.
Elles’amusa franchement
à la scène ou,soupçonnant
en Borisun
rival il lui dit «
Bas
lesmains quand
il s’agitdu
bien des autres. Ces choses ne se font pas cheznous
et nos gars auront vite fait de vousrompre
les côtes,»mais
dèsque
Borisavoua
qu’il aimaitune femme mariée
s’attirant cette réponse deKoudriache.
« Il faut renoncer à cela Boris Grigorievitch » l’auditoire redevint sérieux,comprenant
qu’il ne s’agissait pas de plaisanteries.A
la seconde apparition de la vieille folle dont l’aspect fait trembler la mal-heureuse Catherine, Grégoire s’écriad’un tonému
etindigné àla fois : «Cettemau-dite sorcière estcapable de l’effrayer plus
que
le plus terrible des orages ! «Un
peu avant lesaveux
faits par Catherine à sa belle-mère et à son mari,une
desfemmes
présentes à la lecture
demanda
d’un ton inquiet : « Est-cequ’elle va tout avouer parexemple
!»Quand
Tikhone, se plaignant de l’infidélité de Catherine dit : « Est-ce qu’on peut faire quelque chose de pireque
ceque ma femme m’a
fait? »Demian
inter-rompit d’un ton de reproche: «Et
toidonc
est-ce que tu as toujours été fidèleà ta
femme?
Prétends-tu à l’impunité? » et le vieuxBrousko
ajouta en ricanant:«
Ne
lui as tu pasrendu
la pareille?»Quand,
en faisant ses adieux à Boris, Catherine à bout de forces dit en par-lant de sonmari
: « Il m’estdevenu
si odieux,que
je préférerais des coups à ses caresses »,une
voix s’exclamacomme un
écho : « J’auraismieux aimé
qu’ilme
roue de coups tous les jours», et puis
quand
Catherine reste seule et pensive, lamême
voix ajoute avec angoisse: « Elle ne reviendra plus chez elle !Vous
verrez qu’elle pense à se jeterà l’eau ! »Au
départ de Catherine, suivi de l’arrivée deKabanow,
deKouliguine
etd’un ouvrier portant
une
lanterne,une émotion
profondegagna
tout l’auditoire :On
disait à très basse voix : « Seraient-ils déjà venus
pour
la chercher !Pourvu
qu’on arrive àtemps
1 » L’émotion grandissait toujours etau
cripoussédans
les coulisses:«
Ohé
! à la barque !une femme
vient de se jeter à l’eau ! » retentirent des cris:« Seigneur
mon Dieu
IAu
secours ! C’est elle, lamalheureuse
! »La paysanne
Prascovie qui avaitaffectéun
air très prudependant
toute la lecture et blamait Catherine d’avoirété infidèle à son mari, avait fini parchanger complètement
d’attitude et à la scèneoù
l’on apporte le cadavre de Catherine, elle se couvrit la face de sesmains
disant avec des sanglots : «Que
doit souffrirune
mère, dont la fille se noie ! »La
pauvre se souvenait peut-êtredu
sort de sa fillePascha
qui avait euune
finprématurée
de ce genre.La
majorité des assistants,hommes comme femmes,
pleuraientdoucement
etne bougeaient pas de leurs places.
On
ne sait pascombien
detemps
cela auraitpu
durer,mais
tout àcoup
lafemme du maire du
village s’écriaavecun
rire nerveux,montrant du
doigtune estampe
colléeau muret
représentantune
noce depaysans
:«. Asïez de larmes, voyez, voilà la
musique!
» Ellecherchaitévidemment
à chasser- 37
l’impressiondenavrantetristesseque lui avait laissé la lecture.
Son
exclamation n en produisit pasmoins
l’effet voulu.Tout
lemonde
eût l’air de se réveiller.On
se mit à parler très haut, tous à lafois, avecun empressement
fébrile,de dire son avis surl’histoire qu’on venait d’entendre.
Jamais
encorenous
n’avionsvu
rien de pareildans
notremodeste
auditoire. Il paraissaitque dans
l’âme de tous ces auditeurs avait surgi quelque chose quidemandait
à être ditimmédiatement
et dont il étaitimpossible de parler sans émotion.
—
Voyons, quel est le coupable dans tout cela?Comment
accuser cette pauvre Catherine?—
Telles furent les premières questions lancées par plusieurs personnes etdonnant
le signal d'un véritable orage.La femme du maire
donnait de grands coups de poing sur la table et criait.—
C’est lamère
(la vieilleKabanow)
qui est la cause de tout.La
mère, lamère,
que
je vous dis !—
Bien certainement, entendait-on d’u : autre côté. Est-ce qu’il est permis de martyriser ainsi lepauvremonde
!Mais
la belle-mère répliquait d’un tonlarmoyant
et irrité tout àla fois.— Pardon! mais
est-ce qu’unemère
peut l'ester indifférenteen
voyantque
son fils n’est pasaimé parla femme
qu’il a épousé.On
lui répondait àplusieurs voix :—
Possible,mais
la faute n’en est pasmoins
à la mère, rien qu’à elle seule.Rien
ne serait arrivé sans elle. Elle est responsable de tout. Elle a tyranisé lapauvre jeune
femme
jusqu’à lapousser à l’excès. Ecoutezdonc
après cela lesvieux!Si grands
que
furentles pêchés d’un mort, il n’estpaspermis
de lesjuger aveccette sévérité-là.La
pauvre Catherine était assez malheureuse, sans les reproches de la vieille.On
entend tout d’uncoup une
voix glapissante qui dit :—
Si elle avaitétéaussibonne que vous
le prétendezellese seraitrésignéeau
lieu d’aller se
noyer
pour ne plus entendre les reproches de sa belle-mère!mais on
lui répond en
chœur
:—
Elle n’a paspu
supportercette existence si atroce.On ne
se noie point pour son plaisir. Jolie mère, il n’ya rienà dire !Et
ce sot demari
qui a refusé del’emmener
avec lui, tout en sachant de quoi est capablesa mère.La
voix glapissante reprend.—
Il ne pouvait pas cependant l’emporter dans sa malle, votreCatherine.Mais
l’assistance reprend avec chaleur.—
Elle n’est nullement coupable.En
rien, entendezvous
! C’est la vieille qui a tout fait. Il est dit dans les Saintes-Ecritures: « tu ne tueraspas, ni de fait ni enparoles. Jolie famille par exemple. Si la vieillene l’avait pas agacée aussi...Une
vraie mégère, quoi ! »
La paysanne
Prascovie qui a eu letemps
de maîtriser sonémotion
et de re-prendre son air prude, éleva dans cemoment
la voix disant à l’assistance.«