La
droite de l’auditoire ,composée
de jeunes filles peu lettrées , n’y fitaucune
attention, tandis (pie lagauche où
se groupaient les jeunes filles qui se considéraientau
dessus de leurscompagnes,
se le tint pour dit. Othello leur avait laisséune
impression t.ès forte,mais comme
elles ignoraientque
cette pièce est aussi de Shakspear, à la question de l’institutrice, lequel desdeux drames
leur avaitmieux
plu, elles répondirent : « celui de Shakspear, bien entendu. »La
droite prit cependant, avec chaleur le parti pour Othello.— A mon
avis, disaitnerveusement
la jeune filleau
visage pâle, Othello aussi estune
bien belle chose, peut-êtremême
plusbellequeLe
roiLear. Lear du moins tombe
victime de sa propre ambition, tandisque
dans l’autre pièce ce sont des innocents quisouffrent.Elle se levaà ces
mots
ets’adressantà voixbasseàl’institutrice elle lui dit.—
Faites-moidonner
ce livre avantmon
tour, je vous en supplie, car je souffre vraiment en pensant à ce pauvre Othello.L’Institutrice s’empressa d’accéder à sa
demande
car lapauvre
fille avait en effet lesyeux
tout rouge et la figuretoute décomposée.Quand
l’institutrice entradans
lasalle de labibliothèque, ellesevitentourée deplusieurs autres élèves, qui réclamaienttoutes Othello etLe
roiLear, pour
les relire une seconde fois chez elles : Lesvolumes manquaient
à l’école et l’institutrice sévit forcée d’ajourner toutes ces sollicitations. Elles s’en montrèrent fort mécon-tenteset l’uned’elleditàdemi
voix : «On promet
toujourset l’onn’apportejamaisI »— 32
puis, s’apercevant que l’institutricel'avait entendue elle ajouta d’un ton confus:
«
Pardon
mademoiselle,mais
c’estque
j’ai tellement envie de relireencore une fois ces livres ! »Il fallut bien accorder le
pardon demandé,
d’abord parceque
les oublis reprochés étaient bien réels et ensuite en égard de l’impression produite sur lamécontente par Shakspear.
Si les
œuvres
de Shakspear, danslesquelles,dans
tous lescas ily
aune
foule de choses étrangères à notre peuple se trouvent être parfaitement comprises par lelecteur appartenant à nos classes populaires, celles d’Ostrovsky, le plus
grand
de nos auteurs dramatiques, doiventévidemment
être comprises sans lamoindre
diffi-cultée par lesmasses
et produire sur ellesune
impression profonde. C’est ce qui a eu lieu en effet à l’audition des pièces d’Ostrovsky par despaysans,dont la majorité se trouvait êtrecomplètement
illettrée. Ostrovsky estun
de ces écrivains dont lesœuvres,
grâce à leur caractèreéminemment
national, se prêtent lemoins aux
traductions en langues étrangères.Un
étranger ne saurait lescomprendre
et les traduiredans
sa langue,àmoins
d’avoir étudier à fond l’existence et lesmœurs
des classes de la Société russe qui sont mises en scène par Ostrovsky.C’estprécisément la raison
pour
laquelle toutes ces tentations de traduire lesœuvres
de cet écrivain se trouvent être peu satisfaisantes.Les
traductions fran-çaises deM. Durand-T
réville, publiées toutrécemment,
sont ce qui a été fait demieux
dans ce genre,mais on
s’y heurte encore àchaque
pas à des interprétations inexactesdu
texte original quichangent même
le vrai sens de l’action. Telle est aussi lacause
d'un fait fort regrettable pournous
autres russes, c’est-à-direque
lesœuvres
d’Ostrovsky ne sont passuffisamment
appréciées par le public européen, tandis qu’on verrait tout autre chose si ces chefs-d’œuvre trouvaient enfin des tra-ducteurs capables d’en faire sentir toutes les beautés dansune
version écritedans une
des langues étrangères les plus répandues.Le malentendu
est si grand, qu’un des plusbeaux drames
d’Ostrovsky, VOrac/e qui raconte le pluschastement du monde
l’histoire d’unefemme,
d’une chasteté irréprochable et fait« luireun rayon
de lumièredans
leroyaume
des ténèbres » selon l’expression d’un des critiques russes les plusremarquables
(feu Dobrolioubow),—
•
quand
on l’a traduit en fran-çais et faitjouer surun
des théâtres de Paris, a été accueilli par le publiccomme
une œuvre
tout à faitmédiocre
et qui plus est,passablement
indécente.Nous
c.tonsici à dessein le récit de l’effet produit par la lecture de V
Orage
surun
auditoire depaysans
russes.Le
lecteur européen pourra ainsi s’assurer de l’impression profondeque
cedrame
laissemême
àun
auditoire russe presque entièrementillettré etjusqu’àquel point il estexempt
de cesinconvenances que
notre peuplesait si biencomprendre
àdemi-mot
et qu’il trouve toujours parfaitement déplacésdans un
livre.33
Il faut croire
que La Pupille
avaitbeaucoup
plu à notre auditoire, car lèlendemain
pour la lecture de l'Oragenous vîmes
arriverplusieurs personnes qui n’étaient jamais venues avant. Nicolas avaitamené
son frère, lesyndicdu
bail âge,un homme extrêmement
sérieux.On
vit arriver lafemme
de l’intendant, parée de ses atours desdimanches.Une
autrefemme
avait quittéun
travail urgentpour
venir « écouterun
peu »comme
elle disait.Grâce
à tous cesnouveaux
venus,on
se trouvaitbeaucoup
plus à l’étroit,mais
personne ne se sentit gêné par leurprésence,Les
habitués des lectures se sentaient chezeux
ettraitaientun peu
de haut lesnouveaux
arrivants en leur disant d’un ton protecteur :—
Prenezdonc
place, faitescomme
chez vous !—
Est-ceque
l’onva
continuer l’histoire d’hierou
biens’agit-il de quelque chose denouveau? demanda
Grégoire, enexaminant
curieusement le livre.L’institutrice expliqua
que
l’histoire d’hier était bien finie etque
l’on allait lirequelque chose de nouveau, aprèsquoi elle lut la liste des personnages.—
Hier, il ne s’agissaitque
d’une seule famille, aujourd’huiil y en a deux,dit la
femme du maire du
village d’un ton animé.Voyons donc
cela !La
lecturecommença. On
nedemandait
pluscomme
la veille : « qui ditça?»« C’est
une
conversation à deux, n’est-ce pas? »—
«Et
ladame
estdonc
partie? » etc., etc.On
était déjàévidemment
familiarisé avec laforme
des dialogues et lesmouvements
scéniques,mais
des observations d’un autre genre pleuvaient de tous côtés,témoignant
l’extrême intérêt inspiré par la lecture.Aux
paroles de Ivou-driache, indignédu
despotismedu marchand
Dikoï : « s’ily
avait iciun peu
plus de braves garçons partageantmes
idées à moi,nous
l’aurions bien vite déshabitué des frasques de cette espèce ! » l’auditoire éclata de rire disant :— Une bonne
volée dansun
endroitécarté, il n’ya rien de plusefficacedans
des cas pareils.Nous
en savons quelque chosenous
autres.A
l’entrée de Dikoï quicrie et pestecomme un
enragé, lesrires redoublent et l’un des assistants dit :—
C’est notre vieux en chair eten os. Il passe sa vie à pester.Quand
on l’écoute, c’estcomme
si l’on assistaitàune
représentation de théâtre.Boris vientraconter ensuite
que
son oncleDikoï letientsousIndépendance
la plus complète et qu’en vertudu
testament de sagrand’mère
il ne pourrarecevoir sa part d’héritage,que
si son oncle se déclarecomplètement
content de sa conduite.Des murmures
s’élèvent.—
Il attendra alorslongtemps
le pauvret! Il ne verra jamais la couleur de son argent !Le
vieuxaura
beau avoir tort, la loi sera toujourspour
lui !— Ma
tantenous
suppliechaque
matin, les larmesaux yeux
: «Mes
enfants, prenez garde de lui échauffer les oreilles !
Mes
chéris ne le mettez point demauvaise humeur
! » dit plus loin Boris.—
C’est la pauvre tante qui paierapour
tout lemonde
bien sur ! faitobserver Grégoire.
Boris raconte l’aventure
comique
de l’officier de hussards qui avait prisun
jour à partie Dikoï et ajoute : «Nous avons
été tous dansun
bel état alors !Pendant deux
semaineson
se cachaitau
grenier etdans
des coins sombres, rien qu’en l’entendant arriver.— Comme
lefont lesmoineaux,
ditironiquement le vieux Brousko.O
— 34
Le
longmonologue,
dans lequelKouliguine
caractérise lesmoeurs
et
Dans le document
QUE FAUT-IL. Pour les Femmes à Ivharlto w L ÉCOLE DU DIMANCHE. f v r PARIS Y. ABRAMOFF ET LE LIVRE
(Page 33-36)