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MANIER.- Monsieur le Président, chers collègues,

Vous nous avez annoncé, Monsieur le Président qu’il s’agissait du dernier budget de la mandature. Permettez-moi à mon tour d’intervenir sur votre projet de budget pour 2020, mais également de faire un premier bilan de votre action et de vos décisions depuis votre arrivée à la tête du Conseil départemental du Nord.

Depuis le début du mandat, votre majorité départementale et en particulier votre premier Vice-président chargé des finances se targuent de mieux gérer le Département du Nord que ne le faisaient leurs prédécesseurs. Que dis-je… Dans votre scénario digne d’Apocalypse Now, le Département du Nord était, avant votre arrivée, en banqueroute et mis sous tutelle par la Chambre régionale des comptes. Votre exécutif, avec Monsieur POIRET en véritable superman des finances publiques, aurait pris les décisions qui s’imposaient pour éviter la faillite.

Charles vient de le dire, la ficelle est bien grosse. Nous ne sommes pas évidemment dans une analyse objective de la situation.

Je vous en prie, sortons de la caricature et essayons de dépeindre la situation avec des données factuelles.

Non, le Département n’a jamais été mis sous tutelle, ni même jamais été menacé de l’être. Il n’en a tout simplement jamais été question, mes chers collègues.

Oui, le Département du Nord, comme d’autres grands Départements millionnaires, faisait face à de réelles difficultés. Lors du congrès de l’ADF de Pau en novembre 2014, il a été confirmé que 30 Départements connaissaient des déséquilibres budgétaires importants. Les effets de la crise économique et sociale nationale, conjugués à ceux de la réforme de la fiscalité locale en 2010 avaient considérablement fragilisé les finances départementales.

Quant aux dépenses au titre des allocations individuelles de solidarité, elles avaient tout simplement explosé. Dans le Nord, les charges liées au financement du revenu de solidarité active (le RSA) versé pour le compte de l’État sont passées de 466 M€

en 2010 à 605 M€ en 2015. À partir de 2012, les dépenses de RSA ont progressé à un rythme effréné de plus de 10 % par an avec la même structure de recettes en guise de compensation. C’est le fameux effet de ciseau décrit par la Chambre régionale des comptes dans son rapport sur la gestion 2010-2015 du Département du Nord. Je le cite : « La forte hausse des dépenses d’intervention sociale à partir de 2012 a eu pour conséquence, dans un contexte de faible évolution des recettes, d’avoir dégradé rapidement les équilibres financiers ».

Comment avons-nous géré la crise ?

D’abord, nous avons négocié avec Patrick KANNER auprès du gouvernement de Monsieur AYRAULT le pacte de confiance et de responsabilité qui a rapporté environ 100 M€ supplémentaires par an pour le Nord. Cette compensation a permis de rééquilibrer en 2014 les finances d’environ 30 Départements. La principale mesure a été, pour rappel, la hausse du taux de 3,8 % à 4,5 % des droits de mutation à titre onéreux (les DMTO), ce qui a permis pour le Département du Nord en 2015 de dépasser de plus de 20 M€ les recettes prévisionnelles estimées à 250 M€. Monsieur POIRET, actuel Vice-président aux finances et ancien président de l’opposition, avait alors en séance plénière du 6 janvier 2014 voté dans cet hémicycle contre l’augmentation des DMTO ! Apparemment, Monsieur POIRET, vous n’étiez pas encore à l’époque le superman des finances départementales que nous connaissons aujourd’hui.

Vous pouvez donc remercier notre clairvoyance d’hier qui vous permet aujourd’hui d’enregistrer des recettes de DMTO records estimées à 365 M€ pour 2020, selon votre document budgétaire. Il faut croire que nous n’avons pas eu tout faux sur toute la ligne.

Il est vrai Monsieur POIRET que, lorsque nous étions à la tête du Département, nous n’avons jamais accepté de glisser dans des rôles de simples comptables de la pénurie financière organisée par l’État. C’est peut-être aujourd’hui ce qui nous différencie.

Malgré les difficultés, nous avons fait le choix jusqu’en 2015 de continuer de faire de la politique, de ne pas nous résigner et d’aller au combat.

Nous avons préservé les crédits des politiques départementales affectés aux politiques sociales, mais également les crédits affectés aux politiques volontaristes de l’aménagement du territoire, de l’éducation ou encore de la culture.

Profitant de taux d’intérêt compétitifs, nous avons maintenu l’investissement à un niveau important. Il se chiffrait encore à 287 M€ en 2014 alors qu’il passe bien en dessous de la barre des 200 M€ en 2015.

La dette du Département est restée saine. Elle ne comportait pas d’emprunts toxiques et garantissait une bonne signature sur les marchés financiers.

Enfin, nous avions promis en 2011 de ne pas augmenter les impôts et nous ne les avons pas augmentés durant ce mandat.

Nous avons respecté notre engagement, ce qui n’a pas été votre cas, chers collègues de la majorité.

À votre arrivée à la tête du Département en 2015, vous aviez plusieurs options et vous avez fait des choix politiques que nous respectons, mais qu’il vous revient aujourd’hui d’assumer :

- Une économie de 100 M€ dès 2016 sur l’ensemble des politiques départementales.

- Une baisse des moyens des services départementaux et une diminution drastique de la masse salariale, plus de 1 050 suppressions de postes annoncées.

- Enfin, et je crois que c’est le péché originel de votre mandature, l’augmentation massive des impôts avec l’explosion de 25,7 % du taux de la taxe foncière prélevée sur les ménages et les entreprises nordistes, un véritable coup de massue et un reniement clair et net de votre promesse électorale de ne pas augmenter les impôts. Entre la baisse des crédits sur toutes les politiques publiques et l’augmentation massive des impôts, il n’y a pas, je crois, aujourd’hui de quoi fanfaronner.

C’est ce que nous vous reprochons en somme, c’est d’avoir géré les dépenses départementales comme l’on soignait les malades au XVIe siècle, c’est-à-dire par la saignée. Mais vous êtes surtout passé du malade imaginaire – car, encore une fois, notre collectivité départementale n’était pas en banqueroute – au misanthrope avec des décisions qui ont pénalisé nos territoires et nos services publics de proximité.

Je retiens plusieurs mesures en guise de résultat et de bilan de votre majorité départementale :

- Des reculs inacceptables en matière de protection de l’enfance avec par exemple la suppression de 700 places dans les établissements.

- La suppression de dispositifs pour la jeunesse, comme le chéquier Jeunes ou le Pass’Sport.

- La baisse de dotations aux établissements sociaux et médicosociaux dans le cadre des politiques de CPOM, imposées sans négociation, qui n’ont pas sécurisé, mais au contraire fragilisé les structures.

- La mise en œuvre d’un accompagnement à deux vitesses des allocataires du RSA avec moins de prise en charge sociale pour les plus fragiles.

- Une priorité négligée en matière de prévention santé, avec par exemple la fermeture scandaleuse des points PMI en maternité.

- Des moyens sacrifiés dans les collèges avec notamment la division par deux des dotations pédagogiques attribuées aux établissements.

- Les coupes budgétaires aux acteurs associatifs dans le domaine de la culture.

- Vous n’avez pas renforcé mais affaibli la collectivité départementale avec des réorganisations et suppressions de postes menées tambour battant qui ont engendré une déperdition des compétences et une perte de sens du travail dans les services départementaux, des retards de recrutement au service départemental d’incendie et de secours qui ne sont pas encore véritablement réglés.

- La fin des grands projets d’investissement hormis ceux lancés par l’ancienne majorité départementale.

- L’absence de véritable réflexion sur l’avenir du territoire ; quelques contrats et quelques priorités calquées sur les choix gouvernementaux, mais pas de grande vision d’ensemble pour notre département.

- Un volontarisme politique inexistant en matière de transition écologique qui est pourtant devenu l’une des premières préoccupations des Nordistes.

Vous avez cherché durant ce mandat un brevet de gestionnaire et de comptable. Vous avez surtout réussi à décrocher à nos yeux un brevet de démolisseur de l’action publique départementale. Dans quel but ?

Vous êtes entrés, depuis l’arrivée d’Emmanuel MACRON à la Présidence de la République et d’Edouard PHILIPPE à Matignon, dans une relation de séduction avec le pouvoir national. Vous passez sur tous les sujets pour les plus zélés de la Macronie. Je pense évidemment aux contrats de Cahors qui encadrent strictement les dépenses des collectivités au mépris de leur libre administration, mais que vous avez signés des deux mains. Votre document budgétaire indique clairement d’ailleurs que la maîtrise globale des dépenses hors champ social sera maintenue en 2020.

Sur ce sujet, comme sur bien d’autres, vous passez pour plus royaliste que le roi. Pour quel gain ? Jusqu’ici, le gouvernement n’a lâché que des miettes aux Départements, à l’image du plan pauvreté qui est donnant-donnant. En contrepartie, tous les combats pour une plus juste compensation des allocations individuelles ont été perdus. C’est pourtant bien le nœud du problème pour les finances départementales.

Ainsi, le reste à charge au titre des trois allocations individuelles de solidarité se chiffre encore pour le Nord à plus de 520 M€

au budget primitif 2020, soit 52,7 % de la dépense. Il s’agit d’un scandale au regard de la justice territoriale ! Le reste à charge s’élève à 180 € par habitant dans le Nord contre une moyenne nationale de « seulement » 130 € par habitant.

Malgré cela, il n’y a pas eu le début d’un petit sursaut en faveur de la solidarité nationale depuis le début du quinquennat. Au contraire, le Premier ministre a totalement exclu cette année le possible relèvement des droits de mutation à titre onéreux qui aurait permis dans le contexte actuel de desserrer l’étau. Pire, le gouvernement prend la décision de transférer la part départementale de la taxe foncière aux communes, ce qui constitue un véritable camouflet pour les Départements de France. Le Département n’aura donc plus aucun levier fiscal à compter du 1er janvier 2021, ce qui, pour vous chers collègues, vous évitera peut-être de faire face à l’avenir à un nouveau choix cornélien.

Pour autant, il s’agit bien d’un attrape-nigaud pour les Départements qui doivent compenser à leur charge la suppression de la taxe d’habitation imposée aux communes. Il s’agit également d’une attaque en règle contre l’autonomie financière de la collectivité départementale car, nous le savons bien, les modalités de compensation ne sont pas acquises avec une fraction de TVA qui sera totalement soumise à la conjoncture économique. Si une crise économique survient, le Département devra faire face au retournement du marché immobilier et donc à la baisse des DMTO, mais également au recul de la consommation et donc des recettes issues de la TVA. Ce sera cette fois-ci perdant-perdant.

La stratégie actuelle du gouvernement n’est pas de renforcer la péréquation verticale de l’État aux collectivités, mais d’agir sur la péréquation horizontale, ce qui signifie que les collectivités doivent compter les unes sur les autres et se débrouiller entre elles de plus en plus.

Pour le Département du Nord, les fonds verticaux vont enregistrer au total une baisse de 6 % entre 2015 et 2020. Nous allons passer de 802 M€ en 2015 à 753 M€ en 2020. Le désengagement est bien réel. Cela pose la question, au regard de la nécessaire solidarité nationale, des inégalités territoriales et de la mobilisation des moyens financiers de l’État pour les endiguer. En bref, le quinquennat actuel n’est pas une avancée pour la décentralisation, c’est un euphémisme.

Il vous reste néanmoins la faculté, Monsieur le Président, de nous présenter un budget que vous avez annoncé comme le dernier de votre mandature, un dernier budget qui ne nous a pas spécialement réservé de bonnes surprises. Vous restez dans la trajectoire de votre mandat, pauvre en ambitions, marqué par de nombreux désengagements sur le volet des solidarités humaines et peu volontariste et inventif en matière de solidarités territoriales.

Vous vous félicitez sur certaines politiques d’injecter des crédits supplémentaires en fonctionnement.

- C’est notamment le cas dans le domaine de l’action sociale, dans le cadre du plan pauvreté (+ 83 M€) et du dispositif bassin minier (+0,8 M€).

- Vous augmentez les moyens alloués aux établissements de la protection de l’enfance, notamment aux maisons d’enfance à caractère social (+9,6 M€) ce qui tend à démontrer leur sous-financement actuel.

- Enfin, la masse salariale évolue à hauteur de +9,8 M€, avec des recrutements supplémentaires promis dans les UTPAS.

Les effectifs équivalents temps pleins passeraient de 7 611 en 2007 à 7 160 en 2019 et 7 343 en 2020. La croissance de l’emploi se fait en priorité par le recrutement de non-titulaires, ce qui pose la question au regard de la précarisation du personnel départemental. Vous paraît-il normal de recruter dans les UTPAS sur des CDD de trois mois renouvelables ? Au final, il ne s’agit que de modestes rattrapages. Vous desserrez un peu l’étau après avoir passé le rouleau compresseur sur l’ensemble des politiques départementales depuis le début du mandat en 2015.

Sur le plan de l’investissement, vous évoquez dans votre document un investissement volontariste avec une augmentation des crédits à hauteur de plus de 51 M€ entre le budget primitif 2019 et le budget primitif 2020. Sur le papier, c’est un chiffre qui fait rêver. Pour autant, le taux de réalisation des dépenses d’équipement n’était que de 79 % en 2018. À combien se chiffrera-t-il au compte administratif 2019 ? Quelle sera l’ampleur du décalage entre l’affichage virtuel au budget primitif et les réalisations concrètes lors de l’année 2020 ?

Pour rappel, le chiffre, bien réel celui-là, des dépenses d’investissement hors dette n’était que de 78,40 € par habitant en 2018.

Le Nord était derrière l’Oise (162 € par habitant), derrière le Pas-de-Calais (126 € par habitant), derrière la Somme (122 € par habitant) et derrière l’Aisne (87 € par habitant). Il se classait dernier Département de la grande région au titre des investissements réalisés, un triste classement au regard des besoins de notre territoire.

J’en reviens donc à la trajectoire budgétaire de votre mandat.

Vous avez tout fait depuis 2015 pour réduire tous les budgets dédiés au fonctionnement, sans avoir réussi pour autant à préserver l’investissement.

Pourquoi, Monsieur LECERF, avoir augmenté si massivement les impôts des Nordistes pour une politique aussi chiche en fonctionnement et en investissement ?

Certes, le Nord améliore sa capacité de désendettement. Nous étions à six années en 2018. Vous annoncez en 2020 une capacité de désendettement à cinq années. Il y a donc une trajectoire de désendettement. Mais jusqu’où faut-il aller ? Pour quelle stratégie ? Avec quel objectif ?

En réalité, vous glissez sur une mauvaise pente car le Nord s’est désendetté au détriment de l’investissement. Si l’on n’investit pas aujourd’hui, on n’investit pas pour les générations futures. Vous n’avez pas suffisamment préparé l’avenir. Que de temps perdu qui ne sera, Monsieur LECERF, jamais rattrapé.

Pourtant, des marges de manœuvre supplémentaires existent dans ce budget, même en restant dans les clous de la contractualisation financière.

Les marges en dépenses réelles de fonctionnement sont de 25 M€ avant de dépasser la contractualisation fixée à 1,35 % par an par le Département. Cela ne dégrade pas trop la solvabilité de la collectivité qui resterait limitée à 6,9 ans. Une pente de dégradation de la solvabilité d’un an n’est pas considérée, vous le savez, comme critique en finances publiques.

Les marges de dette en équipement jusqu’à 25 M€ financés par l’emprunt feraient quant à elles passer la solvabilité à 7,1 ans.

Là encore, il n’y a pas péril en la demeure. Cela fait donc a minima une marge de 25 M€ disponible, sans compter l’excédent lié à la clôture du budget 2019 et qui pourrait atteindre au bas mot 27 M€ comme en 2018.

Cet argent pourrait servir quelques pistes à un certain nombre de budgets. On pourrait par exemple rétablir le financement des missions locales. On pourrait revenir sur les coupes budgétaires contre les associations caritatives et accompagnement des sans domicile fixe. On pourrait financer de manière supplémentaire l’accès aux droits et la lutte contre les violences faites aux femmes. On pourrait financer les associations dans le domaine de la prévention santé et la lutte contre les addictologies. On pourrait abonder les moyens des relais autonomie qui doivent désormais accueillir et orienter les personnes âgées et les personnes handicapées. On pourrait rétablir le montant des dotations pédagogiques aux collèges qui ont été divisées par deux. On pourrait soutenir davantage les associations culturelles locales, les scènes nationales ainsi que les associations d’insertion par la culture.

Enfin, on pourrait en effet renforcer le fonctionnement du SDIS pour accélérer le recrutement des sapeurs-pompiers.

Au final, vous avez des possibilités financières, mais peu ou pas de volonté politique de construire un budget plus ambitieux.

Vous voulez donner le sentiment de lâcher la bride, certes, en fin de mandat, mais je crois qu’il s’agit là de promesses. Cela pourrait être anecdotique si les enjeux n’étaient pas aussi importants pour le Nord, mais, depuis le début du mandat, vous restez sur une gestion comptable sans véritable projet politique.

Quelle est votre conception des solidarités territoriales ? Quelles perspectives pour le département ? Quelle vision des services publics de proximité ? Quelle est votre analyse des besoins sociaux de la population ? Comment rattraper les retards en matière de santé dans le domaine de l’aide sociale à l’enfance ou encore de la lutte contre les exclusions ?

Toutes ces politiques n’ont pas été renforcées au cours du mandat, mais durement fragilisées. Je le déplore et je ne vois pas comment ce budget 2020 pourrait renverser la vapeur.

C’est pourquoi, avec mes collègues du Groupe Socialiste, Radical et Citoyen, nous voterons contre votre proposition budgétaire.

Je vous remercie de votre attention.