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PARTIE 2 METHODOLOGIE DE RECHERCHE ET RESULTATS DE L’ENQUETE

B. Un management à rude épreuve ? Ne serait-il pas temps d’en repenser globalement les pratiques,

du télétravail ?

Indéniablement, cette période de confinement a mis en évidence les failles et les limites des pratiques et des méthodes de management actuelles. Cette période nous offre ainsi l’occasion de repenser le management du travail. Nous avons précédemment constaté que lorsqu’il est exercé à distance, le travail nécessite de construire une relation de proximité, régulière et continue, pour contrebalancer la distance physique et psychologique, et ainsi effectuer un suivi de qualité en évitant les déperditions d’informations. Les salariés semblent avoir besoin que leur manager sorte de leur

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posture politique et la simple dimension « communicationnelle » de son activité, pour être davantage au service de leurs besoins, de leurs demandes et de leur activité. Un management que l’on pourrait qualifier de « pragmatique » et dont la principale tâche est ramenée à l’essence même de son rôle : encadrer l’activité productive réelle de ses subalternes et instaurer une relation humaine de travail, aussi bien individuelle que collective au sein de l’équipe.

Est-ce un nouvel horizon du management ? Il est certain que cette période a mis en exergue une réalité déjà présente depuis longtemps dans les organisations, en faisant peut-être office de révélateur, de loupe ou d’accélérateur. En effet, ce confinement fut un évènement exceptionnel, certes, mais les disfonctionnements organisationnels qui ont pu être constatés et pointés du doigt pendant cette période ne sont pas nouveaux. Ils sont l’aboutissement de dynamiques qui étaient déjà sous-jacentes depuis longtemps, et ne sont que la continuité et le révélateur d’une réalité déjà à l’œuvre depuis des décennies. Dès lors, il sera difficile pour les organisations de passer à côté d’une réflexion humaine et organisationnelle sur le rôle de leurs différentes lignes managériales. Les organisations vont être amenées à renforcer certaines couches managériales qui leur semblent utiles et productives sur le terrain, à en modifier d’autres pour les ramener au service du travail productif et peut-être édulcorer certaines de leurs tâches superflues. Mais les organisations vont être amenées à en supprimer certaines, que le télétravail en confinement a révélé quelque peu inutiles au bon déroulement de la production. Nous pouvons alors nous interroger sur ce constat. Ces couches managériales sont-elles vraiment inutiles au point d’être supprimées, ou plutôt, n’ont-elles pas besoin d’une remise à plat de leur fonction ? N’avons-nous pas surtout besoin que les modalités de management soient différentes, et même plus largement que les modalités de travail actuelles évoluent dans les organisations ? Les données de l’enquête auprès des CAF mettent en lumière le caractère exceptionnel et révélateur de cette période de télétravail en confinement, concernant notre rapport au travail et à notre hiérarchie managériale. En effet, lorsque nous avons demandé aux répondants ce dont ils pensaient avoir besoin lorsqu’ils retourneraient dans les locaux de travail en entreprise, la majorité d’entre eux nous a répondu : « d’envisager de nouvelles manières de travail » (56,6%). Et ce, avant même de vouloir échanger de nouveau avec leurs collègues, de célébrer la fin de cette période difficile, de se former, d’avoir de l’aide de la part de l’encadrement, ou encore un soutien psychologique (voir tableau page suivante). Ces chiffres nous montrent la résonance de cette période et l’importance de la prise conscience des salariés quant à leur besoin de voir leur travail évoluer, et pas seulement d’un point de vue organisationnel. Ainsi, nous sommes très certainement en train de vivre un tournant, une page d’histoire du travail, que les organisations auront du mal à nier, pour celles qui se montrent encore réfractaires au développement du télétravail.

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Réponse à la question : « En ce qui concerne le retour sur le lieu de travail, de quoi pensez-vous avoir besoin ? »

Figure 32 - Ce dont les salariés des CAF interrogées disent avoir besoin dans l’optique d’un retour sur le lieu de travail.

Pourcentage CAF D'envisager de nouvelles manières de travailler 56,1%

D'échanges avec les collègues 51,6%

De célébrer la fin de cette période difficile 42,7%

De rien de spécial 25,1%

De me former 13,7%

De l'aide de l'encadrement 10,3%

D'un soutien psychologique 4,6%

Au-delà des mutations organisationnelles et managériales qui attendent nos organisations, nous pouvons aussi nous arrêter pour constater qu’il est finalement navrant et inquiétant d’incomber le management à faire tout simplement ce qui est l’essence même de son rôle. N’est-il pas en effet un peu pathétique de préciser que nos organisations ont besoin d’un management « de proximité à distance », d’un management « du travail réel » (CONJARD, 2014), ou encore d’un « servant

leadership » (PERRIER et al, 2018). Le management ne devrait-il pas toujours être encré dans le réel,

en ligne directe avec ses collaborateurs, pour leur apporter les outils, les informations et le suivi nécessaire à l’exercice de leur travail de manière efficace et agréable. Ne sommes-nous pas en train d’incomber le management de faire simplement « son travail » ? Et dans ce cas, comment se fait-il que nous en soyons arriver à ce constat ? Pourquoi nos modèles d’organisation, nos principes de direction et nos cultures d’entreprise en sont arrivées à être à ce point productrices d’incohérences, alors qu’elles se voulaient construites dans une optique d’efficacité et de rendement ?

Toutes ces questions témoignent des dysfonctionnements qui gangrènent les organisations depuis des décennies, et que la digitalisation et l’ubérisation du travail n’ont fait qu’exacerber. Le développement du télétravail invite plus que jamais les organisations à construire de nouvelles régulations sociales, qui serviront bien sûr toujours la logique productiviste de la plupart des organisations, mais en s’appuyant davantage sur le bien-être, la motivation et l’engagement des ressources humaines, plutôt que sur leur exploitation par le contrôle et la culture de l’urgence, qui s’avère aujourd’hui improductive. De nouvelles régulations sociales qui nous demandent de repenser les valeurs et les cultures d’entreprises, ainsi que notre rapport au travail et les modalités de management du travail, qui semblent avoir atteint un point d’asphyxie et de non-retour.

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