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PARTIE 2 METHODOLOGIE DE RECHERCHE ET RESULTATS DE L’ENQUETE

A. Un chamboulement des modalités de contrôle managérial à distance

Comme la littérature l’a déjà mentionné à plusieurs reprises depuis une quinzaine d’années, les modalités de contrôle sont indéniablement chamboulées dans le cadre du travail à distance. En rompant l’unité de lieu, de temps et d’action, le télétravail produit un phénomène de « déspatialisation » entre le manager et ses subalternes (TASKIN, 2006), ainsi qu’entre les membres des équipes de travail (DUMAS et al., 2017). La logique de contrôle visuel et physique devient alors inadéquate dans le cadre du télétravail, qui nécessite plutôt des mécanismes de contrôle reposant sur l’atteinte d’objectifs préétablis et la remise de livrables (BRUNELLE, 2010). De plus, le télétravail demande aux dirigeants de passer d’une attitude de surveillance physique et visuelle, basée sur la punition et la récompense, à une attitude de confiance réciproque et de transparence envers leurs collaborateurs à distance.

Toutefois, à la lecture des données l’enquête, on observe une dynamique particulière que la littérature et les précédentes études n’avaient semble-t-il jamais mis en exergue. En effet, on constate une forme « d’homogénéisation du contrôle » de l’activité. Les personnes qui se disaient les plus contrôlées par leur supérieur hiérarchique avant le confinement, comme celles travaillant en open space ou dans le même bureau que leur manager, témoignent d’une véritable diminution de leur niveau de contrôle. Inversement, celles qui se disaient les moins contrôlées avant le confinement, notamment les enseignants qui n’ont pas à proprement parlé de manager, se trouvent nettement plus soumis au contrôle de leur hiérarchie en situation de télétravail (voir tableau page suivante). Ces derniers doivent en effet davantage formaliser leur temps de travail pour le rendre visible aux autres et planifier les échanges, qui étaient autrefois en partie informels ou oralement convenus. Cette observation, un peu atypique au regard des résultats présentés par la recherche jusqu’à présent, nous invite à nous interroger sur la façon avec laquelle le contrôle évolue en situation de télétravail, car il semble être difficile de dégager une dynamique générale.

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Mises bout à bout, l’ensemble des recherches actuelles semblent nous montrer que de nombreux paramètres interviennent dans la gestion du contrôle en situation de télétravail, comme la culture d’entreprise, la personnalité du manager et celle du télétravailleur, ou encore le type de tâches réalisées par ce dernier. L’évolution du niveau de contrôle managérial à distance ne semble pas seulement dépendre du niveau de contrôle de départ en présentiel. Sa construction est plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord, car elle est le résultat d’un ensemble de paramètres, qui peuvent générer différentes situations pour deux niveaux de contrôle semblables au départ. Il est donc difficile de caractériser clairement l’évolution du contrôle managérial en situation de télétravail, et hasardeux de vouloir le généraliser de manière phénoménologique.

On peut ainsi se demander si le télétravail génère vraiment une forme d’homogénéisation du contrôle, qu’il soit permanent ou alterné avec le travail du présentiel, ou si ces résultats ne sont dus qu’au contexte du confinement, ou tout du moins à l’expérience d’un télétravail permanent de façon prolongée. La suite de l’enquête prévue par notre équipe de recherche nous apportera certainement des réponses à cet égard, qui devront de toute évidence, être mêlées à d’autres études sur la même thématique, afin de valider ou de nuancer cette tendance générale, au regard du contexte particulier du télétravail en période de confinement.

Variation du niveau de contrôle managérial perçut par les répondants avant le confinement et pendant :

Figure 27 - Variation du niveau de contrôle managérial perçut avant et pendant le télétravail en confinement.

Contrôle initial Variation échantillon initial Variation CAF

Très faible +24,3% +5,1% Faible +2,0% -3,9% Moyen -3,4% -7,2% Fort -12,4% -9,6% Très fort -19,4% -11,1% Total -5,6% -11,0 %

Quoi qu’il en soit, il semble que le niveau du contrôle perçu par les télétravailleurs en confinement est diminué de 11% pour les répondants des CAF interrogées et de 5,6% pour les répondants de l’échantillon initiale, qui sont d’ailleurs moins de 2% à se plaindre d’une hausse de la pression managériale et du niveau contrôle pendant ce télétravail confiné. Notons tout de même que les résultats obtenus auprès des CAF rendent nettement compte de cette homogénéisation du contrôle, et que les répondants témoignent d’une diminution du niveau de contrôle deux fois plus importante

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que les répondants de l’échantillon initial. Pourtant, constat qui peut sembler curieux, les répondants semblent plutôt mentionner une baisse de leur autonomie, surtout les répondants de l’enquête initiale (- 3,5%), mais également dans une moindre mesure pour les salariés des CAF interrogées (- 0,6%), alors que l’on aurait pu s’attendre à une hausse de cette dimension. Est-ce un constat résiduel de la situation d’urgence et de très envergure de mise en place du télétravail généralisé, qui aurait freiné la prise d’autonomie et la responsabilisation des télétravailleurs, à cause d’un manque de préparation de ces derniers et d’un manque de formation des managers ? Ou le télétravail est-il en fait un dispositif davantage infantilisant et contrôlant, bien que la littérature le présente comme étant un mode d’organisation du travail autonomisant ?

La suite de l’enquête nous permettra certainement de compléter nos observations et d’affiner nos hypothèses, car le caractère exceptionnel de cet évènement a pu générer un manque de préparation et d’organisation de la part des organisations et de leurs managers, ainsi qu’une certaine forme de tolérance générale favorisant une confiance mutuelle et une diminution de la pression managériale, qui seraient susceptibles de fausser les résultats. D’où l’importance d’être prudents aujourd’hui dans nos observations et nos analyses, et d’attendre la suite de l’étude, ainsi qu’un croisement plus approfondi avec d’autres recherches pour affiner et renforcer la légitimité de nos conclusions.

B. Quand est-il finalement de cette réduction du stress à domicile