Nous allons voir que si la règle de l’unité en sort apparemment affaiblie, le principe originel
demeure. Pour ce faire, il nous faudra tout d’abord écarter les arguments tant législatifs que
jurisprudentiels communément avancés pour fonder l’abandon de l’unité, avant de conclure
à une simple réduction de son domaine, non à une remise en cause totale.
La remise en cause des arguments fondant les allégations d’abandon de l’unité des fautes pénale et civile
d’imprudence– Positionnement du problème. Les commentateurs de la vie juridique
s’accordent pour considérer que la loi n
o2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la
définition des délits non intentionnels est venue dépénaliser partiellement l’imprudence. Ne
serait-il pas logique de considérer, par symétrie, qu’à la dépénalisation partielle de
l’imprudence faisait nécessairement écho une rupture seulement partielle du principe de
l’identité des fautes ?
701. La Cour de cassation avait admis que les tribunaux civils pouvaient retenir la responsabilité civile d’un individu relaxé dès lors que la réparation n’était pas fondée sur la faute, comprenons sur l’article 1383 du
Code civil. En revanche, l’indemnisation pouvait relever de l’article 1384, al. 1er relatif à la responsabilité
du gardien du fait d’une choseou encore de l’article 1385 relatif à la responsabilité du fait des animaux.
Dans le même ordre d’idées, le législateur, par la loi no 83-608 du 8 juillet 1983 renforçant la protection
des victimes d’infraction, est venu créer l’article 470-1 du Code de procédure pénale aux termes duquel le tribunal répressif qui prononce une relaxe pour homicide ou blessures involontaires demeure compétent sur la demande de la partie civile ou de son assureur « pour accorder en application des règles de droit civil réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite » (rédaction initiale de
l’article 470-1). Cependant, le juge pénal ne pouvait, une fois encore, fonder sa décision sur l’ancien
article 1383 du Code civil (art. 1241 nouveau), la Cour de cassation considérant que l’ancien article 1383 (art. 1241 nouveau) ne relevait pas « des règles de droit civil ».
702. Loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. En créant la faute caractérisée et en modifiant l’article 121-3 du Code pénal, elle vient édicter la règle de fond selon
laquelle une personne physique auteur indirect d’un dommage ne pourra plus voir sa responsabilité pénale engagée qu’en cas de faute d’imprudence qualifiée.
703. Cf. C. civ., art. 1241 nouveau. Dans le prolongement de cet article, la loi du 10 juillet 2000 modifiait
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Certains auteurs considèrent que la loi du 10 juillet 2000, en créant l’article 4-1 et en modifiant
l’article 470-1 du Code de procédure pénale
704, a néanmoins mis un terme à l’identité des
fautes pénale et civile d’imprudence
705. Dans le même sens, ils invoquent aussi la consécration
jurisprudentielle de cet abandon
706. Pour en arriver à cette affirmation, ces auteurs ont
préalablement invoqué une consécration de la dualité des fautes en cas de causalité directe.
Selon eux, il résulterait tant des nouvelles dispositions législatives que de la jurisprudence
qu’il serait possible de condamner civilement un individu auteur direct d’un dommage sur le
fondement de l’ancien article 1383 du Code civil
707, alors même que sa responsabilité pénale
n’aurait pu être retenue en l’absence d’une quelconque faute pénale, quelle que soit sa gravité.
Au regard de l’essence même du principe de l’unité des fautes pénale et civile d’imprudence
que nous avons rappelée plus haut, il est vrai que si cette affirmation se trouvait vérifiée, elle
serait significative d’une remise en cause patente du principe de l’identité. La démonstration
du maintien de l’unité en cas de causalité directe représente donc un enjeu majeur au regard
de la finalité de notre étude et constituera la clef de voûte du raisonnement à suivre.
La remise en cause des arguments de texte fondant les allégations d’abandon de l’unité des fautes pénale et
civile d’imprudence : retour sur l’interprétation des articles 4-1 et 470-1 du Code de procédure pénale –
Retour sur l’argument séparatiste tiré de l’article 4-1 du Code de procédure pénale. Cet article
renvoie globalement à l’article 121-3 du Code pénal et non au seul alinéa 4 de celui-ci. Il vise
en effet « l’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l’article 121-3 du Code
pénal ». Les détracteurs du maintien de l’unité soulignent alors que l’article 4-1 du Code de
procédure pénale en renvoyant à l’article 121-3 du Code pénal ne distingue pas entre l’alinéa 3
et l’alinéa 4
708, comprenons qu’il ne fait aucune distinction entre la faute d’imprudence simple
et qualifiée, ni entre la causalité directe et indirecte. Le fait que l’absence de faute pénale non
intentionnelle qualifiée, nécessaire à l’engagement de la responsabilité pénale de l’agent en
cas de causalité indirecte, ne fasse pas obstacle à l’exercice d’une action devant les juridictions
civiles ne pose pas de difficultés dans la mesure où cette absence laisse néanmoins la place à
l’existence d’une faute simple pouvant fonder la responsabilité civile de l’intéressé en
application de l’ancien article 1383 du Code civil. C’était l’objectif de la réforme que de
dépénaliser certaines fautes d’imprudence en relation de causalité plus éloignée avec le
dommage, sans toutefois altérer le droit à réparation des victimes. Plus délicate est la question
de savoir si l’absence d’une faute pénale non intentionnelle simple, suffisante à l’engagement
de la responsabilité pénale de l’agent en cas de causalité directe, ne fait pas obstacle à
l’exercice d’une action devant les juridictions civiles. Plus précisément, est-il possible de
considérer que la relaxe fondée sur l’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de
704. Désormais, un tribunal répressif prononçant la relaxe pour une infraction non intentionnelle au sens des deuxième, troisième et quatrième alinéas demeure compétent en application des règles du droit civil pour accorder réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite. Sur la portée du nouveau texte, cf. infra.
705. Cf. en ce sens A. GIUDICELLI, « Principe de l’autorité de la chose jugée du pénal sur le civil », RSC, 2003, p. 125.
706. Cf. en ce sens A. GIUDICELLI : « La déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non
intentionnelle ne fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d’imprudence ou de
négligence » (Cass. 1re civ., 30 janv. 2001), op. cit., p. 613.
707. Depuis l’Ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, il est devenu l’article 1241 du Code civil.
708. En ce sens notamment, G. VINEY, « Conclusions du colloque sur la nouvelle définition des délits non intentionnels par la loi du 10 juillet 2000 », RSC 2001, p. 764.
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l’article 121-3, alinéa 3 du Code pénal ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action en
réparation devant les juridictions civiles sur le fondement de l’article 1383 du Code civil ?
L’imprécision des termes de l’article 4-1 invite a priori à l’envisager. En outre, selon André
Giudicelli, qui partage cette opinion avec Yves Mayaud
709et Geneviève Viney
710, « l’intérêt
de la modification introduite par le législateur est de permettre une réparation au civil alors
même que la relaxe aurait été prononcée sur le fondement de l’absence de la faute non
intentionnelle la plus ordinaire »
711. Or, n’avons-nous pas démontré qu’au regard du principe
de l’unité, les fautes d’imprudence identiques étaient les fautes de l’article 121-3, alinéa 3 du
Code pénal et de l’ancien article 1383 du Code civil
712? Si l’absence d’imprudence pénale
ordinaire, en ne faisant pas obstacle à la réparation, valide implicitement l’existence d’une
imprudence civile, il faudrait alors logiquement conclure à l’anéantissement du principe de
l’unité des fautes pénale et civile d’imprudence. À l’instar d’autres auteurs
713, nous ne
souscrivons pas à une telle conclusion. Aussi, l’article 4-1 ayant ouvert la voie à une telle
analyse, il convient d’en proposer une autre lecture.
Les arguments contre la dualité. L’article 4-1 du Code de procédure pénale ne saurait être
invoqué au soutien de la dualité de fautes dans la mesure où il est censé constituer la
traduction procédurale de l’article 121-3 du Code pénal. Or, comme nous l’avons rappelé,
l’article 121-3, alinéa 4, en consacrant tout à la fois la création d’une nouvelle faute qualifiée
et la distinction de la causalité directe et indirecte, ne fait qu’ajuster la gravité de la faute
exigée au titre de la répression à la proximité de sa relation avec le dommage. On ne peut pas
dire qu’il vienne porter atteinte au principe de l’identité dans son essence originelle. Dans le
même sens, Christine Desnoyer, dans son article consacré à la disposition de l’article 4-1,
rappelle que « sa genèse dans les travaux préparatoires montre cependant qu’elle n’a été
conçue, à l’origine, que comme l’accessoire d’un autre texte, lui aussi nouveau : la mission
officielle de l’article 4-1 est en effet de tirer les conséquences procédurales de l’article 121-3,
alinéa 4 du Code pénal »
714. Dès lors, dans la mesure où l’article 4-1 se veut la version
procédurale de l’article 121-3, alinéa 4, on peut considérer que l’absence de renvoi au seul
quatrième de cet article procède d’un oubli du législateur
715. En outre, alors que l’article 4-1
se présente « comme un texte techniquement indispensable à la mise en œuvre de la réforme
de 2000, dont la clef de voûte est l’article 121-3, alinéa 4 du Code pénal »
716, il s’avère inutile
au regard de cet objectif. En effet, « la mise en œuvre de l’article 121-3, alinéa 4 ne nécessite,
709. Y. MAYAUD, Dalloz référence, no 91-183. 710. G. VINEY, op. cit.
711. A. GIUDECELLI, « Principe de l’autorité de la chose jugée du pénal sur le civil », op. cit., p. 125. 712. Cf. C. civ., art. 1241 nouveau.
713. Contra : J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., p. 650 ; J. PRADEL, « De la véritable portée de la loi du 10 juillet 2000 sur la définition des délits inintentionnels », op. cit.
714. C. DESNOYER, « L’article 4-1 du Code de procédure pénale, la loi du 10 juillet 2000 et les ambitions du législateur : l’esprit contrarié par la lettre », D., 2002, p. 979. L’auteur précise en outre que «l’article 4-1
était d’ailleurs absent de la proposition de loi initiale et ce n’est qu’à l’initiative de Madame Lazerges que
cette disposition fut adoptée : les députés ont estimé qu’il fallait préciser formellement la distinction des
fautes civile et pénale que l’article 121-3, alinéa 4 opérait désormais en matière de causalité directe ». 715. Pour ne pas parler, à l’instar de Christine Desnoyer, du «comble de l’inconséquence pour un texte,
l’article 4-1, censé traduire les incidences procédurales de cette fameuse disposition de l’article 121-3, alinéa 4 ! » (Ibid.)