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Le maintien du principe

Dans le document L'imputabilité en droit pénal (Page 151-154)

Nous allons voir que si la règle de l’unité en sort apparemment affaiblie, le principe originel

demeure. Pour ce faire, il nous faudra tout d’abord écarter les arguments tant législatifs que

jurisprudentiels communément avancés pour fonder l’abandon de l’unité, avant de conclure

à une simple réduction de son domaine, non à une remise en cause totale.

La remise en cause des arguments fondant les allégations dabandon de lunité des fautes pénale et civile

dimprudence– Positionnement du problème. Les commentateurs de la vie juridique

s’accordent pour considérer que la loi n

o

2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la

définition des délits non intentionnels est venue dépénaliser partiellement l’imprudence. Ne

serait-il pas logique de considérer, par symétrie, qu’à la dépénalisation partielle de

l’imprudence faisait nécessairement écho une rupture seulement partielle du principe de

l’identité des fautes ?

701. La Cour de cassation avait admis que les tribunaux civils pouvaient retenir la responsabilité civile d’un individu relaxé dès lors que la réparation n’était pas fondée sur la faute, comprenons sur l’article 1383 du

Code civil. En revanche, l’indemnisation pouvait relever de l’article 1384, al. 1er relatif à la responsabilité

du gardien du fait d’une choseou encore de l’article 1385 relatif à la responsabilité du fait des animaux.

Dans le même ordre d’idées, le législateur, par la loi no 83-608 du 8 juillet 1983 renforçant la protection

des victimes d’infraction, est venu créer l’article 470-1 du Code de procédure pénale aux termes duquel le tribunal répressif qui prononce une relaxe pour homicide ou blessures involontaires demeure compétent sur la demande de la partie civile ou de son assureur « pour accorder en application des règles de droit civil réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite » (rédaction initiale de

l’article 470-1). Cependant, le juge pénal ne pouvait, une fois encore, fonder sa décision sur l’ancien

article 1383 du Code civil (art. 1241 nouveau), la Cour de cassation considérant que l’ancien article 1383 (art. 1241 nouveau) ne relevait pas « des règles de droit civil ».

702. Loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. En créant la faute caractérisée et en modifiant l’article 121-3 du Code pénal, elle vient édicter la règle de fond selon

laquelle une personne physique auteur indirect d’un dommage ne pourra plus voir sa responsabilité pénale engagée qu’en cas de faute d’imprudence qualifiée.

703. Cf. C. civ., art. 1241 nouveau. Dans le prolongement de cet article, la loi du 10 juillet 2000 modifiait

150

Certains auteurs considèrent que la loi du 10 juillet 2000, en créant l’article 4-1 et en modifiant

l’article 470-1 du Code de procédure pénale

704

, a néanmoins mis un terme à l’identité des

fautes pénale et civile d’imprudence

705

. Dans le même sens, ils invoquent aussi la consécration

jurisprudentielle de cet abandon

706

. Pour en arriver à cette affirmation, ces auteurs ont

préalablement invoqué une consécration de la dualité des fautes en cas de causalité directe.

Selon eux, il résulterait tant des nouvelles dispositions législatives que de la jurisprudence

qu’il serait possible de condamner civilement un individu auteur direct d’un dommage sur le

fondement de l’ancien article 1383 du Code civil

707

, alors même que sa responsabilité pénale

n’aurait pu être retenue en l’absence d’une quelconque faute pénale, quelle que soit sa gravité.

Au regard de l’essence même du principe de l’unité des fautes pénale et civile d’imprudence

que nous avons rappelée plus haut, il est vrai que si cette affirmation se trouvait vérifiée, elle

serait significative d’une remise en cause patente du principe de l’identité. La démonstration

du maintien de l’unité en cas de causalité directe représente donc un enjeu majeur au regard

de la finalité de notre étude et constituera la clef de voûte du raisonnement à suivre.

La remise en cause des arguments de texte fondant les allégations dabandon de lunité des fautes pénale et

civile dimprudence : retour sur linterprétation des articles 4-1 et 470-1 du Code de procédure pénale

Retour sur l’argument séparatiste tiré de l’article 4-1 du Code de procédure pénale. Cet article

renvoie globalement à l’article 121-3 du Code pénal et non au seul alinéa 4 de celui-ci. Il vise

en effet « l’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l’article 121-3 du Code

pénal ». Les détracteurs du maintien de l’unité soulignent alors que l’article 4-1 du Code de

procédure pénale en renvoyant à l’article 121-3 du Code pénal ne distingue pas entre l’alinéa 3

et l’alinéa 4

708

, comprenons qu’il ne fait aucune distinction entre la faute d’imprudence simple

et qualifiée, ni entre la causalité directe et indirecte. Le fait que l’absence de faute pénale non

intentionnelle qualifiée, nécessaire à l’engagement de la responsabilité pénale de l’agent en

cas de causalité indirecte, ne fasse pas obstacle à l’exercice d’une action devant les juridictions

civiles ne pose pas de difficultés dans la mesure où cette absence laisse néanmoins la place à

l’existence d’une faute simple pouvant fonder la responsabilité civile de l’intéressé en

application de l’ancien article 1383 du Code civil. C’était l’objectif de la réforme que de

dépénaliser certaines fautes d’imprudence en relation de causalité plus éloignée avec le

dommage, sans toutefois altérer le droit à réparation des victimes. Plus délicate est la question

de savoir si l’absence d’une faute pénale non intentionnelle simple, suffisante à l’engagement

de la responsabilité pénale de l’agent en cas de causalité directe, ne fait pas obstacle à

l’exercice d’une action devant les juridictions civiles. Plus précisément, est-il possible de

considérer que la relaxe fondée sur l’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de

704. Désormais, un tribunal répressif prononçant la relaxe pour une infraction non intentionnelle au sens des deuxième, troisième et quatrième alinéas demeure compétent en application des règles du droit civil pour accorder réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite. Sur la portée du nouveau texte, cf. infra.

705. Cf. en ce sens A. GIUDICELLI, « Principe de l’autorité de la chose jugée du pénal sur le civil », RSC, 2003, p. 125.

706. Cf. en ce sens A. GIUDICELLI : « La déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non

intentionnelle ne fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d’imprudence ou de

négligence » (Cass. 1re civ., 30 janv. 2001), op. cit., p. 613.

707. Depuis l’Ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, il est devenu l’article 1241 du Code civil.

708. En ce sens notamment, G. VINEY, « Conclusions du colloque sur la nouvelle définition des délits non intentionnels par la loi du 10 juillet 2000 », RSC 2001, p. 764.

151

l’article 121-3, alinéa 3 du Code pénal ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action en

réparation devant les juridictions civiles sur le fondement de l’article 1383 du Code civil ?

L’imprécision des termes de l’article 4-1 invite a priori à l’envisager. En outre, selon André

Giudicelli, qui partage cette opinion avec Yves Mayaud

709

et Geneviève Viney

710

, « l’intérêt

de la modification introduite par le législateur est de permettre une réparation au civil alors

même que la relaxe aurait été prononcée sur le fondement de l’absence de la faute non

intentionnelle la plus ordinaire »

711

. Or, n’avons-nous pas démontré qu’au regard du principe

de l’unité, les fautes d’imprudence identiques étaient les fautes de l’article 121-3, alinéa 3 du

Code pénal et de l’ancien article 1383 du Code civil

712

? Si l’absence d’imprudence pénale

ordinaire, en ne faisant pas obstacle à la réparation, valide implicitement l’existence d’une

imprudence civile, il faudrait alors logiquement conclure à l’anéantissement du principe de

l’unité des fautes pénale et civile d’imprudence. À l’instar d’autres auteurs

713

, nous ne

souscrivons pas à une telle conclusion. Aussi, l’article 4-1 ayant ouvert la voie à une telle

analyse, il convient d’en proposer une autre lecture.

Les arguments contre la dualité. L’article 4-1 du Code de procédure pénale ne saurait être

invoqué au soutien de la dualité de fautes dans la mesure où il est censé constituer la

traduction procédurale de l’article 121-3 du Code pénal. Or, comme nous l’avons rappelé,

l’article 121-3, alinéa 4, en consacrant tout à la fois la création d’une nouvelle faute qualifiée

et la distinction de la causalité directe et indirecte, ne fait qu’ajuster la gravité de la faute

exigée au titre de la répression à la proximité de sa relation avec le dommage. On ne peut pas

dire qu’il vienne porter atteinte au principe de l’identité dans son essence originelle. Dans le

même sens, Christine Desnoyer, dans son article consacré à la disposition de l’article 4-1,

rappelle que « sa genèse dans les travaux préparatoires montre cependant qu’elle n’a été

conçue, à l’origine, que comme l’accessoire d’un autre texte, lui aussi nouveau : la mission

officielle de l’article 4-1 est en effet de tirer les conséquences procédurales de l’article 121-3,

alinéa 4 du Code pénal »

714

. Dès lors, dans la mesure où l’article 4-1 se veut la version

procédurale de l’article 121-3, alinéa 4, on peut considérer que l’absence de renvoi au seul

quatrième de cet article procède d’un oubli du législateur

715

. En outre, alors que l’article 4-1

se présente « comme un texte techniquement indispensable à la mise en œuvre de la réforme

de 2000, dont la clef de voûte est l’article 121-3, alinéa 4 du Code pénal »

716

, il s’avère inutile

au regard de cet objectif. En effet, « la mise en œuvre de l’article 121-3, alinéa 4 ne nécessite,

709. Y. MAYAUD, Dalloz référence, no 91-183. 710. G. VINEY, op. cit.

711. A. GIUDECELLI, « Principe de l’autorité de la chose jugée du pénal sur le civil », op. cit., p. 125. 712. Cf. C. civ., art. 1241 nouveau.

713. Contra : J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, op. cit., p. 650 ; J. PRADEL, « De la véritable portée de la loi du 10 juillet 2000 sur la définition des délits inintentionnels », op. cit.

714. C. DESNOYER, « L’article 4-1 du Code de procédure pénale, la loi du 10 juillet 2000 et les ambitions du législateur : l’esprit contrarié par la lettre », D., 2002, p. 979. L’auteur précise en outre que «l’article 4-1

était d’ailleurs absent de la proposition de loi initiale et ce n’est qu’à l’initiative de Madame Lazerges que

cette disposition fut adoptée : les députés ont estimé qu’il fallait préciser formellement la distinction des

fautes civile et pénale que l’article 121-3, alinéa 4 opérait désormais en matière de causalité directe ». 715. Pour ne pas parler, à l’instar de Christine Desnoyer, du «comble de l’inconséquence pour un texte,

l’article 4-1, censé traduire les incidences procédurales de cette fameuse disposition de l’article 121-3, alinéa 4 ! » (Ibid.)

152

sur le plan procédural, la précision d’aucun texte »

717

. Comme le démontre Christine

Desnoyer, « il n’est besoin d’aucune disposition particulière pour autoriser le juge civil à

mettre en œuvre l’article 1383

718

lorsque l’auteur indirect des faits litigieux a été relaxé par le

juge pénal pour non-caractérisation de la faute grave de l’article 121-3, alinéa 4. En effet, une

telle relaxe établit seulement l’absence de faute grave à la charge du prévenu, mais n’exclut

nullement l’hypothèse de la commission d’une faute simple, suffisante pour justifier

l’allocation de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1383 »

719

. Christine

Desnoyer va même jusqu’à considérer que l’article 4-1 peut être dangereux en ce sens que la

lettre du texte, en visant l’exercice d’une action en réparation devant les seules juridictions

civiles, est de nature à priver certaines victimes du droit à réparation. En effet, la réparation

du dommage causé n’étant pas toujours de la compétence de la juridiction civile, notamment

lorsque le préjudice résulte de la faute de service d’un agent public, la référence restrictive de

l’article 4-1 du Code pénal aux seules juridictions civiles est bien de nature à exclure certains

préjudices du champ de la réparation.

Si l’on récapitule les attributs de l’article 4-1, il faut considérer que ce texte, en plus d’être

incomplet et trop restrictif

720

, est aussi accessoire, inutile, voire dangereux. Ainsi, il faudrait

fonder dans une telle disposition la potentialité d’une remise en cause du principe de

l’identité ? Il ne reste selon nous qu’à procéder à une réécriture de la lettre du texte, d’une

part en incluant un renvoi au seul alinéa 4 de l’article 121-3 et, d’autre part, en supprimant la

référence aux seules juridictions civiles.

Retour sur l’argument séparatiste tiré de l’article 470-1 du Code de procédure pénale. Les

tenants de la thèse dualiste auraient pu a priori trouver argument dans la lettre de l’article 470-1

dès sa création par la loi n

o

83-608 du 8 juillet 1983 renforçant la protection des victimes

d’infraction, mais c’était sans compter son interprétation restrictive par la Cour de cassation.

Nous avons vu que l’article 470-1 prévoyait, dans sa rédaction initiale, que le tribunal

répressif qui prononce une relaxe pour homicide ou blessures involontaires demeure

compétent sur la demande de la partie civile ou de son assureur « pour accorder en

application des règles de droit civil réparation de tous les dommages résultant des faits qui

ont fondé la poursuite ». Cependant, comme le rappelle Philippe Bonfils, la juridiction

suprême devait très vite préciser que « l’expression “en application des règles du droit civil”

ne visait que les hypothèses de responsabilité sans faute, comme par exemple la responsabilité

Dans le document L'imputabilité en droit pénal (Page 151-154)