• Aucun résultat trouvé

L ’ imputabilité redevient donc une condition de la responsabilité civile lorsqu ’ elle poursuit une finalité punitive – ce qui, une nouvelle fois, met en évidence le caractère téléologique

Dans le document L'imputabilité en droit pénal (Page 168-171)

de sa fonction. Le renforcement du caractère punitif de la responsabilité civile à la faveur

de l’évolution du droit positif questionne logiquement le retour de l’impératif d’imputabilité

à l’engagement de la responsabilité civile.

3.2 Le retour de l’exigence d’imputabilité à l’engagement de la responsabilité civile

questionnée à l’aune de la généralisation de l’amende civile

Comme les développements précédents l’ont mis au jour, le droit civil est aussi depuis

plusieurs années en profonde mutation. Nous avons déjà rappelé que le droit commun de

la responsabilité civile était régi par le principe de réparation intégrale du préjudice en vertu

duquel les dommages-intérêts doivent strictement correspondre au préjudice subi, sans qu’il

ne puisse en résulter pour la victime « ni perte ni profit ». Ce principe, qui vise le retour au

statu quo ante, en prohibant tout enrichissement injustifié pour la victime, est logiquement

indifférent à la nature ou la gravité de la faute commise. L’articulation entre le principe de

la réparation intégrale du préjudice et le prononcé de dommages et intérêts punitifs paraît

donc difficile. Cette institution, en provenance des pays de Common Law, fait aussi polémique

en ce sens qu’elle serait de nature à confondre les responsabilités civile et pénale en assignant

à la responsabilité civile une dimension assumée tout à la fois préventive et punitive. Pour

autant, de nombreux auteurs militent en faveur de l’introduction en droit positif des

dommages et intérêts punitifs, afin de sanctionner les comportements déloyaux. Si

d’aventure elle venait à se produire, il nous semble qu’il faudrait reconsidérer la question de

l’exclusion de l’exigence d’imputabilité à l’engagement de la responsabilité civile. Dans le

cadre de ce développement, il importe simplement de signaler que plusieurs éléments

rendent cette perspective vraisemblable, voire même que le rubicond est en passe d’être

franchi par la généralisation d’un substitut incarné par l’amende civile.

En premier lieu, le principe de la réparation intégrale du préjudice n’est pas, en pratique,

aussi intangible qu’il y paraît. On pense d’abord au fait qu’il n’est pas d’ordre public et à

l’existence de nombreuses dérogations législatives, à l’instar de la reconnaissance de la clause

808. Cf. supra.

809. Selon P. Jacques : « Cette faute a pour but moins la réparation que la sanction. Ce rôle, essentiellement répressif, assure la répression de certains comportements, ce qui nécessite le maintien du discernement. » (P. JACQUES, note sous Civ. 2e, 28 févr. 1996, no 94-13084,Bull. crim., no 54, Gaz. Pal. 1997, 1, p. 86, spéc. p. 91.

810. Toujours selon P. Jacques, « […] la fonction de la faute inexcusable est répressive». Donc l’exigence du

discernement doit encore s’imposer puisque «si l’on synthétise les effets de cette faute, on s’aperçoit qu’ils tendent à priver une personne, une victime le plus souvent […] d’un régime de faveur. » (Ibid.)

167

pénale ou des clauses limitatives de réparation. Ensuite, au-delà du mythe du retour au statu

quo ante, la Cour de cassation, en laissant aux juges du fond le pouvoir d’apprécier

souverainement l’étendue du dommage subi par la victime, autorise implicitement le

« gonflement » du préjudice réellement subi par la prise en compte sous-jacente de la faute

commise

811

. La Haute Juridiction s’est même expressément positionnée en faveur de la

consécration des dommages et intérêts punitifs. Par un arrêt remarqué rendu le 1

er

décembre

2010, la Cour de cassation a admis la compatibilité, de principe, d’une telle sanction à l’ordre

public – à condition toutefois qu’un principe de proportionnalité soit respecté

812

. On pense

aussi à certaines disciplines, à l’instar du droit des affaires qui est fortement marqué par cette

finalité punitive alors même qu’il reste régi par le droit commun de la responsabilité civile.

Selon Aurélie Ballot-Léna, « ce qui frappe c’est la fonction punitive poursuivie par la

responsabilité civile en droit des affaires. Certains régimes spéciaux de responsabilité civile

propres au droit des affaires en sont autant d’illustrations »

813

. Dans le prolongement de ces

propos, on peut citer l’action en concurrence déloyale. Elle n’est pas consacrée par un texte

spécial. Ce sont les anciens articles 1382 et 1383 qui servent de fondement à l’action. Bien

qu’elle repose sur les dispositions du droit commun, il est souvent dit que la sanction

prononcée a un caractère punitif. C’est autrement considérer que cette discipline

consacrerait, sans le dire, le concept de dommages et intérêts punitifs.

Ces solutions particulières conduisent inévitablement à une déformation des notions

classiques de la responsabilité civile, à commencer par celle de préjudice. C’est donc sans

surprise que plusieurs projets ont proposé une réforme de la responsabilité civile, inspirée

pour partie du droit des affaires. Le rapport Béteille

814

et le projet Catala

815

ont ainsi proposé

l’instauration, en droit français, de dommages-intérêts punitifs. Si la dernière réforme du

droit de la responsabilité civile ne va pas jusque-là, le droit interne s’en rapproche à grands

pas. La généralisation de l’amende civile en est le symptôme. Cette dernière peut s’analyser

en un véritable substitut aux dommages et intérêts punitifs. Elle présente l’avantage

fallacieux de ne pas toucher au dogme de la réparation intégrale du préjudice.

811. On peut d’ailleurs se demander si l’admission de la réparation du préjudice moral ne poursuit pas un

objectif punitif. Ce dernier, qui ne saurait par hypothèse se mesurer à l’aune de la perte patrimoniale subie

par la victime, ne réfère-t-il pas en pratique à la gravité de la faute commise ?

812. Cass. civ. 1re, 1er déc. 2010, no 09-13.303, Bull. 2010, I, no 248, D., 2011, actu. 24, obs. I. GALLMEISTER ;

D., 2011, p. 423, note F.-X. LICARI ; RTD civ. 2011, p. 122, obs. B. FAGEs ; RTD civ. 2011, p. 317, obs. P. REMY-CORLAY.

813. A. BALLOT-LENA, « Les pratiques des affaires saisies par le droit commun de la responsabilité civile français », actes du colloque de Sarrebruck, 26 juin 2015 – Pratique des affaires et règles juridiques : influences, limites.

814. A. ANZIANI et L. BETEILLE, « Responsabilité civile : des évolutions nécessaires » ; Rapport d’information

no 558 (2008-2009) fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 15 juillet 2009, disponible sur le site Internet du Sénat.

815. P. CATALA (sous la dir. de), Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, 2006, La

documentation française, rapport au ministère de la Justice. Par exemple, l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, présenté par le professeur Catala, proposait un nouvel article 1371 du Code civil, lequel disposait que : « L’auteur d’une faute manifestement délibérée, et notamment d’une faute lucrative, peut être condamné, outre les dommages et intérêts compensatoires, à

des dommages-intérêts punitifs dont le juge a la faculté de faire bénéficier pour une part le Trésor public.

La décision du juge d’octroyer de tels dommages-intérêts doit être spécialement motivée et leur montant distingué de celui des autres dommages-intérêts accordés à la victime. Les dommages-intérêts punitifs ne sont pas assurables. »

168

L’enrichissement injustifié de la victime est évité puisqu’elle sera versée au Trésor public ou

à un fonds de garantie. Jusqu’à la réforme de la responsabilité civile, l’amende civile était

prévue par des dispositions spécifiques destinées à régir des situations ponctuelles

816

. La

réforme s’est orientée vers la généralisation du recours à l’amende civile. Dévoilant l’

avant-projet de réforme de la responsabilité civile, Jean-Jacques Urvoas a précisé que « lorsque le

responsable d’un dommage, sans pour autant chercher à le causer, aura commis

volontairement une faute pour rechercher un gain ou une économie, il pourra se voir infliger

une amende civile, dont le montant sera versé à l’État ou à un fonds d’indemnisation »

817

.

L’ancien garde des Sceaux a tenu à préciser que « cette amende civile est différente de la

notion de “dommages et intérêts punitifs”, versés à la victime de la faute que nombre de

juristes craignaient de voir introduite en droit français »

818

. Bien qu’il ait tenu à souligner que

« l’amende civile à la française sera respectueuse de notre tradition juridique »

819

,

l’appréhension globale des comportements fautifs par le recours à l’amende civile nous

paraît à elle seule susceptible d’affecter les principes fondamentaux de la responsabilité

civile. En effet, elle a pour conséquence évidente de renforcer plus encore la dimension

préventive et punitive de la responsabilité civile. Cette problématique dévoile la « face

cachée de notre droit de la responsabilité civile abordé dans sa fonction de peine privée »

820

au point de pouvoir considérer que la responsabilité civile constitue aujourd’hui une

responsabilité « parapénale »

821

. L’amende civile est « du droit pénal sans le droit pénal »

822

.

Ainsi, l’un des effets pervers peut consister à priver l’agent de certains mécanismes

protecteurs du droit pénal. Pour cette raison, nous ne souscrivons pas à l’analyse d’une partie

de la doctrine considérant que son introduction en droit positif ne bouleverse pas les

principes fondamentaux de la responsabilité civile. Le rapprochement décisif ainsi opéré

entre responsabilité civile et responsabilité pénale invite à questionner le retour de l’exigence

d’imputabilité à l’engagement de la responsabilité civile, sans qu’il ne soit nécessaire

d’attendre l’éventuelle consécration, en droit interne, des dommages et intérêts punitifs.

De manière plus surprenante, le retour de l’exigence d’imputabilité en droit de la

responsabilité civile pourrait aussi être plébiscité pour renforcer l’objectif indemnitaire de

cette responsabilité. À l’occasion d’une réflexion menée sur l’amélioration de

l’indemnisation des victimes, certains auteurs regrettent que l’abandon de principe de

l’imputabilité en matière civile ait contribué à amoindrir, voire à exclure, la réparation de la

victime ayant contribué à la réalisation de son dommage.

816. Elle devait être prévue par un texte spécifique et prononcée par une juridiction de l’ordre judiciaire pour des faits qui ne sont pas constitutifs d’une infraction pénale. Pour une étude de ces hypothèses spécifiques, cf. A. BALLOT-LENA, op. cit.

817. Dalloz act., 14 mars 2017, « Jean-Jacques Urvoas dévoile l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile ».

818. Ibid.

819. Ibid.

820. S. CARVAL, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, LGDJ, t. 250, 1995.

821. R. MESA, « La consécration d’une responsabilité civile punitive : une solution au problème des fautes lucratives », Gaz. Pal., 21 nov. 2009, no 235, p. 15.

822. M. BEHAR-TOUCHAIS, « L’amende civile est-elle un substitut à l’absence de dommages et intérêts

169

4. Le retour de l’exigence d’imputabilité afin de garantir l’intégralité de la

réparation des dommages subis par la victime

Ce questionnement vise l’hypothèse où la faute de la victime peut lui être opposée pour venir

Dans le document L'imputabilité en droit pénal (Page 168-171)