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Le mode de perception des relations familiales et communautaires en Haïti constitue un des motifs de l’adoption intrafamiliale en Haïti. Mais ces motifs peuvent être davantage renforcés quand ils s’inscrivent dans une dynamique de resserrement des liens au sein d’un clan et de maintien des liens de filiation à distance. Cela répond, en effet, à une culture qui valorise des sentiments et l’esprit d’appartenance forts à la famille. En ce sens, l’adoption d’un enfant d’un membre de la famille peut être un instrument de renforcement des liens :

Cette adoption resserre beaucoup les relations entre moi et ma cousine (mère biologique des enfants adoptés) mais aussi dans toute la famille. On a toujours des réunions de famille à chaque année. Elles sont réalisées parfois aux États-Unis, parfois, c’est à Montréal (Sonia).

Tel que nous l’avons déjà souligné, en Haïti, les liens familiaux prennent une dimension particulière. Ils sont parfois tellement forts que jusqu’à présent certaines familles, tout en maintenant des relations avec d’autres, ont formé ce que Bijoux (1989) appelle «clan familial». Cet esprit de clan dont il est question fait partie intégrante de l’univers mental de l’Haïtien. Il semblerait que celui qui quitte le pays pour s’installer ailleurs, a du mal à se défaire de cette perception des relations sociales. Au contraire, il a tendance à innover par l’emploi de diverses stratégies pour maintenir à distance cette forme de filiation et jouer pleinement son rôle dans la famille et sa communauté d’origine depuis son pays d’accueil.

Par ailleurs, ce besoin de marquer sa présence dans sa communauté d’origine est facilité par le phénomène de globalisation qui permet une certaine mobilité humaine, la circulation des biens et des services et la technologie de communication qui facilite l’accès aux informations. Cela facilite, d’une part, une forme de liaison avec le pays d’origine et d’autre part, accroit considérablement le rythme des voyages du migrant dans

son pays d’origine, ce qui offre à ce dernier une marge de manœuvre considérable pour s’impliquer plus activement dans différentes activités sociopolitiques dans sa communauté d’origine y compris le domaine de protection des enfants. Cette dynamique a engendré, en effet, un resserrement des liens du migrant avec la population locale, de rester constamment présent dans la vie des gens dans la communauté d’origine et ainsi intensifier le sentiment d’appartenance. Tel que nous l’avons signalé, la communauté haïtienne ne fait pas exception. Son expérience est révélatrice d’une forme d’attache sociale au pays d’origine qui attire sans cesse les chercheurs intéressés au transnationalisme (Audebert, 2006)

Toutefois, une remise en perspective historique nous permettra d’inscrire dans le temps cette mémoire collective en diaspora tournée vers le terroir. Pour ce faire, il nous parait indispensable de réfléchir sur le mode de socialisation de l`Haïtien, en lien avec le mode d’appropriation du territoire par la population des communautés rurales du pays. Cette forme de répartition sur le territoire est, de fait, considérée comme motrice de la culture haïtienne. Elle est présentée dans le système de Lakou de Paul Moral (1961, cité par Bastien (1986) dans les années 60. Il s’agit d’un ensemble de petites maisons en forme de dos de cheval, construites autour d’une maison principale qui appartient au père spirituel de ‘Lakou’. Mais ce père détenait un pouvoir réel sur les habitants de cet espace, composé essentiellement de ses descendants directs ou indirects. En cas de conflit, l’on fait appel à lui, en vue d’une résolution pacifique en famille. L’éclatement de ce système a donné lieu à de petites communautés rurales habitées souvent par des descendants de plusieurs «Lakou». Mais il n’a pas totalement éradiqué le sentiment dégagé comme valeur au sein de ce mode d’appropriation du territoire. Dans cette division territoriale, l’on assiste parfois à des luttes pour le pouvoir, puisqu’un leader doit nécessairement émerger et être appelé à jouer un rôle important dans la communauté : soit par ses conseils, soit par son implication dans des activités de développement et parfois même dans la résolution des conflits intra/inter familiaux. Or, depuis plus d’un demi-siècle, des haïtiens se sont engagés dans le processus migratoire à l’échelle internationale. Ce mouvement continu de population a profondément perturbé cette architecture sociale chez l’émigrant, car le pays hôte semble mieux adapté à une perspective économique, qu’à une dynamique d’épanouissement sociopolitique. D’où un retournement du regard

vers la mère-patrie, précisément vers la communauté d’origine, à la recherche de cette espace de pouvoir et d’influence perdu dans le processus migratoire.

Pour ce faire, des organismes, sont alors créés au niveau de la diaspora avec pour objectif de participer dans activités de développement en Haïti. Cette stratégie permet à l’émigrant, de recouvrer son espace d’épanouissement sociopolitique comme acteur de changement dans son pays d’origine, tout en étant à distance. Ainsi, il participe dans les activités de développement, en finançant des microprojets de développement par la mise en place des articulations entre des organismes communautaires locaux, en Haïti et ceux de la diaspora.

Cette forme de relation, ne permet-elle pas de créer un véritable espace d’influence et de pouvoir qui dépasse le niveau communautaire en Haïti ? Probablement, puisque durant ces dernières années, la diaspora haïtienne est devenue un nouveau champ de bataille politique très prisé lors des campagnes électorales régionales et nationales en Haïti.

Par contre, voyons dans un angle plus restreint, comment ce nouveau schéma sociopolitique fonctionne dans certaines communautés en Haïti. Dans cette perspective, il convient de souligner que d’une part, les transferts d’argent et de biens qui permettent aux migrants de jouer un rôle très important au sein de leurs familles. Il arrive parfois que dans certaines grandes décisions, son dernier mot soit parfois sans appel, puis qu’il est souvent la source principale de revenu de la famille. En ce sens, même s’il n’est pas présent, il demeure très influent dans la famille. Sur le plan communautaire, sa cotisation pour la réalisation des fêtes régionales, les envois des kits scolaires dans leur communauté d’origine pour distribuer à des élèves à l’occasion de la réouverture des classes et sa participation dans des projets communautaires font souvent de lui un acteur important dans la communauté. D’autre part, la mise en place des familles transnationales dans différentes région caribéennes et nord-américaines, véritables points de liaison entre Haïti et la diaspora, joue un rôle déterminant en matière de la circulation des biens. Mais ces familles maitrisent également avec une certaine précision des couloirs de circulation des personnes dans ces parties du monde et peuvent servir d’espaces transitoires pour accueillir de nouveaux immigrants. En effet, dans un pays où l’esprit de la population est souvent tourné vers la migration internationale, l’on comprend bien que l’influence de

ces familles n’est pas à inventer. Dans cette dynamique, l’adoption intrafamiliale participe à cette quête de filiation et de pouvoir dans la mesure où l’enfant adopté devient le centre névralgique des relations entre les parents biologiques et adoptifs.