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Le don d’enfant constitue l’un des motifs de l’adoption intrafamiliale en Haïti. En effet, certains parents adoptifs qui ont adopté un enfant dans leur famille élargie en Haïti, ont affirmé qu’ils avaient la garde légale de celui-ci bien avant l’acte d’adoption :

La mère de deux de mes enfants était une bonne amie à moi. Elle était malade, et avant son décès, elle m’a donné la garde légale de ses enfants. Mais après sa mort, c’était son père qui s’occupait des enfants. Malheureusement, le père est par la suite décédé à son tour. J’ai décidé donc d’adopter les enfants(Jeannette).

J’ai été l’ami de la mère de l’enfant, la mère était malade, avant son décès, elle m’a donné la garde légale de l’enfant (Sonia).

Dans la société haïtienne, la mobilité des enfants d’une famille à l’autre se fait quasiment hors du contrôle de l’État. La famille d’accueil à l’occidentale est pratiquement inexistante et les institutions d’accueil pour enfants se réduisent aux orphelinats et aux

crèches qui, eux-mêmes, ne sont pas toujours bien vus par la population, en raison de la précarité de leur condition d’accueil. Cette réalité peut facilement créer un sentiment d’inquiétude pour la survie des enfants chez des parents qui sont dans l’incapacité d’assurer de façon continue la sécurité de son développement global dans un environnement stable. D’où le souci de confier ce dernier à un personne préalablement connue. En effet, en le confiant légalement à des amies, la mère biologique réalise un acte de ‘don d’enfant’.

Toutefois, il faut souligner qu’en Haïti, le thème ‘de don d’enfant’ ne fait pas bonne augure aux yeux de la population. Il est perçu de façon dévalorisante pour une mère qui aurait donné son enfant en cadeau, car, vu que l’enfant est souvent considéré comme un trésor précieux et inestimable, il ne saurait être donné en cadeau. Pourtant, des enfants adoptés respectivement par Sonia et Jeannette ont été l’objet d’un ‘don’ bien avant leur adoption.

Maintenant, il me parait donc important de chercher à comprendre pourquoi à un certain moment de la durée, les Haïtiens arrivent à dépasser de cette ligne d’interdiction sociale vis-à-vis des enfants. Ce fait, marque-t-il un début d’évolution du regard haïtien sur les enfants ou y a- t-il quelque chose qui se cache derrière ?

En fait, bien qu’Haïti figure parmi les pays en tête de liste de grands donneurs d’enfants à l’adoption internationale, les liens de filiation parents/enfants ne se brisent pas facilement. Dans cette perspective, un parent qui confie son enfant à une crèche pour être adopté, ne perçoit pas son action comme un ‘don d’enfant’, en signant l’acte d’adoption. Même si ce dernier est adopté par une famille occidentale, leurs parents biologiques restent souvent convaincus qu’il reviendra un jour. C’est la raison pour laquelle les mouvements d’enfants, qui se réalisent à l’intérieur de la société haïtienne, impliquent généralement le maintien des liens de filiation avec les parents de naissance.

Toutefois, la compréhension du ‘don’, dont bénéficient Sonia et Jeannette, implique nécessairement de placer cette transaction dans son contexte de réalisation. Ce qui nous porte à faire un lien entre les facteurs suivants : l’état de santé des parents biologiques des

enfants ; la préoccupation face à la déficience du système de protection de l’enfant en Haïti ; la confiance aux parents adoptifs et le regard portée sur la diaspora en Haïti.

Par ailleurs, chez les gens fortunés, pour s’assurer une meilleure tranquillité d’esprit et faciliter la vie de leurs héritiers, un testament est rédigé avant leur décès en vue d’une distribution de leur richesse entre leurs héritiers et leurs amis ou personnes bien aimées. Cela permet en fait d’éviter des conflits entre les intéressés. Par contre, chez les déshérités dont la vie se résume à une lutte pour la survie, ce n’est pas la répartition des richesses qui préoccupent les gens avant leur mort, mais les enfants dont l’existence est menacées par une éventuelle disparition de leurs parents.

Dans le cas des parents de ces enfants de Sonia et de Jeannette, il se trouve que leur état de santé soit affecté par une maladie. Il semblerait que tout espoir de surmonter cette détresse s’amincit avec le temps. Donc, le départ vers le séjour des morts apparait inévitable. Or, en Haïti, le système de protection de l’enfant est en défaillance et n’arrive pas à gagner la confiance de la population. Ces parents ont compris que dans l’état actuel des choses, ils ne doivent pas se permettre de rester indifférents face à l’avenir de leurs enfants, et que seule des initiatives personnelles peuvent leur garantir la tranquillité d’esprit tant recherchée. Dans cette dynamique, l’option de ‘don d’enfants’ a gagné le dessus. Mais, cette décision est prise dans une optique bien spécifique : celle de donner aux enfants un environnement stable et sécurisant, capable de favoriser le développement global de l’enfant. D’où le choix des amies personnelles. Mais cet acte témoigne également un certain niveau de confiance mutuelle existant dans les relations d’amitié entre les deux intéressés. Une confiance qui apporte de la satisfaction et un sentiment de joie chez le donataire désigné :

C’est vraiment génial, parce qu’ils ont beaucoup de confiance en moi. Ils me font confiance. C’est comme si leurs enfants sont entre les mains de madame Roseline, ils n’auront du tout pas de problème. C’est comme s’ils étaient chez eux (Sonia).

Ce qu’on a pu remarquer dans le cadre de cette forme de circulation d’enfants, bien qu’il s’agisse d’un don, la transaction se réalise entre des amis de confiance. Or, en adoption internationale, le don est généralement fait à un inconnu. Ce qui réduit de manière

considérable la possibilité de percevoir la capacité de l’adoptant à développer des relations émotionnelles et sociale sécuritaire à l’enfant. Par contre, en désignant un donataire ami, les parents biologiques ont probablement voulu s’attaquer à ce risque. De plus ce choix a l’avantage de permettre d’éviter la rupture des liens de filiation avec l’enfant et de le garder dans la famille élargie.