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Chapitre I : Géodynamique cénozoïque de la Méditerranée occidentale

I- 8. Le magmatisme des zones de subduction

Les zones de subduction représentent des sites géodynamiques complexes où des parcelles de lithosphère océanique subduite sont recyclées dans le manteau supérieur. En général, ce recyclage de la croûte océanique génère un magmatisme important à chimisme particulier dit magmatisme d’arc ou orogénique. Le magmatisme d’arc engendre des roches à signature géochimique spécifique qui les distingue des magmas générés sous les rides médio-océaniques appelées MORB (Mid-Ocean Ridge Basalts), ou ceux issus des points chauds au niveau des îles océaniques (OIB, Oceanic Island Basalts).

Normalisés au manteau primitif (fig. 9), les magmas d’arcs présentent un enrichissement en éléments lithophiles à grand rayon ionique (LILE = Large Ion Lithophile Elements), Th, U et en terres rares légères (LREE = Light Rare Earth Elements) par rapport aux terres rares lourdes (HREE = Heavy Rare Earth Elements). Cette signature géochimique enrichie résulte du transfert d’éléments apportés par la lithosphérique subduite en direction de la portion de manteau infra-arc.

A la différence des MORB et des OIB, les magmas d’arc affichent une anomalie négative en éléments à fort potentiel ionique (HFSE = High Field Strength Elements ; ex. Nb, Ta, Zr) qui correspond à la « signature d’arc ».

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Fig. 9 : Diagramme muti-élémentaire présentant les caractéristiques en éléments en traces des OIB (Oceanic

Island Basalts ; Sun et McDonough, 1989), des N-MORB (Normal Mid- Ocean Ridge Basalts ; Sun et McDonough, 1989) et des laves d’arcs (laves calco-alcalines de l’arc des Nouvelles-Hébrides, Monzier et al., 1997). Normalisation au manteau primitif de Sun et McDonough (1989).

Plusieurs sources potentielles peuvent être à l’origine du magmatisme calco-alcalin caractéristique des zones de subduction, ce sont :

- les péridotites du coin de manteau infra-arc,

- les basaltes et gabbros de la croûte océanique subductée, - les sédiments de cette même croûte océanique,

- la croûte continentale (arc continental) ou océanique (arc insulaire), sus-jacente au coin mantellique.

La croûte et les sédiments océaniques contribuent à la genèse des magmas d’arc sous forme de fluides aqueux issus de leur déshydration et/ou de liquides silicatés hydratés engendrés par leur fusion partielle. La complexité du magmatisme des zones de subduction s’explique essentiellement par la diversité des sources qui pourraient être à l’origine de sa signature calco-alcaline.

I-9. Le magmatisme post-collisionnel

L'évolution tectonique des chaînes orogéniques est marquée par des variations de la composition du magmatisme associé (Harris et al., 1986). Le magmatisme post-collisionnel est l'un des traits communs à beaucoup d'orogènes à travers le monde. Le magmatisme post-collisionnel est caractérisé par une grande diversité géochimique et une évolution dans le temps depuis les compositions calco-alcalines à calco-alcalines riches en potassium vers les compositions shoshonitiques. Ce magmatisme calco-alcalin riche en potassium est parfois

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suivi d’un magmatisme alcalin intraplaque (Harris et al., 1986; Turner et al., 1996). Le magmatisme post-collisionnel présente une signature géochimique calco-alcaline dite de subduction. Cette signature est généralement attribuée au métasomatisme du manteau par les fluides aqueux ou silicatés issus de la déshydratation de la lithosphère plongeante au cours d’une subduction précédant la collision (Miller et al., 1999; Wang et al., 2004; Chung et al., 2005). Ainsi, les caractéristiques géochimiques du magmatisme post-collisionnel calco-alcalin permettent l'évaluation du métasomatisme de leur source mantellique par la subduction. Néanmoins, les processus tectoniques responsables de la remobilisation du manteau modifié par la subduction et qui sont donc à l’origine du magmatisme post-collisionnel, demeurent toujours un sujet de débat. Des processus mantelliques complexes de retrait de slab et/ou rupture de slab et/ou délamination lithosphérique sont largement évoqués dans la littérature (Harris et al., 1986; Pearce et al., 1990; Mahéo et al., 2002; Chung et al., 2005; Duggen et al., 2005). L’étude de la pétrogenèse du magmatisme post-collisionnel fournit non seulement des contraintes sur les processus géodynamiques responsables de l'arrêt de la collision et du début de l’extension post-collisionnelle, mais indique également des variations des sources des magmas liées à de tels processus.

I-10. L’activité magmatique cénozoïque en Méditerranée centro-occidentale

A l’heure actuelle, il existe une masse importante de données (pétro-géochimiques, géologiques et géophysiques) issues d’études pluridisciplinaires sur le magmatisme périméditerranéen. En effet, caractériser l’affinité de ces produits magmatiques et comprendre leur signification géodynamique dans le cadre de l’évolution cénozoïque complexe de la Méditerranée cento-occidentale a suscité un intérêt particulier de la communauté scientifique ces dernières années (e.g., Benito et al., 1999; Maury et al., 2000 ; Fourcade et al., 2001 ; Coulon et al., 2002 ; Laouar et al., 2005 ; Savelli et al., 2002 ; Gill et al., 2004 ; Peccerillo et Lustrino, 2005; Harangi et al., 2006; Beccaluva et al., 2011; Lustrino et Wilson, 2007; Duggen et al., 2005, 2008; Avanzinelli et al., 2009; Conticelli et al., 2009; Lustrino et al., 2011, 2013 ; Carminati et al., 2012 ; Réhault et al., 2012 ; El Azzouzi et al., 2014).

Durant le Cénozoïque, l’activité magmatique se manifeste dans tout le pourtour de la Méditerranée centro-occidentale depuis la Provence (Sud de la France), la Corse, la Sardaigne et les Bétiques (Sud de l’Espagne), jusqu’à la marge méditerranéenne du Maghreb et la péninsule italienne. Une grande variété de roches magmatiques forme ainsi la chaîne magmatique néogène qui borde le pourtour de la Méditerranée. Les roches plutoniques d’âge

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Eocène-Oligocène affleurent notamment dans la province périadriatique des Alpes (ex. pluton d’Adamello) alors que des corps plutoniques de taille relativement moins importante et d’âge essentiellement miocène affleurent dans les Bétiques et sur la marge maghrébine (Maroc et Algérie centro-orientale). L’activité magmatique périméditerranéenne se manifeste également sous forme de coulées de laves et de dykes associés à des volumes importants de produits pyroclastiques (ignimbrites).

Fig. 10 : Distribution du magmatisme tertiaire de la Méditerranée centro-occidentale. Triangles: roches

volcaniques et pyroclastiques; Triangles avec croix: roches volcanoclastiques; Cercles: roches plutoniques; Slashes: dykes. Modifiée d’après Carminati et al. (2012).

Les produits magmatiques sont majoritairement sursaturés en SiO2 avec une affinité calco-alcaline à calco-alcaline fortement potassique, à l’exception de quelques régions comme la péninsule italienne où prédominent les roches de compositions potassiques et ultrapotassiques. Outre les roches à caractère calco-alcalin, affleurent également des roches à affinité alcaline. L’activité magmatique dans l’espace méditerranéen couvre une large échelle temporelle depuis l’Eocène (provine périadriatique) jusqu’à l’actuel (sud de l’Italie) avec une évolution des produits magmatiques d’une signature calco-alcaline ‘‘orogénique’’ à une signature alcaline ‘‘anorogénique’’.

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Selon ses particularités géochimiques et géochronologiques, ce magmatisme a été subdivisé en deux phases distinctes (fig. 10) :

1) magmatisme de type orogénique dit de ‘‘subduction’’ qui regroupe des produits tholéiitiques, calco-alcalins, shoshonitiques à ultrapotassiques (Beccaluva et al., 2011 ; Lustrino et al., 2011) mis en place entre l’Eocène supérieur et le Miocène ;

2) Magmatisme anorogénique avec des roches à caractère tholéiitique et alcalin mis en place à partir du Miocène supérieur jusqu’au quaternaire.

En Sardaigne, l’activité magmatique a commencé vers 38 Ma (Lustrino et al., 2009). Une première période d’activité représentée par des basaltes et des andésites à caractère tholéiitique à calco-alcalin, se développe notamment entre 32 et 26 Ma (Beccaluva et al., 2005). La fin de cette activité volcanique est marquée par la mise en place d’ignimbrites rhyodacitiques et de basaltes andésitiques entre 23 et 12 Ma (Lustrino et al., 2009). Une deuxième période d’activité entre 12 et 0.1 Ma est marquée par la mise en place de basaltes alcalins (Lustrino et al., 2007).

En Provence (Sud de la France), le volcanisme tholéiitique à calco-alcalin représenté par des microdiorites, basaltes, dacites et ignimbrites est daté entre 35 et 20 Ma (Bellon, 1981a ; Réhault et al., 2012).

Au Sud-Ouest de la Corse, l’activité volcanique se manifeste à partir de 21-18 Ma sous la forme de laves calco-alcalines moyennement à fortement riches en potassium. Ce magmatisme de subduction est relayé vers 16-15 Ma par des laves adakitiques. L’émission de basaltes calco-alcalins riches en potassium et de shoshonites marque une période d’activité volcanique plus jeune (14-6 Ma) dans le Nord et le Nord-Ouest de l’île corse (Réhault et al., 2012). Ces basaltes sont plus ou moins contemporains des lamproïtes de Sisco (~14 Ma) (Conticelli et al., 2009).

Dans le secteur Bétiques-Alboran (Sud de l’Espagne), le volcanisme orogénique s’est mis en place durant l’Oligo-Miocène. Il débute par la mise en place de dykes tholéiitiques d’âge 34-27 Ma, suivi par l’émission de produits calco-alcalins (ex. Cabo de Gata) et calco-alcalins riches en potassium entre 15 et 6 Ma ainsi que des shoshonites et des lamproïtes ultrapotassiques entre 12 et 6 Ma (Benito et al., 1999; Conticelli et al., 2009; Duggen et al., 2005; Turner et al., 1999).

Dans la péninsule italienne (fig. 11), l’activité magmatique débute par la mise en place de plusieurs corps plutoniques calco-alcalins à calco-alcalins riches en potassium dans la partie centrale des Alpes (ex. Adamelo ~42-27 Ma (Rosenberg, 2004) ; Bregaglia; ~33–28 Ma

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(Oberli et al., 2004)). Ce plutonisme est suivi par un volcanisme basaltique et lamprophyrique dans le Sud-Est et le Sud-Ouest des Alpes (ex.Veneto ; Val Fiscalina, 34 Ma). Cette activité magmatique est contemporaine de la phase de collision des plaques africaine et européenne et précède l’ouverture des bassins méditerranéens (Beccaluva et al., 2007).

A l’Oligocène-Miocène inférieur, une activité calco-alcaline se développe dans la province péri-adriatique en même temps que la Provence et le Sud-Est de la Sardaigne (Pamic et al., 2002).

A l’Oligocène terminal, l’extension conduit à l’ouverture progressive des bassins méditerranéens : d’abord le bassin liguro-baléarique à l’Oligocène terminal-Miocène inférieur (~25 to ~16 Ma) suivi par le bassin tyrrhénien au Miocène moyen-Quaternaire (~13 Ma-actuel). L’ensemble du magmatisme du bassin tyrrhénien s’est mis en place dans une zone à lithosphère amincie (≤50Km (Panza et al., 2007). Dans les domaines occidental et méridional, les roches sont essentiellement des basaltes alcalins riches en Na (ex. Ustica, Etna). Dans la partie central du bassin arrière-arc tyrrhénien (Magnaghi, Vavilov, Marsili), prédominent les roches subalcalines alors que le long de la bordure oriental du bassin (Les îles éoliennes,la Campanie, le Latium et la Toscane), prédominent les roches riches en potassium.

Au Pléistocène moyen, en Italie centrale et dans la région de Vulture, des carbonatites se mettent en place dans la province ultra-alcaline (IUP).

Au Nord-Ouest de l’Afrique, l’activité magmatique d’âge cénozoïque est enregistrée sur toute la marge méditerranéenne du Maghreb (1200 km de long, 50 km de large), depuis le Maroc jusqu’en Tunisie. Cette activité est caractérisée par la transition de magmatisme de type orogénique d’âge essentiellement miocène (produits calco-alcalins, calco-alcalins riches en potassium et ultrapotassiques) à des laves de type anorogénique d’âge miocène supérieur à plio-quaternaire (laves alcalines du Maroc, Oranie et Tunisie) (Louni-Hacini et al., 1995; El Bakkali et al., 1998; El Azzouzi et al., 1999; Maury et al., 2000; Coulon et al., 2002; Duggen et al., 2005). Notre région d’étude fait partie de la province maghrébine et de ce fait, les caractéristiques pétrologiques, géochimiques et chronologiques du magmatisme de ce secteur clef seront exposées dans le détail dans le chapitre suivant.

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Fig. 11 : Distribution des roches magmatiques cénozoïques dans la péninsule italienne. Volcans actifs : V

Vesuve, E Etna, and S Stromboli; AN Anchise; CA Capraia; CB Corvara in Badia; CC Calceranica; EeR Ernicie Roccamonfina; GB Graham Banks; IUP, Province Ultra-alcaline Intramontane; LN Linosa; LQ La Queglia; MA Magnaghi; MS Marsili; PN Punta delle Pietre Nere; PI Pontine Islands; PT Pantelleria; NF Nuraxi Figus; SS Sisco, Corsica; TCL, lamprophyres Crétacés Tuscans; U Ustica; VA Vavilov; VF Val Fiscalina; WA lamprophyres Ouest Alpes. Nombres dans le petit quadrant en bas à droite: 1. Chevauchement alpin majeur, 2. Failles transformantes majeures, LAB limite lithosphère asthénosphère. Les nombres en mer tyrrhénienne correspondent aux sites d’échantillonnage ODP (Ocean Drilling Project, leg 107). Carte modifiée d’après Bell et al. (2013).