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Les macrophages et le cancer

Chapitre 2 Le rôle des macrophages dans le développement de pathologies

2.2 Les macrophages associés aux tumeurs (TAMs)

2.2.1 Les macrophages et le cancer

L’inflammation, comme je l’ai décrite précédemment, implique très fortement les

macrophages à travers leur production de cytokines. Ils sont parmi les cellules non-tumorales les plus abondantes dans la tumeur (jusqu’à 50% de la masse tumorale) et de très nombreuses

études ont montré que plutôt d’avoir un rôle tumoricide, ils vont adopter un phénotype pro-

tumoral à la fois dans le site primaire et dans les sites métastatiques (Biswas, Allavena, & Mantovani, 2013). En effet, une méta-analyse récente rapporte que 80% des études cliniques montrent une corrélation entre la densité des macrophages et un pronostic faible des patients (Bingle, Brown, & Lewis, 2002) (notamment par une plus grande invasivité et formation de métastases) dans le cas de plusieurs cancers tels que le cancer de la thyroïde ou des poumons et le carcinome hépatocellulaire (Chen et al., 2005; Ryder, Ghossein, Ricarte-Filho, Knauf, & Fagin, 2008; Zhu et al., 2008) (voir le tableau 4 pour une corrélation entre pronostic et densité

Malignancy Inflammatory stimulus/condition

Bladder Schistosomiasis

Cervical Papillomavirus disease/talc/tissue

remodelling

Ovarian Pelvic inflammatory

Gastric H pylori induced gastritis

MALT lymphoma H pylori

Oesophageal Barrett's metaplasia

Colorectal Inflammatory bowel disease

Hepatocellular Hepatitis virus (B and C)

Bronchial Silica, asbestos, cigarette smoke

Mesothelioma Asbestos

de macrophages) (C. E. Lewis & Pollard, 2006). Il faut toutefois noter que ce n’est pas toujours le cas : en effet une densité élevée de macrophages peut favoriser la survie du patient dans le cas du cancer du pancréas (Kim et al., 2008). De plus, une autre étude a également montré que les macrophages du foie, les cellules de Kupffer, phagocytent et éliminent les cellules tumorales, et que leur déplétion est associée à une croissance tumorale plus forte et une capacité métastatique plus élevée (Heuff et al., 1993; Oosterling et al., 2005). Toutefois, ces résultats contrastent avec d’autres études montrant que les cellules de Kupffer fournissent des agents mitogènes essentiels au carcinome hépatocellulaire (Karin & Greten, 2005). Il faut toutefois noter que ces études ont été réalisées avec des modèles de tumeur différents (injection de cellules CC531 contre injection de diethylnitrosamine) et donc les interactions macrophages-cellules tumorales peuvent être différentes.

Tableau 4 : Corrélation entre pronostic et un nombre élevé de macrophages dans les cancers (adapté de Lewis and Pollard, 2006)

Comme je l’ai déjà précisé dans le chapitre précédent, la différenciation, la croissance et le recrutement de macrophages sont régulés par de nombreux facteurs de croissance, dont le M-CSF et le GM-CSF, et des chimiokines telle que le CCL2. Plusieurs études ont montré à la fois chez la souris et chez l’Homme qu’une surexpression du M-CSF était associée à un mauvais pronostic dans les cancers du sein, de l’ovaire, de l’endomètre, de la prostate, du côlon et le carcinome hépatocellulaire, entre autres (Groblewska et al., 2007; Lin, Gouon- Evans, Nguyen, & Pollard, 2002; Mroczko et al., 2007; Sapi & Kacinski, 1999; H. O. Smith et al., 1995; Zhu et al., 2008). De même, le CCL2 est aussi surexprimé dans de nombreux

Prognosis

Favorable Poor No correlation

Stomach Colorectal Melanoma Pancreas Breast*, # Prostate* Colon carnicoma Endometrial* Bladder*, # Kidney* Lung carcinoma Hepatocelllar carcinoma Esophageal superficial# Squamous cell carnicoma*

Malignant uveal melanoma* Follicular lymphoma Thyroid High-grade astrocytomas Cervical carcinoma

* Correlation with increased tumor angiogenesis # Correlation with increased involvement of lymph nodes

cancers (Kedrin et al., 2008) et représente également un signe de mauvais pronostic dans les cas de cancer du sein, du côlon et de la thyroïde (Bailey et al., 2007; Saji et al., 2001; Tanaka et al., 2009; Yoshidome et al., 2009), alors que son absence permet une meilleure survie chez des patientes de cancer du col utérin (Zijlmans et al., 2006). Toutefois, ces observations ne

sont pas universelles à tous les cancers puisqu’au cours de mélanomes, il semble y avoir une

relation inverse entre les expressions du CCL2 et du M-CSF (celui-ci étant négativement corrélé avec le caractère agressif et invasif de la maladie), bien que la densité de macrophages reste un signe de mauvais pronostic (Varney, Johansson, & Singh, 2005). Malgré le grand

nombre d’études montrant le rôle pro-tumoral de ces molécules connues comme participant à

la biologie des macrophages, il est important de noter que dans certains cas comme des adénocarcinomes, les cellules tumorales sont capables à la fois de sécréter ces molécules et

d’exprimer leurs récepteurs, au cours d’une signalisation autocrine qui va favoriser leur

phénotype malin (Mantovani, Allavena, Sica, & Balkwill, 2008; Patsialou et al., 2009; Scholl et al., 1994; H. O. Smith et al., 1995). Ainsi, de nouvelles preuves expérimentales ont dues être obtenues chez la souris pour montrer l’implication réelle des macrophages. En effet, une ablation génétique du M-CSF dans le modèle de cancer du sein murin exprimant l’oncoprotéine polyoma middle T (PyMT) a pour effet de réduire considérablement la densité de macrophages dans les tumeurs, de ralentir la progression tumorale vers le stade malin et

d’inhiber la formation de métastases (Lin, Nguyen, Russell, & Pollard, 2001). Dans ces

expériences, seuls les macrophages expriment le récepteur au M-CSF. En revanche, une surexpression de M-CSF dans les tumeurs favorise un recrutement plus précoce des macrophages et accélère la progression tumorale et la formation de métastases. D’autres études réalisées ont produit des résultats similaires avec des stratégies différentes (interférence par ARN ou anticorps dirigés contre le M-CSF ; déplétion de macrophages par du clodronate encapsulé dans des liposomes) et dans des modèles de cancer du côlon (Oguma et al., 2008), des poumons (Y. N. Kimura et al., 2007), de l’ovaire (Robinson-Smith et al., 2007), de la prostate (Halin, Rudolfsson, Van Rooijen, & Bergh, 2009), de mélanome humain (Gazzaniga et al., 2007), de tératocarcinome (Zeisberger et al., 2006) et d’ostéosarcome (Kubota et al., 2009). Une autre preuve de la corrélation entre inflammation/macrophages et cancer fut fournie par Deng et collègues qui montrent que l’ablation génétique du facteur de transcription anti-inflammatoire Stat3 dans les macrophages a pour conséquence une réponse inflammatoire chronique dans le côlon, suffisante pour induire un adénocarcinome invasif (Deng et al., 2010). D’un point de vue mécanistique, cette inflammation peut favoriser

radicaux libres, soit indirectement par des altérations dans le microbiote et les barrières anatomiques, permettant ainsi à des bactéries génotoxiques d’avoir accès aux cellules épithéliales (Dedon & Tannenbaum, 2004; Jobin, 2013). De plus, les cellules de Langerhans, un type de macrophages/cellules dendritiques, peuvent favoriser la cancérogenèse au niveau de la peau par conversion métabolique de carcinogènes vers leur état actif (Modi et al., 2012). Les macrophages peuvent également produire des facteurs de croissance et cytokines pouvant stimuler la croissance de cellules épithéliales ayant acquis des mutations cancérogènes spontanées (Grivennikov et al., 2010). Ces mutations peuvent en retour entraîner le recrutement de cellules inflammatoires et donc la mise en place d’un cercle « vicieux » alimentant la progression du cancer (F. R. Balkwill & Mantovani, 2012). Il existe donc de très nombreuses preuves montrant le lien causal des macrophages dans l’initiation tumorale et le développement par leur rôle central de médiateurs de l’inflammation.

Les macrophages impliqués dans ces réponses inflammatoires entraînant l’initiation tumorale sont activés d’un point de vue de l’immunité. Cependant, une fois que la tumeur est établie, ils sont rééduqués et deviennent pro-tumoraux, et sont couramment appelés des macrophages associés aux tumeurs (TAMs). La transition de croissance bénigne vers un cancer invasif a lieu parallèlement à une transition des cytokines et facteurs de croissance du microenvironnement tumoral d’une réponse de type Th1 inflammatoire vers une réponse de type Th2. Ce nouveau microenvironnement est dominé par des molécules telles que l’IL-4, le TGF-β1 et l’arginase 1, synthétisées par des cellules T CD4+ et/ou les cellules tumorales. Ceci a pour conséquence la polarisation des macrophages vers un phénotype de type M2 (figure 14) (Sica, Larghi, et al., 2008). Toutefois, comme précisé dans le chapitre précédent, la

distinction M1 et M2 n’est pas suffisante pour décrire avec exactitude le phénotype des

TAMs, et il est possible de définir plusieurs sous-populations de TAMs (Laoui, Movahedi, et al., 2011; Laoui, Van Overmeire, et al., 2011). De plus, divers facteurs peuvent influencer le phénotype des TAMs, notamment l’hypoxie qui est une caractéristique importante des tumeurs solides. En effet, plusieurs études ont montré que les tumeurs solides avancées

présentent des régions d’hypoxie au sein de la masse tumorale et que les TAMs s’accumulent

en très grand nombre dans les zones avasculaires dans de nombreuses tumeurs humaines (Murdoch, Giannoudis, & Lewis, 2004). Le vascular endothelial growth factor A (VEGFA) (J. S. Lewis, Landers, Underwood, Harris, & Lewis, 2000), l’endothéline-2 (Grimshaw, Wilson, & Balkwill, 2002) et le endothelial monocyte-activating polypeptide II (EMAPII) (Matschurat et al., 2003) sécrétés par les TAMs et les cellules tumorales sont vraisemblablement impliqués dans ce recrutement des macrophages vers les régions

hypoxiques. L’hypoxie va ensuite diriger la polarisation des macrophages vers un phénotype pro-tumoral, notamment via le facteur de transcription hypoxia-inducible factor (HIF)-1α (Burke et al., 2002; Talks et al., 2000). Une étude récente montre que l’infiltration myéloïde dans des tumeurs de carcinome pulmonaire chez la souris inclut deux sous-populations distinctes de TAMs CD11bhi F4/80hi Ly6Clow, désignées TAMs MHC-IIlow et TAMs MHC- IIhi, toutes les deux dérivées de monocytes Ly6Chi infiltrés (Laoui et al., 2014). Les TAMs MHC-IIlow expriment de plus hauts niveaux de marqueurs M2 et se concentrent dans les régions les plus hypoxiques de la tumeur. Les résultats montrent en fait que l’hypoxie n’est pas un facteur majeur influençant la polarisation M2 des TAMs mais va plutôt affiner ce phénotype M2 en TAMs MHC-IIlow.

Figure 14 : La polarisation des macrophages pendant la progression tumorale (extrait de Sica et al., 2008)

Ainsi, une des conditions essentielles pour la survie des tumeurs semble être

l’acquisition de mutations ou de modifications épigénétiques nécessaires à la synthèse des

facteurs permettant la repolarisation des macrophages résidents et le recrutement de nouveaux monocytes. De nombreuses études cliniques montrent d’ailleurs que l’infiltration et la présence de macrophages au sein des tumeurs sont associées à un mauvais pronostic des patients.

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