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Chapitre 5 Résultats et discussion selon le modèle par appariement

5.2 Les thèmes reliés au contenu

5.2.3 La modification des métiers

5.2.3.2 Le métier de chef d’établissement

Le protocole d’accord relatif aux personnels de direction en date du 16 novembre 2000 définit les missions et les compétences attendues des chefs d’établissement qui peuvent se résumer en trois volets, un rôle administratif, un rôle pédagogique et un rôle de gestion des ressources humaines. Néanmoins, Barrère (2006) a montré que seul le rôle administratif est reconnu.

Le rôle administratif

On retrouve dans nos données des illustrations des propos de Barrère (2006) sur la perception que certains enseignants ont des chefs d’établissement.

Ils ne sauraient pas gérer les ressources humaines. « Qu’ils fassent déjà régner la loi dans leur établissement à propos des absences injustifiées de certains profs bras cassés et ce sera déjà un gage de bonne gestion » (p.31, O.I.PUB.).

Ils seraient assimilés à des hommes ou femmes à tout faire de l’établissement. « Le proviseur est un peu le syndic de l'immeuble lycée ou collège, il gère les salles, le ménage, la cantine, les absences, la discipline, c'est tout et c'est déjà beaucoup s'il veut bien faire son métier » (p.42, O.I.PUB.).

N’ayant pas le choix du recrutement et de la gestion de leur personnel, ayant à faire appliquer des décisions prises ailleurs, Leurs pouvoirs seraient limités à l’organisation du planning des cours. « Vous connaissez beaucoup de chefs d'entreprise qui n'auraient aucun pouvoir sur le choix le management et la gestion de leur personnel, seraient tributaires d'une stratégie locale définie "ailleurs"... et qui réussissent à développer leur entreprise??

C'est la situation aujourd'hui, d'un "chef d'établissement" scolaire... des pouvoirs sur l'organisation du planning des cours... et encore... pas toujours... le syndicalisme veille » (p.3, O.I.PUB.)!!!

Souvent d’anciens enseignants, ils auraient choisis ce métier pour ne plus être ne contact direct avec les élèves. De plus, ils n’auraient pas de compétences de management. « Ce ne sont ni des spécialistes des disciplines, ni vraiment des spécialistes des ressources humaines. Leurs compétences sont parfois même très limitées, car peu de professeurs méritants ont choisi cette voie. On dit souvent d'eux que ce sont des enseignants qui ont voulu ne plus avoir d'élèves » (p.32, O.I.PUB.).

Le rôle pédagogique des chefs d’établissements

Nous avons vu avec Barrère (2006) que les enseignants accordent peu de compétences pédagogiques aux chefs d’établissement. Ainsi, la réforme les introduit comme seuls évaluateurs de leur valeur professionnelle ce qui génère de vives réactions. On peut lire des contestations de leurs compétences pédagogiques qui ne sont reconnues qu’aux inspecteurs : « Un chef d'établissement n'est pas un manager et ne devrait pas avoir de responsabilités pédagogiques » (p.34, O.I.PUB.). « D'un point de vue pédagogique, le professeur n'a aucun compte à rendre au proviseur, il n'en a à rendre qu'à l'inspecteur de sa matière » (p.42, O.I.PUB.).

L’évaluation administrative reste tolérée. « On est attaché au regard croisé IPR - chef d'établissement. Ce dernier a son mot à dire dans certains aspects mais le regard pédagogique ne peut venir que de l'inspection » (p.7, O.C.PERS.).

La compétence des chefs d’établissements à mener de tels entretiens

La capacité d’évaluer la valeur professionnelle des enseignants ne s’improvise pas. Elle était jusqu’alors affaire de spécialistes disciplinaires (les inspecteurs, souvent d’anciens enseignants) et la réforme la confie désormais aux personnels de direction.

Nos résultats mettent en évidence une mise en cause de la capacité des chefs d’établissement de juger de la valeur professionnelle des enseignants d’un point de vue pédagogique pour plusieurs raisons.

Il faudrait que l’évaluateur ait les mêmes compétences que l’évalué pour pouvoir le juger ce qui est impossible compte tenu de la variété des disciplines enseignées. « Un chef d'établissement n'est pas capable d'apprécier les choix pédagogiques d'un enseignant. Cela suppose de maîtriser le contenu de la discipline » (p.2, O.M.) ou bien « Un proviseur peut-il noter la pédagogie d'un professeur de Chinois s'il ne connait pas un mot de cette langue? » (p.1, O.I.PUB.) ou enfin « Qu’un ex professeur de français devenu proviseur ne connaît rien, lui, à la physique par exemple. Alors, il évalue comment, sur quoi» (p.15, O.I.PUB.)? « Si le texte est adopté, l'action d'un professeur, y compris à l'intérieur de sa classe dans une matière donnée, va donc être sanctionnée par un chef d'établissement qui ne peut raisonnablement réunir l'ensemble des compétences demandant 5 ans d'études pour chaque spécialité » (p.22, O.I.PUB.).

La seconde serait liée au fait que certains personnels de direction n’ont jamais enseignés. « Certains chefs d'établissement n'ont jamais enseigné car ils viennent de corps comme les conseillers d'éducation » (p.1, O.I.PUB.), ou encore « Un chef d'établissement ne saura pas évaluer pédagogiquement un enseignant et ce d'autant plus qu'il y a de plus en plus de chefs d'établissement qui ne sont pas issus de l'éducation nationale » (p.47, O.I.PUB.).

La troisième attribuerait cette incompétence au fait qu’ils aient quitté l’enseignement pour des tâches administratives « Pourquoi croire qu'un chef d’établissement a la compétence pour juger un professeur, alors qu'il a lui-même quitté le milieu enseignant pour un poste administratif » (p.11, O.I.PUB.) ?

La quatrième dénoncerait le fait qu’ils ne sont pas des spécialistes de ces missions: « Les chefs d'établissement ne sont pas du tout des spécialistes de l'évaluation des pratiques enseignantes » (p.9, O.I.PUB.). Quelqu’un fait une analogie avec les médecins ou les pilotes de ligne qui sont évalués par leur confrère et non par des personnels administratifs. « Faire évaluer un prof par un proviseur, c'est comme faire évaluer un médecin par un personnel administratif, ou un pilote de ligne par un DRH » (p.17, O.I.PUB.).

Pourtant on peut trouver des idées contraires.

La capacité à apprécier serait une compétence de management à acquérir par tous dirigeants. « L'appréciation est une chose qui s'apprend et fait partie de la compétence d'un dirigeant ou d'un manager. Je signale que "l'obéissance aux instructions" n'est pas un critère d'appréciation de carrière mais une condition pure et simple du maintien dans une entreprise » (p.48, O.I.PUB.). Il est en effet admis que, sans avoir obligatoirement toutes les compétences techniques, ce dernier peut juger les résultats de ses collaborateurs. « Dans un lycée ou un collège, les bons "profs", comme les mauvais, sont parfaitement connus de tous, que ce soit des élèves, des autres enseignants ou de la hiérarchie » (p.38, O.I.PUB.). Quelqu’un affirme que le chef d’établissement peut juger de la valeur des enseignants en discutant avec les parents. « Le ministre dérange mais il ne fait que constater que le proviseur, en parlant avec les parents, sait qui est chahuté, qui est moyen ou remarquable. Et donc pourquoi certains devraient être mieux rétribués » (p.28, O.I.PUB.)…

Il ne serait pas nécessaire que l’évaluateur soit aussi compétent que l’évalué dans un domaine pour être capable d’apprécier sa compétence. « Il n’est pas obligatoire d'être aussi compétent dans un domaine précis que l'interlocuteur qui est estimé : vous -même, j'en suis persuadé, êtes parfaitement capable de juger votre boucher par ses résultats. Vous confondez la compétence de former et celle d'estimer» (p.47, O.I.PUB.). Philippe Tournier, secrétaire général du SNPDEN (le premier syndicat des personnels de direction) rappelle par ailleurs que « ses alter ego ont déjà l'habitude d'évaluer des personnels dont ils ne possèdent pas la compétence technique, comme les infirmiers scolaires » (p.2, O.M.). Le personnel de direction pourrait porter une appréciation globale. Pour Josette Théophile, directrice des ressources humaines au Ministère, « on ne peut pas découper une personne en tranche et évaluer des morceaux. Or c'est au chef d'établissement de formuler l'appréciation de synthèse » (p.2, O.M.).

Le chef d’établissement serait le mieux placé pour évaluer car il est quotidiennement en contact avec son personnel. « Je trouve qu'il est normal d'être évalué par son chef direct parce que c'est lui qui est en contact avec son personnel » (p.29, O.I.PUB.).Propos

corroborés par une autre personne « Il me semble logique que les enseignants soient évalués par le chef d'établissement (>50%) et par l'inspecteur en charge de l'établissement (<50%). Ce dernier ne peut porter un jugement global alors qu'il ne rencontre l'enseignant que pendant 2 heures tous les deux ou trois ans... Le chef d'établissement côtoie les enseignants au quotidien ; il peut donc avoir un avis très pertinent » (p.3, O.I.PUB.).

Une nuance est apportée avec la suggestion de garder le regard croisé chef d’établissement et inspecteur pour gérer des cas conflictuels. « Cet avis pourrait être croisé avec celui de l'inspecteur pour traiter les cas particuliers ou conflictuels. Cette pratique est en place depuis de longues années dans les entreprises et donne satisfaction même si elle est encore perfectible » (p.3, O.I.PUB.).

Il est évoqué aussi le fait que les chefs d’établissement ne veulent pas forcément de cette nouvelle responsabilité qui doit être assumée par les inspecteurs. « Si on demandait l'avis des chefs d'établissements, peut-être s'apercevrait-on que la majorité d'entre eux ne souhaitent pas noter leurs enseignants sur leur pédagogie. Et qu'ils préfèrent que cette responsabilité soit assumée par ceux dont c'est le métier : les inspecteurs » (p.7, O.I.PUB.). On reconnaît néanmoins au chef d’établissement la capacité à procéder à la traditionnelle évaluation administrative qui porte rappelons-le sur l’assiduité, la ponctualité et le rayonnement dans l’établissement. « Si un proviseur peut juger de l'assiduité ou de l’engagement professionnel d'un professeur dans la bonne marche d'un lycée, on voit mal, en revanche, comment il pourrait évaluer, par exemple, un cours de physique ou de philosophie, s'il ignore tout de ces matières » (p.40, O.I.PUB.).

L’évaluation des compétences pédagogique hors de la classe est contestée avec une analogie au permis de conduire qui nécessite une évaluation sur le terrain. « Le cœur du métier, c'est ce qui se passe dans la classe. Évaluer un enseignant, mais pas devant des élèves???? C'est comme si on donnait le permis de conduire à la suite d'un entretien avec le "directeur" de l'auto-école, sans même voir comment le candidat conduit sa voiture!!! Vous trouveriez cela normal » (p.14, O.I.PUB.)???

On craint les abus de pouvoir : « On ne peut pas laisser autant de pouvoir à ces gens-là à moins qu'on souhaite, même s'il y a des exceptions, voir s'exercer partout la tyrannie de la médiocrité » (p.11, O.I.PUB.).

Quelqu’un évoque la difficulté de pouvoir quitter un établissement s’il juge son chef d’établissement incompétent. En effet les mutations se décident au niveau académique selon des barèmes qui limitent les chances d’obtenir ses vœux : « Si au moins les enseignants avaient la possibilité de changer d'établissement quand ils jugent leur patron incompétent cela pourrait fonctionner » (p.28, O.I.PUB.).

La question de l’évaluation des chefs d’établissements est posée : « Mais l'inspection par le proviseur est aussi dangereuse car qui inspecte le proviseur. Il y en a tellement de lamentables» (p.38, O.I.PUB.). On peut brièvement préciser que les chefs d’établissement sont évalués tous les trois ans par l’inspecteur d’académie sur la base d’un contrat d’objectifs qui a été signé entre les deux parties et dans le cadre d’un entretien.

Le problème du manque de formation préalable à cette réforme pour les personnels de direction et les inspecteurs est évoqué. Les chefs d’établissement ont besoin de grilles d’évaluation précises. Patrick Roumagnac, pour le SIEN, syndicat d'inspecteurs, met en garde contre une application brutale de la réforme : « le fait de mener de tels entretiens ne s'improvise pas et ni les chefs d'établissement, ni les inspecteurs ne sont formés pour cela. La généralisation brutale de la démarche apparaît donc totalement contre-productive. » (p.8, O.C.PERS.) Pourtant Michel Richard, secrétaire général adjoint du SNPDEN (premier syndicat chez les personnels de direction), déclare que : « Le chef d’établissement dispose des outils nécessaires pour évaluer la manière de servir » (p.12, O.I.PERS.). « Nous souhaitons toutefois une grille d'évaluation précise qui permette de mener objectivement un entretien » (p.12, O.I.PERS.).

Il peut sembler utile de préciser que ce type de grille a été élaboré au Nouveau Brunswick par Bouchamma & al. (2005) et qu’elle pourrait largement inspirer l’élaboration d’un outil adapté aux besoins français.

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