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Objectifs  

Comme nous l’avons expliqué en introduction, le premier objectif de nos travaux est de découvrir, analyser et comprendre les ambitions, les représentations, et les raisons qui déterminent les actions des hommes et des femmes politiques dans le domaine de

l’environnement, et en particulier en ce qui a trait à un des plus grands enjeux à ce sujet, les changements climatiques. Nous souhaitons en second lieu contribuer à la sociologie

environnementale et politique par une meilleure compréhension des conditions dans lesquelles s’exerce leur action, et particulièrement des contraintes auxquelles ils font face. À ce sujet, notre hypothèse principale est que l’action politique dans le domaine de

l’environnement est freinée parce que les hommes et les femmes politiques sont très conscients que, non seulement la population est relativement peu sensible à ces grands enjeux écologiques, mais aussi que les solutions aux problèmes à long terme vont exiger des changements de comportement sociaux, des changements de mode de vie, que les citoyens seront très réticents à accepter. Nous savons également que d’autres difficultés, particulièrement de nature économique, peuvent empêcher la mise en oeuvre des solutions requises.

Entrevues  et  répondants  

Pour atteindre nos objectifs, nous avons choisi de mener une série d’entrevues semi- structurées avec douze anciens ministres de l’environnement au Québec et en France. Puisque les grands problèmes environnementaux, et en particulier les changements climatiques, ne sont véritablement devenus des enjeux politiques qu’au cours des années 1990, le nombre de répondants qu’il était possible d’interviewer au Québec était très limité,

souhaitent pas nécessairement participer à ce type de travaux. C’est pourquoi nous avons également pris contact avec d’anciens ministres de l’environnement en France, par l’intermédiaire du député de l’Aisne, René Dosière. Au total, nous avons interrogé huit personnes au Québec et quatre en France. Chacune de ces personnes a été ministre responsable des questions environnementales (les titres exacts varient, de ministre de l’environnement, à ministre de l’écologie, à ministre du développement durable, etc.) pour une période variant d’un peu moins d’un an à près de quatre ans, de 1994 à 2014. Pour des raisons de confidentialité, nous les avons tout simplement numérotés de 1 à 12. La première section du prochain chapitre (portant sur la présentation et l’analyse des résultats) décrit leurs principales caractéristiques démographiques, sociales et politiques, telles que les entrevues nous les ont révélées.

Les entrevues se sont déroulées du début de novembre 2015 à la fin de mai 2016, soit à la résidence du répondant (pour quatre d’entre elles), ou au bureau de celui-ci (pour six autres), et dans un local prêté par l’Assemblée nationale du Québec (pour les deux dernières). Leur durée a varié de quarante minutes à presque deux heures, pour une moyenne d’un peu plus d’une heure. Chacune d’elles a été enregistrée et ensuite écoutée attentivement à deux reprises pour en tirer tous les éléments considérés pertinents. Nous n’avons pas procédé à une transcription mot à mot, mais nous avons préparé pour chacune d’elles un long document écrit contenant toutes ces informations.

La méthode de l’entrevue semi-dirigée est celle qui nous est apparue la plus appropriée, à la fois pour ce type de répondant, et pour les résultats que nous souhaitions obtenir. Il s’agit en effet d’une méthode suffisamment flexible pour s’adapter à des personnes qui ont des personnalités fortes, qui ont des manières d’être et de faire très différentes, et dont les souvenirs sont dans certains cas très vifs, et dans d’autres cas beaucoup plus lointains. L’intervieweur (dans ce cas-ci l’auteur de ce mémoire) peut insister sur certains aspects qui lui apparaissent plus intéressants, en posant des questions additionnelles, en acquiesçant à certains commentaires, en réorientant l’entrevue lorsque cela est nécessaire, et en centrant celle-ci sur les aspects essentiels lorsque la durée, telle que déterminée par le répondant, est un peu trop courte. Comme nous avons nous-même mené toutes les entrevues, nous

pouvions aussi, quand cela semblait intéressant, faire un peu d’exploration. Par ailleurs, les entrevues de Mauger-Parat et Peliz (2013) avec six scientifiques du climat font très bien ressortir l’importance de bien comprendre à qui on a affaire et à s’adapter à leur manière d’être (ces auteurs ont compris, par exemple, que certains mots leur plaisaient, et d’autres pas).

Plusieurs textes font des recommandations générales aux chercheurs pour leur permettre obtenir les bonnes informations à partir de ce type d’entrevues (Van Campenhoudt et Quivy (2011), Jean-Claude Kaufmann (2003). Ils insistent particulièrement sur la préparation du chercheur qui va procéder aux entrevues. À ce propos, il nous semble que notre expérience à titre d’élu est intéressante.

Grille  d’entrevue  

La grille établie pour les entrevues comportait cinq éléments principaux : le profil

personnel du répondant, son parcours politique, son parcours environnemental, son travail à titre de ministre, et son avis sur la manière d’aborder les principaux défis que nous devons affronter, si nous voulons préparer correctement l’avenir de nos sociétés. Nous avons d’abord souhaité, pour chaque répondant, connaître son origine, son éducation, ses valeurs, ses idéaux, etc. Nous avons ensuite abordé les questions plus proprement politiques, son parcours de militant (quand cela était pertinent), ce qui l’a amené en politique active, à quel moment et dans quelles circonstances, ainsi que ses convictions politiques et ses

aspirations. Nous les avons également tous questionnés sur leurs connaissances des grands défis environnementaux, sur leur sensibilité à ce sujet au moment d’entrer en politique, et comment s’est développée cette sensibilisation. Concernant le travail à titre de ministre, nous avons posé à chaque répondant des questions sur les succès obtenus (lois et

règlements adoptés, problèmes réglés, etc.), sur leurs relations avec les divers intervenants, groupes de pression, lobbies, collègues ministres, élus locaux, citoyens, sur le pouvoir

évaluation des raisons pour lesquelles il n’a pas été possible pour eux de faire plus

(blocages réels ou appréhendés de nature sociale ou politique, impossibilité de convaincre les citoyens, etc.) et leurs suggestions pour une meilleure prise en charge de la question des changements climatiques. À la toute fin, nous les avons tous questionnés sur leurs réactions face à la suggestion d’Anthony Giddens (2011) de rendre non partisan l’enjeu des

changements climatiques.

Méthode  d’analyse  des  résultats  

Un des défis pour l’analyse des réponses obtenues est que les politiciens ne savent probablement pas (ou pas totalement) les raisons exactes de leur action (c’est le «voile d’évidence», bien expliqué dans le mémoire de Godin (2010)). En outre, interroger des personnes en vue, ou qui l’ont été, pose un certain défi, car, même si la thèse de Corinne Gendron (2001) et les travaux de Jean Mercier (1997) ne semblent pas faire ressortir de problèmes très particuliers quand on interroge des «leaders», il est bien possible que ceux- ci ne souhaitent pas nécessairement révéler toutes les difficultés qu’ils ont rencontrées, ni expliquer certains compromis qu’ils ont dû faire. Nous avons considéré que la seule façon d’accéder à cette information était de poser suffisamment de questions et de découvrir à travers leur discours ce type d’information, mais nous sommes néanmoins conscients des limites de ce type d’entrevues.

En nous inspirant de la méthode proposée par Braun et Clarke (2000) pour l’analyse thématique, dans le but d’établir un certain classement de l’information pour en faciliter le traitement, et après nous être familiarisé avec les données tel que recommandé par ces auteurs, nous avons identifié, à partir de l’ensemble du contenu des entrevues, une

vingtaine de «codes» ou d’éléments de base d’information qui nous ont paru pertinents et importants. Nous avons ensuite étudié très attentivement chaque entrevue, et, pour chacune d’elles, nous avons déterminé le contenu particulier de chaque élément de base

Le type de personne : la personnalité de chaque ministre a été résumée en quelques mots (par exemple, «l’écologiste modéré et positif»).

Les grandes lignes de l’entrevue : le parcours de chaque ministre, ainsi que l’essentiel de son travail et de sa pensée, ont été résumées en quelques lignes (maximum six).

Les aspirations de chaque ministre ont été résumées en quelques mots (par exemple, «défendre la justice sociale et la vie»).

Les raisons d’action dans le domaine de l’environnement de chaque ministre ont été résumées en quelques mots (par exemple, «ses valeurs sociales et

environnementales»).

Les représentations de la politique dans le domaine de l’environnement de chaque ministre ont été résumées en quelques mots (par exemple, «des choix difficiles entre valeurs et intérêts»).

Les représentations de l’environnement (au sens large) de chaque ministre ont été résumées en une ligne ou deux (par exemple, «un choix de société, une question à long terme, le possible combat de la jeunesse, un enjeu positif»).

Les représentations des changements climatiques de chaque ministre ont été résumées en quelques mots (par exemple, «un problème important qu’il sera possible, mais difficile de régler»).

Les conditions et les contraintes reliées aux changements (de comportement) sociaux que chaque ministre a perçues ont été résumées en quelques mots (par exemple, «les changements sont nécessaires et seront obtenus par l’emploi des instruments

L’opinion de chaque ministre sur l’impact des lobbys a été résumée en quelques mots (par exemple, «des intervenants sérieux qui défendent leurs intérêts et avec lesquels il faut discuter»).

L’opinion de chaque ministre sur le degré de sensibilisation de la population aux

questions environnementales été résumée en quelques mots (par exemple, «faible, la

masse ne sait pas»).

La vision de chaque ministre concernant l’éducation et la communication a été résumée en quelques mots (par exemple, «c’est le travail essentiel des écoles»).

L’expérience de chaque ministre concernant ses relations avec les groupes

environnementalistes a été résumée en quelques mots (par exemple, «ils font du travail

important, mais variable et parfois partisan»).

Les principaux domaines de travail de chaque ministre ont été résumés en quelques mots (par exemple, «changements climatiques, décontamination des sols, matières résiduelles»).

Le parcours de vie de chaque ministre a été résumé en quelques mots (par exemple, «combat pour ses idées et son pays»).

Pour chaque ministre, les circonstances et les raisons entourant le choix de faire de

l’action politique ont été résumées en une ou deux lignes (par exemple, «durant sa

jeunesse dans une famille très politisée, pour l’indépendance du Québec et la protection de la nature»).

L’opinion de chaque ministre sur la compétence et le travail de la fonction publique a été résumée en quelques mots (par exemple, «grande compétence et excellent appui»).

Pour chaque ministre, les autres principes et constats qui ont été soulevés et que nous avons considérés significatifs pour ce travail ont été résumés en quelques lignes (par exemple, «ne pas opposer écologie et économie, importance du prix du carbone, opportunités économiques à saisir, possibilité de solutions techniques et sociales»).

Les valeurs du milieu familial de chaque ministre ont été résumées en quelques mots (par exemple, «importance de l’ouverture, du partage, et de l’engagement social»).

Pour chaque ministre, le pouvoir qu’il a exercé et les blocages qu’il a rencontrés ont été résumés en quelques mots (par exemple, «pouvoir réel basé sur le leadership et restreint par l’inertie de la population»).

Pour chaque ministre ses relations avec ses collègues ont été résumées en quelques mots (par exemple, «tensions inévitables et compromis»).

Pour chaque ministre, ses réflexions sur le futur de la société ont été résumées en quelques lignes (par exemple, «devoir d’optimisme, même si peu d’actions prises concernant les changements climatiques, devoir des politiciens de convaincre, d’agir, et d’imposer des lois s’il le faut»).

La vision de la démocratie de chaque ministre a été résumée en quelques mots (par exemple, «la vraie démocratie : leadership, respect et écoute»).

C’est à partir de toutes ces informations pour chaque ministre que nous avons préparé la présentation des résultats qui forme la première section du prochain chapitre.

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