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Méthodes psychophysiques pour la mesure de seuils de détection

CHAPITRE 6 UTILISATION DYNAMIQUE DU FACTEUR D’ÉCHELLE VISUELLE

6.2. Méthodes psychophysiques pour la mesure de seuils de détection

6.2.

Méthodes psychophysiques pour la mesure de

seuils de détection

Le but de l’étude envisagée ici est de pouvoir mesurer un seuil de détection, et nous allons pour ce faire choisir une méthode parmi celles existant en psychophysique. Afin de mieux éclairer les raisons des choix que nous allons faire, cette partie présente les principales méthodes de mesure de seuil existantes.

6.2.1. Généralités sur la psychophysique

La psychophysique est une discipline assez récente, dont les bases ont été posées par Gustav Theodor Fechner (1801-1887) en 1860 (Fechner 1860). L’idée principale de Fechner était d’établir une méthode scientifique d’étude des « relations entre le corps et l’esprit », c’est-à-dire en termes plus précis la relation entre un stimulus physique et la perception qu’on en a. Jusqu’à aujourd’hui, de nombreuses tâches et méthodes ont été développées et mises au point, essentiellement pour la mesure de seuils. On peut chercher à estimer soit un seuil absolu, c’est-à-dire l’intensité minimum d’un stimulus pour qu’il soit détecté, ou un seuil différentiel (aussi connu sous le nom de Just Noticeable Difference JND), c’est-à-dire la différence minimum nécessaire entre 2 stimuli pour qu’ils puissent être distingués.

Le seuil de détection n’est jamais une valeur « franche» à partir de laquelle le stimulus devient instantanément et complètement perceptible. Il existe toute une zone aux alentours de ce seuil où le stimulus passe de l’état « non perceptible » à l’état « perceptible ». Si on trace la courbe représentant le pourcentage de réponses positives à un stimulus en fonction de l’intensité de celui-ci, on obtient ce qu’on appelle une courbe psychométrique, dont l’allure en S (Figure 75) montre bien l’aspect transitoire de la perception du stimulus autour du seuil de détection. La courbe psychométrique est généralement approchée par une fonction normale cumulative, représentant la fonction de répartition de la loi normale (ou gaussienne), ou par une sigmoïde qui représente la fonction de répartition de la loi logistique.

Figure 75 – Exemples de fonctions psychométriques représentées par des normales cumulatives. Elles représentent le pourcentage de réponses positives à un stimulus en fonction de son intensité.

Le seuil de détection absolu est défini comme l’intensité du stimulus permettant d’obtenir 50%de réponses positives. Celui correspondant à la courbe (1) est -2, alors que celui des courbes (2), (3) et (4) est 0. Plus l’allure de la courbe tend vers celle d’un échelon, et plus le seuil de détection différentiel (JND) sera faible. Ainsi le seuil différentiel de la courbe (2) est inférieur à celui de la courbe (3), qui lui-même est inférieur à celui de la courbe (4).

Les méthodes psychophysiques de mesure de seuil vont donc chercher à déterminer la courbe psychométrique correspondant au stimulus étudié, ou tout du moins des paramètres remarquables de cette courbe. Les deux paramètres les plus mesurés sont :

 La position de la courbe, déterminant ainsi le seuil de détection absolu. Cette position est généralement définie par le niveau de stimulus correspondant à 50% de réponses justes, généralement appelé X50. Il s’agit par exemple sur la Figure 75 de la

valeur 0 pour les courbes (2), (3) et (4) et de la valeur -2 pour la courbe (1).

 La forme de la courbe, déterminant le seuil différentiel. Plus l’allure de la courbe tend vers celle d’un échelon et plus le seuil différentiel sera faible. On quantifie généralement l’allure de la courbe par la différence de 2 points remarquables : X25

et X75 par exemple ou encore X30 et X70.

6.2.2. Les méthodes existantes

Ehrenstein (Ehrenstein et Ehrenstein 1999) fait une revue des différentes méthodes psychophysiques de mesure de seuil existantes. Il existe 5 principales méthodes : méthode de l’ajustement, méthode des limites, méthode des stimuli constants, les tests adaptatifs et la méthode du choix forcé.

Méthode de l’ajustement

Il s’agit tout simplement dans cette méthode de laisser le sujet adapter l’intensité du stimulus jusqu’à ce qu’il soit perçu (ou qu’il disparaisse) dans le cas d’une détection de seuil absolu, ou qu’il soit égal à un autre stimulus de référence dans le cas d’une détection de seuil différentiel. Cette méthode est la plus simple et une des plus rapides pour déterminer un seuil. C’est par ailleurs la seule où le sujet contrôle lui-même le stimulus. Typiquement pour cette méthode, les 2 types de séries possibles (ascendante ou descendante) sont alternés plusieurs fois et les valeurs obtenues pour chaque série sont ensuite moyennées pour obtenir une estimation du seuil.

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Méthode des limites

La méthode des limites est semblable à celle de l’ajustement. La différence se situe dans le fait que l’intensité du stimulus est contrôlée par l’expérimentateur. La variation se fait par pas discrets, constants et successifs. Comme pour la méthode de l’ajustement, les résultats d’une succession de séries ascendantes et descendantes sont moyennés pour obtenir l’estimation du seuil.

Méthode des stimuli constants

Dans cette méthode, la plage des intensités du stimulus que l’on veut tester est discrétisée, et chaque valeur est alors testée plusieurs fois, le tout dans un ordre aléatoire. La réponse du sujet est enregistrée à chaque fois (stimulus perçu ou non pour un seuil absolu, stimulus « plus fort » ou « plus faible » pour un seuil différentiel). A la fin de l’expérimentation, pour chaque intensité du stimulus testée, le pourcentage de réponses correctes est calculé. Ces données, tracées en fonction de l’intensité du stimulus, permettent d’obtenir la fonction psychométrique. Le seuil est alors la valeur de l’intensité du stimulus permettant d’obtenir 50% de réponses correctes.

Figure 76 – Exemple de courbe psychométrique obtenue expérimentalement avec la méthode des stimuli constants, d’après (Ehrenstein et Ehrenstein 1999).

Pour chaque intensité du stimulus, le pourcentage de réponses correctes est calculé. Le seuil est déterminé comme l’intensité du stimulus permettant d’obtenir 50% de réponses correctes. Ici il est calculé à environ 4,3.

Cette méthode est reconnue comme celle permettant d’obtenir la meilleure estimation d’un seuil de perception. Toutefois son inconvénient principal est de demander beaucoup de temps à l’expérimentateur, et beaucoup de patience et d’attention aux sujets du fait du grand nombre d’essais requis.

Tests adaptatifs

Si uniquement la valeur du seuil nous intéresse, il est inutile de chercher à déterminer précisément l’ensemble de la courbe psychométrique. La procédure des tests adaptatifs permet de garder l’intensité du stimulus proche du seuil. A chaque test, l’intensité du stimulus à tester est calculée en fonction de la réponse du sujet au test précédent. Ainsi elle permet d’obtenir plus rapidement la valeur du seuil par rapport à la méthode des stimuli constants. Cette méthode est également appelée méthode des staircases, et a été introduite par von Békésy pour de l’audiométrie (von Békésy 1947).

Prenons par exemple le cas d’une détermination de seuil absolu avec une série descendante (Figure 77). L’intensité du stimulus est diminuée de la valeur du pas du

staircase à chaque nouveau test tant que le sujet perçoit le stimulus. Cependant, la série ne

s’arrête pas au moment où le sujet ne détecte plus le stimulus comme dans la méthode des limites. Lorsque le sujet change de réponse, le sens de variation de l’intensité du stimulus s’inverse. On continue jusqu’à obtenir plusieurs retournements (typiquement de 6 à 9). Les intensités du stimulus oscillent alors autour de la valeur du seuil, que l’on estime par la moyenne des intensités du stimulus aux retournements. Dans l’exemple de la Figure 77, la

valeur estimée du seuil de détection absolu est :

.

Figure 77 – Exemple de staircase descendant.

La valeur du stimulus au test suivant est augmentée de la valeur du pas si le stimulus n’est pas perçu, et diminué de la valeur du pas si le stimulus est perçu. La série est ici arrêtée après 8 retournements. La valeur estimée du seuil absolu est de 4,75 (moyenne des intensités du stimulus aux retournements).

Améliorations des tests adaptatifs

Pour éviter que le sujet ne puisse deviner l’intensité du stimulus au prochain test, il est conseillé d’entrelacer plusieurs staircases, soit de façon alternée ou soit de façon aléatoire. De plus, pour améliorer la vitesse de convergence de cette méthode, le pas peut évoluer au cours de la série : il peut par exemple être réduit de moitié aux 2 ou 3 premiers retournements. Le pas final est ainsi suffisamment fin pour avoir une estimation précise du seuil, tout en ayant un pas initial suffisamment important pour approcher rapidement la valeur du seuil. Dans ce cas, l’estimation du seuil est faite en moyennant les valeurs aux retournements uniquement après avoir atteint le pas final. La Figure 78 présente un exemple de 2 staircases entrelacés avec un pas variable.

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Figure 78 – Exemple de mesure de seuil avec 2 staircases (un ascendant et un descendant) entrelacés de façon alternée, avec un pas variable.

Aux 2 premiers retournements, le pas est réduit de moitié. Pour l’estimation du seuil, seules les valeurs de retournement obtenues avec le pas final sont prises en compte. On obtient par exemple un seuil de 4,83 pour le premier staircase, et de 5,33 pour le deuxième. La valeur finale retenue pour l’estimation du seuil sera alors de 5,08.

Méthode du choix forcé

Toutes les méthodes présentées jusqu’ici sont des méthodes dites subjectives, car elles reposent sur ce que le sujet dit percevoir, et dépend donc du critère que le sujet se fixe pour déterminer s’il a perçu ou non le stimulus. Certaines personnes auront par exemple un critère relativement haut afin de minimiser le risque de s’être trompé en affirmant avoir perçu le stimulus. D’autres au contraire auront un critère personnel relativement bas pour minimiser le risque de s’être trompés en affirmant cette fois-ci ne pas avoir perçu le stimulus.

La méthode du choix forcé est une méthode plus objective, où l’expérimentateur force le sujet à faire une réponse positive à chaque test. Par exemple, au lieu d’utiliser une lampe et de demander au sujet s’il a perçu de la lumière, on peut utiliser deux lampes de part et d’autre d’un point de fixation, n’en allumer qu’une de façon aléatoire et forcer le sujet à dire de quel côté il a vu de la lumière. Le résultat ainsi obtenu est plus précis : des stimuli sont encore discernés dans des tests à choix forcés (70 à 75% de choix corrects) lorsque l’intensité est inférieure aux seuils établis par des méthodes non-forcées et plus subjectives (Sekuler et Blake 2001).