1. DE LA PEDAGOGIE A L’ANDRAGOGIE
1.3. Les méthodes nouvelles d’apprentissage et leurs spécificités pour le public adulte
1.3.3. Méthodes passives et méthodes actives d’apprentissage pour les adultes
Pour procéder rapidement dans la distinction entre l’une et l’autre forme de méthode, disons simplement
que la première (qui correspond à la pédagogie traditionnelle – celle avant l’Éducation nouvelle – tout en
étant toujours d’actualité) fonctionne sur le système du dressage en quelque sorte et de l’apprentissage par
conditionnement-mémorisation-répétition. C’est ce que l’on retrouve notamment dans les modes
d’apprentissage qui consistent à apprendre par cœur une leçon pour la réciter ensuite. La seconde forme de
méthode, considérée active, consiste – comme son nom l’indique – à rendre l’apprenant actif dans sa
formation, responsable et autonome. La forme que prend cette méthode est caractérisée par une formation
par tâtonnement expérimental et expérientiel, par la construction personnelle de la réponse adaptée, par la
découverte, par l’action et parfois même en situation – notamment lorsque l’individu apprenant est salarié
et que la formation a lieu dans l’entreprise et à l’initiative de l’entreprise.
On ne peut pas opposer catégoriquement l’un et l’autre type de méthodes.
On ne peut pas dire que la méthode classique soit totalement dépassée et ne doive plus être utilisée – même
dans la formation pour adultes. Elle a ses travers (encadré 10) mais elle présente aussi des avantages
particuliers. Le principal avantage de cet enseignement strictement transmissif est d’être rassurant pour
l’apprenant qui est en quelque sorte dispensé de l’effort de créativité et de tout changement personnel
profond (contrairement à la méthode par pédagogie du projet par exemple, section précédente, où
l’apprenant doit au préalable « se raconter »). Ensuite et surtout, parce que certains mécanismes et savoirs
s’apprennent mieux ainsi et que l’être humain manifeste quand même une aptitude certaine au
conditionnement.
Encadré 10. Pour apprendre une liste de termes
Une expérimentation de Lieury, travaillant sur les procédés de mémorisation des apprenants,
démontre le peu de valeur de la méthode qui consiste à « apprendre par cœur » comparée à d’autres
méthodes d’apprentissage.
La méthode expérimentée en opposition est celle de l’apprentissage dit « multi-contexte » où il
s’agit des présenter aux apprenants la même liste de termes que celle de l’apprentissage traditionnel
mais selon d’autres procédures, faisant appel à des photos, des démonstrations en situation réelle,
des descriptions théoriques, un appel aux souvenirs personnels.
L’étude a été menée auprès d’apprentis en formation en alternance et le taux de réussite varie
presque du simple au double entre les tenants de la méthode « frontale » et ceux de l’apprentissage
multi-contexte (35 % pour les premiers, 60 % pour les seconds).
L’étude en question montrait en outre que l’idée généralement admise d’une plus grande efficacité
du « travail sur le tas » était peu fondée. La plupart de ces apprentis avaient déjà fait un stage en
entreprise sur les mêmes objets sans que cela n’apporte une plus value significative.
(Lieury, 1992)
Intermédiaire entre la méthode totalement passive et les méthodes dites actives, et considérant les
formations d’individus dans leur travail, on peut poser les méthodes pédagogiques telles que celle du drill -
jouant sur les conditionnements et répétitions en situation (l’apprentissage sur le tas par exemple).
Dans la méthode du drill, l’accent est mis sur l’acquisition réflexe de gestes (professionnels
essentiellement). À l’intersection entre la méthode du learning by doing de Dewey sur une
base pragmatiste et le système de stimuli-réponses de Skinner à partir de la théorie
béhavioriste (Section 1.2.), la méthode du drill consiste à créer chez l’individu des habitudes
de travail. Leplat et al. (1970) en font un panorama assez exhaustif définissant les situations
où cet apprentissage doit être global (considérant la répétition d’un comportement dans son
tout) ou fractionné (qui consiste à apprendre successivement les différents gestes à acquérir).
Mis en application par le TWI
35- Training Within Industry – par exemple, cette méthode a
été utilisée aussi bien avec des ouvriers qu’avec des cadres, avec des programmes visant la
simplification du travail et des formations visant la conduite de réunion ou le travail en
équipe par exemple. Chaque situation de formation prend la forme d’une fiche de travail type
« check list » mentionnant une à une toutes les procédures à appliquer.
L’avantage reconnu est que cette méthode ne nécessite pas une formation longue de
l’instructeur ou formateur : il lui suffit d’avoir un peu d’autorité, une expérience de ce qu’il
enseigne et une bonne fiche. En outre, l’évaluation est aisée à établir : il suffit de comparer le
comportement de l’apprenant au modèle de comportement de référence.
Cette évaluation de « l’écart » à la norme souligne aussi le travers de la méthode – qui ne tient
absolument pas compte des caractéristiques humaines des apprenants et cherche avant tout à
les fondre dans un moule, à en faire en quelque sorte des robots humains.
35. Méthode initialement créée en 1941 par C.R. Dooley aux États-Unis. Les programmes pratiqués sur cette
base ont été recommandés par le BIT (Bureau international du travail) en 1949.
De la même façon, bien qu’un peu plus ouverte, la méthode Carrard
36, joue également sur
l’acquisition de réflexes professionnels. Il est considéré que, dans chaque savoir
professionnel, dans chaque métier, il y a toujours des gestes que l’individu acquiert par
l’habitude et l’expérience jusqu’à ce que ceux-ci deviennent des automatismes et se réalisent
sans même y penser. L’objectif de son apprentissage est donc de faire acquérir ces gestes
élémentaires à ceux qui se prêtent à la formation. La méthode est considérée « active » par
son fondateur dans la mesure où il y a une décomposition pédagogico-rationnelle du geste à
apprendre et où il est admis que les gestes qui deviennent des automatismes ont, au préalable,
été compris et assimilés pleinement par l’individu. Néanmoins, dans ce cas, comme dans le
précédent (méthode du drill), l’enseignement tient peu compte des caractéristiques de
l’individu : c’est le formateur qui mène le jeu à partir de son plan d’enseignement (ses fiches
d’instruction détaillant l’entraînement et les explications) qui n’est pas modifiable et la
répétition reste à la base de la méthode d’apprentissage.
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Les méthodes passives d’apprentissage pour adultes – formes nouvelles de
la taylorisation mais qui se définissent rarement comme telles – visent avant
tout à créer des réflexes conditionnés permettant de ‘ »gagner du temps »
(de travail). Le formateur, comme l’apprenant, sont rarement considérés en
tant qu’individus ayant une histoire, des attentes spécifiques, des centres
d’intérêt particuliers.
Si, pour certains, la répétition est (souvent) à la base de la pédagogie,
elle ne doit pas en être l’unique constituant.
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Les méthodes plus purement actives ont la particularité de vouloir responsabiliser l’individu
et d’en faire un sujet apprenant autonome.
Elles se mettent souvent plus facilement en place chez le public adulte pour diverses raisons.
D’abord parce qu’elles comptent en premier lieu sur la motivation de l’apprenant et que
l’adulte est plus souvent dans cet état d’esprit que l’élève où la situation d’apprentissage est
imposée (« client conscrit » du fait de l’obligation scolaire). Ensuite, parce qu’il n’y a pas à
proprement parler de contrôle ou de vérification du savoir ou des savoir-faire acquis, il est
demandé à l’apprenant d’être en mesure de s’auto-évaluer et d’agir en conséquence et on
considère qu’un adulte est plus responsable et qu’il saura mieux tirer parti et profiter de
l’autonomie laissée par ce mode d’apprentissage. Ce qui caractérise encore ces méthodes
actives est la perception du formateur qui, plus qu’un instructeur chargé de transmettre un
savoir, devient un faciliteur, un catalyseur d’apprentissage. Enfin, les méthodes actives se font
le plus généralement en groupe cherchant par là à intensifier la vie sociale de l’individu, son
savoir-être et sa participation-coopération au collectif en même temps que son apprentissage
personnel ou professionnel.
36. Cette méthode est encore aujourd’hui la base de l’enseignement technique pratique et la source de la FPA -
Formation professionnelle accélérée. Depuis 1960, cette méthode a été adaptée dans la plupart des pays du
monde (Mucchielli, 9ème éd., 1998).
Parmi ces divers types de méthodes actives – nous citerons plus spécifiquement ici celles à
caractère professionnalisant :
La formation dirigée sur le tas : elle consiste à faire acquérir à l’individu l’expérience
nécessaire à la réalisation de son travail en étant « assisté » dans ses tâches par un tiers (le
formateur) – qui est censé intervenir pour préciser les points essentiels et donner
l’information qui répond à un besoin pratique pour mieux avancer dans la démarche.
La formation sur simulateur : contrairement à la précédente, elle est réalisable dans un
nombre plus limité de situations – mais peut par exemple se concrétiser dans l’apprentissage
de certains types de conduite avec l’utilisation de paysages cinématographiques avec
obstacles pour les chauffeurs et les pilotes. Les méthodes de simulation ont également été
utilisées à Harvard (The Harvard Business School) à partir d’ordinateurs pour des formations
à l’économie de marché ; les Management games par exemple procèdent d’exercices de
décisions psychologiques, financières et économiques. Cette méthode se rapproche de celle
des jeux de rôle utilisée dans la méthode des cas, également lancée par la Harvard Business
School. Seule grande différence, cette seconde méthode se fait exclusivement en groupe.
La méthode des cas se décline généralement sur support écrit ou filmé. C’est dans la
discussion de groupe suivant l’évocation du cas que s’opère l’action formatrice proprement
dite ; d’abord par les interactions groupales suscitées, ensuite par le recul pris pour la
formulation conceptuelle (ce qui rejoint les théories développées par Vygotsky par exemple –
Section 1.1.3.). Cette méthode est également utilisée dans le cadre de processus
d’apprentissage organisationnel (Section 3.2).
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Ces méthodes actives d’apprentissage pour adultes présentent l’avantage
d’impliquer directement l’apprenant dans le cheminement de son
apprentissage. Le formateur assiste, suscite, soutient mais ne dirige pas.
Ce type de méthodes nécessite cependant, au préalable, une certaine
confiance en soi et motivation de l’individu qui s’y prête ou une
compétence particulière pour les mobiliser.
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Quel que soit le type de démarche utilisé, avec ses avantages et ses inconvénients, ses points forts et ses
points faibles, les courants de méthodes abordés ici montrent suffisamment combien chaque individu est
différent et nécessite donc une adaptation de la formation en fonction de ses caractéristiques spécifiques.
C’est cette prise de conscience qui a généré la mise en place d’autres méthodes – basées cette fois sur la
différentiation plutôt que sur le respect de la norme et l’uniformisation. Le développement des recherches
sur la construction des savoirs et de la personnalité, sur les styles cognitifs, la relation éducative, met
également en évidence la complexité de l'acte d'apprentissage et la diversité des individus face à ce
processus.
Aujourd'hui, le projet et la différentiation sont dominants en apprentissage et l’hétérogénéité de publics
incite de plus en plus à tenter de proposer chaque fois des stratégies d’apprentissage différentes en fonction
des divers éléments intervenant dans ce processus. C’est le principe que s’est fixée la méthode dite de
pédagogie différenciée en essayant au maximum de varier les démarches didactiques, les formes de travail
et les supports utilisés en respectant donc la singularité de chacun. Avant d’approfondir les principes de
cette méthode, et d’essayer d’en dégager les points forts et les points faibles, s’ils existent, il semble plus
pertinent de traiter dès à présent de l’apprenant et des nécessaires variables le concernant à prendre
obligatoirement en compte dans toute démarche d’apprentissage.
Dans le document
Pédagogie et apprentissage des adultes. An 2001. Etat des lieux et recommandations
(Page 37-42)