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CHAPITRE I : AMELIORATION ET MODIFICATION DES ENZYMES

3. METHODES DE SELECTION ET DE CRIBLAGE

3.1. Méthodes de criblage

La nécessité de cribler rapidement de grandes bibliothèques de clones ou d’enzymes a conduit à automatiser les tests de criblage pour permettre une utilisation à haut débit (10 000 échantillons testés par jour) ou même à ultra-haut débit (100 000 échantillons testés par jour). Le criblage à haut débit a consisté tout d’abord à réaliser les tests dans des microplaques contenant 96 puits voire même 384 et 1536 puits. Les différentes manipulations peuvent maintenant être effectuées par des automates. Cet aspect présente des atouts majeurs. La quantité de réactifs biologiques et chimiques à introduire est bien sûr plus faible donc le coût est moindre et un grand nombre d’enzymes mutées peuvent être testées simultanément. De plus, la reproductibilité est bien meilleure. Un autre aspect consiste à améliorer la sensibilité des tests de criblage. En effet, les techniques de mutagenèse induisent la modification de l’activité catalytique de l’enzyme. Lors des premiers cycles de mutagenèse, l’activité générée est faible. Il est donc nécessaire de disposer de tests de criblage hautement sensibles.

L’activité de l’enzyme d’intérêt peut être déterminée en utilisant des dosages spectrophotométriques, fluorométriques ou spectrométriques. Certaines stratégies peuvent être développées directement en présence des substrats requis pour la réaction d’intérêt, d’autres sont facilités soit par l’utilisation de chimiosenseurs ou de substrats modifiés.

3.1.1. Méthodes spectrophotométriques et fluorométriques

3.1.1.1. Utilisation de chimio détecteurs

Dans certains cas, le substrat ou le produit ou le changement du milieu réactionnel sont directement détectables en UV/visible ou en fluorescence. Hormis ces cas assez rares, il est possible de faire appel à des stratégies indirectes faisant intervenir des cofacteurs (notamment NAD+/NADH, NADP+/NADPH) et plus fréquemment des chimio détecteurs colorimétriques ou fluorimétriques introduits dans le milieu réactionnel dont la détection correspond à la disparition du substrat ou l’apparition du produit.

 Utilisation du NAD(P)H

Les dérivés du nicotinamide NAD(H) (nicotinamide dinucléotide) et NADP(H) (nicotinamide dinucléotide phosphate) sont utilisés comme cofacteurs par de nombreuses oxydoréductases (hydrogénases, oxydases, oxygénases, …). La forme réduite de ces cofacteurs présente deux maxima d’absorption à 260 et 340 nm, contrairement à leurs formes oxydées qui ne présentent qu’un seul maximum d’absorption à 260 nm. Cette caractéristique a permis de développer de nombreux tests directs d’activité pour les oxydoréductases basés sur l’augmentation ou la diminution de l’absorbance du NAD(P)H à 340 nm. Il est alors possible de déterminer l’activité de l’enzyme testée puisque la quantité de substrat disparue ou de produit formée en fonction du temps est proportionnelle à la quantité de NAD(P)H . Cependant, ces techniques ne sont pas envisageables dans le cas d’un criblage haut-débit en présence d’extrait brut. En effet, diverses oxydo-réductases présentes dans les lysats cellulaires peuvent générer un bruit de fond (réduction ou oxydation du coenzyme) et l’évolution de l’absorbance à 340 nm n’est alors pas spécifique de la réaction étudiée.

Pour palier à cet inconvénient, une stratégie originale a pu être développée avec la D-2-céto-3-désoxy-6-phosphogluconate aldolase (KDGP aldolase) qui a la propriété d’être thermostable. Avant l’étape de criblage des banques de KDGP aldolases mutées, les extraits bruts obtenus après lyse des cellules ont été placés à 60 °C pendant 30 à 60 minutes pour dénaturer les oxidoréductases. La L-lactate déshydrogénase a pu ensuite être utilisée comme enzyme auxiliaire en présence de NADH pour détecter spécifiquement l’activité de la KDGP aldolase en l’absence de bruit de fond35.

 Utilisation de chimiodétecteurs fluorescents

L’activité enzymatique peut être détectée par la fluorescence générée grâce à l’interaction spécifique du chimiodétecteur avec le substrat ou le produit de l’enzyme d’intérêt.

Plusieurs exemples sont décrits dans la littérature36 notamment pour détecter des acides aminés (alanine, sérine, glycine, valine, histidine, cystéine, méthionine, leucine, …) en présence de calcéine chélaté avec Cu2+ (non fluorescente) (Figure 12). Ce test exploite la plus grande affinité des acides aminés pour se chélater avec Cu2+ libérant ainsi la calcéine qui devient fluorescente. Ce test peut être utilisé pour doser l’activité catalytique de diverses amidases, acylases ou protéases dont les substrats ou les produits sont des acides aminés.

R H2N OH O H2N O O Cu NH2 O O R R Calcéine chélatée avec Cu2+ (non fluorescente) Calcéine non chélatée (fluorescente) amidases, acylases protéases Dérivé d'acide aminé (non chélatant)

Figure 12 : Exemple d'utilisation d'un chimiodétecteur fluorescent : dosage des acides aminés36

D’autres chimiodétecteurs fluorogéniques de type phénylhydrazine sont utilisés notamment pour doser l’acétaldehyde relargué lors d’une réaction de transestérification (dans le cas de lipases ou d’estérases) conduisant à la formation d’une phénylhydrazone hautement fluorescente37 (Figure 13).

Figure13 : Test fluorométrique utilisé pour détecter l’acétaldéhyde libéré lors d’une réaction de transestérification

 Utilisation de chimiodétecteurs colorés

Ce type de détection repose sur l’utilisation de molécules présentant la propriété de changer de couleur dans des conditions données. Cette stratégie est particulièrement efficace lorsqu’elle est réalisable directement à partir de répliques des colonies sur membrane de nitrocellulose. Il est alors possible d’établir un lien entre l’activité enzymatique et la couleur des clones exprimant les enzymes d’intérêt.

Le « nitroblue tétrazolium » (NBT) est largement utilisé. En effet, la forme réduite des cofacteurs nicotinamide réagit avec le NBT en présence de phénazine méthosulfate (PMS) pour former un composé de type formazan qui absorbe dans le domaine du visible (580 nm) (Figure 14).

Cette technique permet dans certains cas de détecter l’activité de l’enzyme in vivo, directement à partir de répliques sur membrane de nitrocellulose des colonies exprimant les enzymes d’intérêt. Ces répliques sont soumises ensuite à traitement qui conduit à la lyse des cellules. Le dosage de l’activité enzymatique par la méthode NBT/PMS est ainsi réalisé

directement sur la membrane de nitrocellulose par un dosage colorimétrique. Un précipité bleu apparaîtra à l’emplacement des colonies exprimant l’enzyme d’intérêt.

DH N N CH3SO3 N H N CH3SO3H NBT N AD(P)+ Substrat Produit Formazan (A580nm) PMS (forme oxydée) PMS (forme réduite) NAD(P)H + H+

Figure 14 : Test colorimétrique NBT/PMS utilisé pour le dosage d'activité d'une déshydrogénase (DH)

Cette approche rapide et efficace a notamment été utilisée pour le criblage à haut débit d’une banque de 6-phosphogluconate déshydrogénase mutée de E. coli qui a permis de mettre en évidence des mutants ayant une meilleure thermostabilité38. Dans ce cas la membrane de nitrocellulose est soumise à un traitement thermique.

Les indicateurs colorés sont également utilisés pour suivre des réactions catalysées par des enzymes qui utilisent ou produisent des molécules présentant un caractère acide ou basique (aminoacide décarboxylases, anhydrase carbonique, estérases, hexokinases, protéases, …). Si les conditions réactionnelles sont choisies avec soin, ces méthodes peuvent être quantitatives : la différence de pKa entre l’indicateur et le tampon doit être inférieure ou égale à 0.1 (Tableau 2).

Indicateur coloré Tampon

4-nitrophénol (pKa = 7,15) BES (pKa = 7,15)

Rouge Chlorophénol (pKa = 6,0) MES (pKa = 6,1)

Rouge Phénol (pKa = 8,0) EPPS (pKa = 8,0)

Tableau 3 : Exemple de couples indicateur/tampon utilisés pour des dosages pHmétriques (BES = acide N,N-bis(2-hydroxyéthyl)-2-amino-éthanesulfonique ; MES = acide

2-(N-morpholino)-éthanesulfonique ; EPPS = acide N-(2-hydroxyéthyl)pipérazine-N’-3-propanesulfonique)

Les méthodes pHmétriques peuvent actuellement être réalisées en microplaques et automatisées ce qui les rend plus efficaces et moins couteuses. Cependant, les indicateurs de pH sont moins sensibles que les chimiodétecteurs fluorescents ou colorés.

3.1.1.2. Utilisation de substrats chromogéniques ou fluorogéniques

Ces composés utilisés comme substrat de l’enzyme d’intérêt libèrent un groupement partant coloré ou fluorescent qui va permettre de quantifier l’activité de l’enzyme. En général, les groupements partants sont liés au substrat par des liaisons éthers ou esters de phénols aromatiques conjugués qui sont hydrolysées de façon directe ou indirecte par l’enzyme d’intérêt libérant alors la base conjuguée (Figure 15). Certains substrats sont commerciaux, notamment ceux utilisés pour les enzymes hydrolytiques (dérivés du nitrophénol et de la 4-nitroaniline). Quand les substrats ne sont pas disponibles commercialement, il est nécessaire de les synthétiser. Des exemples de groupements partants sont indiqués dans la figure 14, cette liste n’est bien sûr pas exhaustive.

Figure15 : Exemples de dérivés phénols aromatiques conjugués (fluorescents ou colorés)

 Composés fluorogéniques

De nombreux dérivés de l’umbelliférone ont été synthétisés pour déterminer l’activité catalytique de diverses enzymes (alcool déshydrogénase, époxydes hydrolases, transaldolases, lipases, phosphatases, acylases, …)39.

O O O OH O O O ADH O O O O H ββββ-élimination

Le principe de ce test a été validé dans un premier temps avec l’alcool déshydrogénase (ADH), avant d’être généralisé pour d’autres enzymes : l’oxydation de la fonction alcool en fonction cétone par l’ADH conduit à un composé qui va subir une réaction de β-élimination catalysée par la sérum albumine bovine (BSA) libérant ainsi la forme anionique de l’umbelliférone hautement fluorescente qui est proportionnelle à l’activité de l’enzyme (Figure 16)40. La BSA joue le rôle d’un catalyseur basique par l’intermédiaire des résidus lysine.

 Composés chromogéniques

Le nitrophénol, composé de couleur jaune est très souvent utilisé comme groupement partant coloré pour le criblage à haut-débit de banques de lipases et estérases issues de l’évolution dirigée. Les substrats de ces enzymes sont alors des esters du 4-nitrophénol préparés à partir de ce chromophore41. Le para-nitrophénol sera libéré et détecté par spectrophotométrie si la lipase mutée hydrolyse la liaison ester. Des esters optiquement actifs (Figure 17) peuvent également être utilisés pour déterminer l’énantiosélectivité des enzymes impliquées.

Figure 17 : Principe du test utilisé pour le criblage des lipases

Ces méthodes basées sur l’utilisation de substrats modifiés présentent l’avantage d’être plus directes que les méthodes faisant intervenir un chimiosenseur et d’offrir une bonne sensibilité surtout dans le cas de groupements fluorescents, mais elles présentent toutefois quelques inconvénients : (1) l’existence possible d’un « bruit de fond » dû à la libération du chromophore ou fluorophore selon un mécanisme non enzymatique ; (2) l’encombrement stérique du groupement chromogène ou fluorogène peut amener à isoler des enzymes présentant une spécificité qui est adaptée à ce type de substrat, l’affinité de l’enzyme pour son substrat réel (non modifié par ce groupement) peut être différente.

3.1.2. Méthodes spectrométriques

Parmi les méthodes spectrométriques, la spectrométrie de masse et la résonance magnétique nucléaire (RMN) sont les plus couramment utilisées. Dans certains cas elles peuvent être couplées avec la chromatographie chirale (GC ou LC). Les tests peuvent réalisés avec les substrats réels de l’enzyme d’intérêt ou avec des substrats modifiés. Ces techniques permettent de mesurer l’énantiosélectivité des enzymes étudiées.

L’équipe de Reetz a développé une stratégie qui rend la spectrométrie de masse applicable à la détermination de l’énantiosélectivité (ee et/ou E) sans étape de séparation par chromatographie. Le principe est basé sur l’utilisation de substrats marqués par des isotopes qui se présentent sous forme de pseudo-énantiomères ou de composés prochiraux.

En ce qui concerne la RMN, l’élaboration récente d’appareils réalisant des « analyses RMN en flux » (flow-through NMR) permet actuellement d’utiliser cette technique d’analyse avec un haut débit. L’étude de l’énantiosélectivité d’une réaction enzymatique nécessite une étape de dérivatisation ou l’utilisation de pseudo-énantiomères ou composés prochiraux comme par exemple par un marquage au 13C42.