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Nous adoptons comme cadre conceptuel une forme de théologie pastorale, que nous nommons «théologie pratique de la paix ». Cette théologie reconnaît sa parenté avec la théologie pratique. Elle vise, comme toute théologie, à rejoindre les enjeux de base de

l’existence humaine. La démarche de la théologie pratique a ses pieds dans la méthode analytique des sciences sociales ainsi que dans la méthode (Voir, Juger et Agir) des mouvements d’action catholique (JEC, JAC et JOC). Comme le souligne Audinet43, quand la théologie saisit la pratique, c’est en vue d’une réflexion théologique ; en ce sens, elle est un lieu de vérification de la pertinence de l’Évangile de Jésus-Christ au cœur de l’histoire des humains, mais aussi et surtout un lieu de production de sens théologique et de validation. Elle a pour point de départ la pratique et pour point d’arrivée la pratique. La pratique chrétienne dans le monde est un lieu de réflexion théologique, un lieu d’interprétation de l’Écriture, toujours ouvert à une réinterprétation créatrice du message révélé44. La théologie pratique a une parenté avec la théologie contextuelle45, au niveau du lien avec les méthodes d’analyses des sciences sociales et sciences humaines, et au niveau de sa dimension prophétique créatrice. Elle est construite autour de quatre coordonnées : observation (médiation sociale), interprétation (médiation herméneutique), intervention pastorale (médiation pratique) et prospective.

7.1.Observation (médiation socio-analytique)

L’étape de l’observation permettra de mieux voir la manifestation du phénomène du tribalisme dans l’Église (les Églises) et la société camerounaise. Elle montrera que des situations dramatiques, de malheurs, de pauvreté, de famine, de conflits et de guerres sont causées en partie par le tribalisme exclusif. Ces drames horribles révéleraient qu'il n'y a pas de paix dans le continent africain et particulièrement au Cameroun. En effet, ce tribalisme apparaît aujourd'hui comme un véritable fléau qui détruit l'unité du peuple camerounais et mine la construction de la nation. S'identifier à son village, à son groupe ethnique, est devenu non seulement un réflexe spontané au Cameroun, mais surtout un mode de gestion sur tous les plans de la vie tant sur le plan politique que sur le plan social et même les Églises qui, jadis étaient le noyau dur pour l’établissement d’une fraternité universelle, sont prises dans l’engrenage du clientélisme de préférences tribales.

43 Cf. J. AUDINET, Écrits de théologie pratique, Montréal/Paris, Novalis/Cerf, 1995, 284 p.

44 M.-M. CAMPBELL, «Le drame comme matrice de l’acte théologique», dans C. MÉNARD et F »

VILLENEUVE (dir.), Drame humain et foi chrétienne. Approches éthiques et théologiques, Montréal, Fides, p. 320.

Une enquête de type «entrevue par questionnaire survey», faite auprès de 250 citoyens du Cameroun, de différentes régions, permettra de mieux voir comment l’Église catholique du Cameroun est perçue et évaluée dans ce contexte de diversités culturelles et de conflits interethniques.

En outre, pour compléter et conceptualiser nos découvertes, il sera aussi utile de parcourir quelques écrits dans la littérature récente qui montrent les problèmes interethniques qui se vivent au Cameroun dans Charly Gabriel Mbock (dir.), Les conflits ethniques au Cameroun. Quelles sources, quelles solutions ? Ed. Sep et Saagraph, Yaoundé, 2000, 210 p. J. Kago Lélé, Tribalisme et exclusions au Cameroun, le cas des Bamiléké. Yaoundé, CRAC, 1995, p. 16. 7, Collectif, Le Cameroun Éclaté ? Anthropologie commentée des revendications ethniques, Yaoundé, Éd. C3, p. 594. Ces auteurs nous serviront dans l’interprétation socioculturelle. Le résultat de ces découvertes sera soumis à une interprétation théologique.

7.2. Interprétation socioculturelle et théologique (médiation herméneutique)

L’interprétation s’articulera en deux moments. D’une part, l’analyse critique cherchera à saisir les enjeux et les causes du problème observé, du drame mis en situation, en mettant à profit les interprétations des sciences humaines et les perspectives socioculturelles. Les auteurs cités à la fin de la première partie nous serviront pour l’interprétation socioculturelle. À partir de l’interprétation des résultats de la réalité telle qu’observée sur le terrain, au Cameroun en particulier, et nous laissant interpeller par celle-ci, nous chercherons à l’éclairer à la lumière de la Parole révélée. En d’autres termes, cela signifie partir du contexte concret de crises ethniques où l’Église vit sa foi et interpeller la réalité environnante à l’aide du message évangélique. La pratique chrétienne africaine et camerounaise est conditionnée par l’histoire dans laquelle elle est vécue avec ses articulations anthropologique, socioculturelle, philosophique et politique, économique et religieuse. La théologie herméneutique consistera donc en un va-et-vient progressif et continu entre l’expérience contextuelle présente de l’Afrique, particulièrement du Cameroun, et le témoignage de l’expérience fondatrice confiée à la mémoire de la tradition de l’Église. Il y aura donc un dialogue permanent entre le contexte historique concret des crises ethniques africaines, camerounaises, et une Parole vivifiante et

signifiante qui cherche à en rendre compte et à les dénouer, à les convertir. Le contexte des crises africaines, camerounaises, agit sur l’interprète en soulevant des questions spécifiques, influence la préoccupation croyante avec laquelle l’interprète lit le texte, entend la Parole. Cela agit à son tour sur l’interprète dont la lecture du texte et l’interprétation de la situation fourniront une orientation à la pratique chrétienne. En un mot, il s’agit de la confrontation de la pratique à des modèles ecclésiologiques.

7.3. Intervention pastorale (médiation pratique)

En partant des résultats produits par nos découvertes dans l’observation et l’articulation des deux moments herméneutiques, nous allons les confronter à des modèles théologiques et à notre propre visé, qui est de proposer des pistes d’action en vue d’élaborer des pratiques ecclésiales de la paix qui prennent en compte le vivre ensemble interethnique, et qui agit dans la justice et la reconnaissance mutuelle.

À l’arrière-fond de cette recherche se profilent notre souci pastoral et notre intention de refonder une pratique ecclésiale du dialogue de la pluralité ethnique, au niveau des communautés chrétiennes de base, de la paroisse, du diocèse et de la province ecclésiastique. Le grand défi qui se pose à l’Église (aux Églises) d’Afrique et du Cameroun, c’est le passage à l’acte pour que se vive un dialogue vrai. C'est au nom de cette refondation événementielle à caractère universel que les pasteurs camerounais pourront se dissocier de l’héritage missionnaire et post missionnaire, et entrer au cœur des problématiques de dialogue interreligieux et interculturels tout en soutenant et éclairant les chrétiens fragilisés qui se disputent autour de questions tribales. Ils militeront pour un salut de dimension universelle en lien à «Jésus-Christ, frère sans frontière» et qui doit pouvoir générer une conviction nouvelle chez les chrétiens, qu'ils soient camerounais du Nord, de l’Ouest, du Sud ou de l’Est, femmes ou hommes de tous lieux. Nous espérons qu’une telle expérience se propage comme une tache d’huile dans les Églises du pays et de la sous région de l’Afrique centrale. En outre, nous voulons proposer une formation adéquate et plus efficiente aux pasteurs, aux agents pastoraux, aux leaders des communautés chrétiennes du Cameroun, pour le vivre ensemble pluriethnique,

formation qui se doit de s’approprier et de s’enrichir de tout ce que les techniques des sciences humaines ont apporté à l’action des individus et des groupes. Ainsi, les pratiques ecclésiale et chrétienne de la paix s’enrichissent des «techniques de relation dont la vérification est d’abord efficiente». Concrètement, nous inspirant de notre expérience empirique au niveau de l’Église locale du Cameroun, nous verrons en quoi l’Église locale peut constituer un lieu privilégié pour promouvoir des communautés chrétiennes de paix et de justice à la lumière du règne de Dieu, en somme, des communautés ouvertes au dialogue interethnique et religieux. Il s’agit non pas de créer de nouvelles structures, mais de donner une impulsion nouvelle aux structures existantes.

7.4. Prospective

Cette partie traitera de la prospective qui se dessine à partir de la médiation herméneutique du vécu des Camerounais dans la diversité ethnique. Elle dégagera les conséquences à court et à long terme de l’intervention pour un dialogue pastoral fécond de la diversité ethnique et religieuse, et, en prospective, la transformation que l’Église locale pourrait subir dans son interaction avec les différentes ethnies du Cameroun et d’Afrique.