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Chapitre III : Usage et lecture du nianzhu

III. 1 (1) La méthode et l’histoire du Rosaire en Europe

La méthode

Le mot « rosaire », traduit par nianzhu 念珠 (réciter les perles) en chinois, indique simultanément fois la prière dévotionnelle catholique et le collier de petits perles enfilés que l’on utilise pour réciter cette prière. Étymologiquement, le mot vient du latin – rosarium – une couronne fleurie des roses, qui symbolisent les prières que la Vierge recueillit de ses dévots.227 En français, le mot « chapelet » est souvent utilisé pour indiquer le collier, qui signifie littéralement un petit chapeau de fleurs, aussi symboles des prières mariales. Pour comprendre la règle de cette dévotion, la meilleure référence pour nous est l’introduction du nianzhu en tête de l’ouvrage. On lit sur la première page que « le Rosaire entier contient en total 150 fois la récitation d’Ave Maria et 15 fois de Pater Noster. Il est divisé en trois fen 分 (cycle) de 50 Ave Maria et 5 Pater Noster chacun. » Cette introduction n’a pas précisé que chaque fen est compté sur le chapelet, la forme duquel a été standardisée depuis le XVe siècle – un collier circulaire avec 5 sections : chaque section composée d’une dizaine petits grains pour compter 10 fois d’Ave Maria, divisée par un grain plus grand qui indique une fois de Pater Noster (A6F2). On termine un Rosaire en passant dans ses doigts trois fois le chapelet entier, donc en total quinze dizaines d’Ave Maria.

Le Rosaire n’est pas qu’une récitation vocale. Comme l’introduction du nianzhu s’écrit, on « récite l’entier Rosaire de la Sainte Mère et médite sur les quinze mystères, incluant les évènements de la vie de notre Seigneur Jésus. » La récitation est accompagnée de la méditation. Les quinze dizaines d’Ave Maria sont fixées avec les quinze mystères de la vie du Christ et celui de Marie, divisés traditionnellement en trois catégories pour

correspondre aux trois cycles du chapelet : les mystères joyeux sur la naissance et l’enfance de Jésus, les mystères douloureux sur la Passion et la Crucifixion, et les mystères glorieux sur les épisodes dès la Résurrection jusqu’au couronnement de Marie, comme l’on a déjà listé dans le premier chapitre (Tableau 4). 228

227 Duval, 1988, 938.

228 Le pape Jean-Paul II a ajouté en 2002 une nouvelle catégorie de mystère, les « mystères lumineux », qui

consistent des épisodes de la vie évangélique de Jésus, mais ce nouvel ajout ne concerne pas la période et les documents objet de cette étude.

101 L’histoire de la dévotion

La tradition attribue l’invention de la dévotion à Saint Dominique au début du XIIIe siècle, mais cette attribution a été fabriquée par un dominicain français, Alain de la Roche (1428- 1475).229 En fait, avant sa standardisation au XVe siècle, de nombreuses dévotions existaient qui consistaient dans la récitation répétitive des prières sur un chapelet ; elles étaient pratiquées par de différents ordres. Selon l’étude de Duval, les Chartreux ont été les premiers à fixer le nombre des quinze dizaines d’Ave Maria, vers la fin du XIIIe, siècle en reprenant le nombre des psaumes davidiens dans la Bible.230 Mais il est vrai que c’est surtout l’ordre dominicain qui a largement popularisé et standardisé la pratique par leurs confréries du Rosaire, qui ont poussé comme champignons en Europe vers la deuxième moitié XVe siècle.231 Vers cette époque aussi, la récitation vocale a été divisée et couplée avec les évènements de la vie du Christ à méditer, ce qui constitue un grand tournant d’une pratique orale vers une dévotion intériorisée. Les évènements sont devenus plus tard les quinze « mystères » du Rosaire, ce terme apparait d’abord dans les statuts de la confrérie de Venise (1480). Les « mystères » ont été réparti en trois catégories des mystères joyeux, douloureux et glorieux, comme on les connait aujourd’hui.Si une certaine diversité de sujet de méditation n’était pas exclue à la fin du XVe siècle, vers le XVIe siècle, l’énumération des quinze mystères était si connue et manifeste que les documents fondamentaux,

particulièrement la consécration officielle de la dévotion promulguée par le pape Pie V (Consueverunt Romani Pontifices, 1569), n’ont même pas pris la peine de dresser la liste des mystères.232

Au même temps de la normalisation de sa méthode, la dévotion du Rosaire a développé ses propres iconographies au service de sa diffusion.233 La figuration des mystères est inaugurée dans le Unser Lieben Frauen Psalter réalisé à Ulm par Conrad Dickmut en 1483, suivie par au moins sept rééditions jusqu’à 1503.234 Sur trois xylographies insérées dans ce livre (A6F3), on trouve cinq couronnes de feuillage contenant chacune un dessin de l’un des quinze mystères. Sauf la dernière couronne, qui porte le Jugement Dernier au lieu du couronnement de la Vierge, tous les autres mystères représentés correspondent aux sujets

229 Morgan, « Rosary », Oxford Art Online.

230 L’histoire de la dévotion du Rosaire, voir Duval, 1988, 937-80, notamment 955-956. 231 Notamment dans la deuxième édition des statuts de la confrérie de Cologne en 1477. 232 Duval, 1988, 957.

233 Pour l’iconographie du Rosaire, voir Duval, 1988, 957-959 ; Winston-Allen, 1997, 32-64. 234 Winston-Allen, 1997, 33.

102 standardisés au XVIe siècle et adoptés dans le nianzhu. 235 De plus, les illustrations ne sont pas seulement décoratives. Les manuels d’usage associés à l’ouvrage précisent que les fidèles étaient invités à regarder chaque médaillon avant ou pendant la récitation d’une dizaine d’Ave Maria pour se plonger dans la méditation du mystère correspondant.236 Donc la figuration a servi dès son apparition à soutenir, voire diriger la méditation. En fait, Winston-Allen a argumenté que la figuration n’a non seulement contribué à standardiser les sujets des quinze mystères, et que c’était autour des images, qui ont apparus plus tôt et qui sont restées étonnement stables, que le contenu de prières et de méditations associées à chaque mystère a été rédigé et graduellement stabilisé (et non vice versa).237 Dans le Unser de 1483, on voit seulement l’association de la récitation d’Ave aux images des mystères ; le texte de prières dédiées à la Vierge, comme l’on voit après chaque illustration dans le

nianzhu (A3F5-6), n’était pas encore présent dans la dévotion, mais le passage était laissé à

libre interprétation des fidèles, selon les images. Il faut attendre l’invention d’un type de livres de prières dans les Flandres au début du XVIe siècle, appelé le rosarium, pour voir un format du texte à l’image plus proche à celui du nianzhu.238 Un exemple enluminé par Simon Bening (1483-1561) nous montre que dans le rosarium, chaque mystère du Rosaire est représenté en pleine page (A6F4), tandis que la page opposée de l’image présente les prières vers la Vierge (le mot « oratio » est visible) concernant le mystère concerné. L’apparition des manuels comme ceci a stabilisé la forme tripartie de la dévotion comme l’on voit dans le

nianzhu : la récitation, la méditation parfois facilitée par les images, et les prières offertes

pour chaque mystère.