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La méthode historique

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 141-144)

III LES EFFETS DES FLUCTUATIONS CLIMATIQUES SUR LA FORÊT JURASSIENNE MEDIEVALE

III.1 TENTATIVES DE RECONSTITUTION DU CLIMAT MEDIEVAL: LES METHODES D'APPROCHE

III.1.1 La méthode historique

Les travaux de Emmanuel Le Roy Ladurie155 , fondés sur une méthode régressive, ont suffisamment prouvé qu’il est possible d’écrire une « histoire du climat » malgré l’absence d’informations sérielles, de relevés précis sur les temps et les précipitations, en se fondant, à travers les textes, sur les observations météorologiques anciennes, les dates des récoltes ou les représentations iconographiques des glaciers qu’il a raccordées dans un souci scientifique, aux données statistiques de la période contemporaine. Le réflexe de l’historien est en effet de retourner aux sources écrites et de glaner çà et là des mentions climatiques, des observations.

Mais la moisson est maigre : des notations éparses, des remarques subjectives parfois déformées par des arrière-pensées.

Prenons un exemple concernant la montagne jurassienne comme la Vita Patrum Jurensium (Anonyme)156, qui a le mérite de constituer une sorte de chronique de la vie érémitique des Pères fondateurs du Jura au Ve siècle, Saint-Romain, Saint-Lupicin, son frère,

155 E. LE ROY LADURIE, Histoire du climat depuis l’an Mil, 2e édition, Paris : Flammarion, 1983, 2 vol.

156 F. MARTINE, Vie des Pères du Jura, Introduction, traduction et notes, Paris : Ed. du Cerf, 1968 rééd. 1986-1987.

et Saint-Oyend. Les notations climatiques y abondent : « les rigueurs du climat de Condat » (Saint-Oyend puis Saint-Claude, Jura) aux paragraphes 22-23 ; « pour lutter contre les frimas d’un pays glacial 157 » (§ 63) ; « son capuchon, également misérable, suffisait à le protéger de la pluie, mais non à le défendre contre les froids rigoureux qui sévissent dans ce pays (§64) ;

« survenait-il un froid rigoureux158 ? Il recourait à une sorte de berceau, adapté à sa taille, fait d’un grand morceau d’écorce détachée d’un chêne et fermé aux deux extrémités par deux écorces de même espèce qu’il y avait cousues (§65) ; « même pour l’office des matines et pour celui des laudes, il ne mit jamais autour de ses pieds nus, même par les froids les plus rigoureux, même quand il y avait beaucoup de neige, autre chose que des galoches de bois, à la mode gauloise… »159.

Détails pittoresques et suggestifs ! Mais on comprend bien qu’ici les allusions très appuyées aux rigueurs de l’hiver jurassien et les mentions des difficultés de la vie ascétique des saints hommes relèvent avant tout d’un parti pris apologétique et idéologique…

Pour tenter de reconstituer de manière évocatrice le climat de la haute vallée du Doubs dans les siècles passés, laissons la parole aux habitants eux-mêmes, écoutons les plaintes des paysans dans un mémoire destiné au prieur de Mouthe, Jean de Mathafalon, en 1496 (pour la révision d’un traité de 1488) : « le pays était froid et stérile, la neige bien souvent chesait sur les blés, qu’étaient seulement orge et avoine, en août, septembre et octobre et les blés ne pouvaient venir à maturation ; l’on ne mangeait la plupart du temps que du pain d’avoine ; en fin de compte était venu le cher temps, les pluies, les froidures, les gelées firent périr tous les fruits et beaucoup de gens périrent de famine ou partirent. »160

Des plaintes de même nature sont adressées à Philippe le Beau en 1498 : « La terre et la seigneurie de Mouthe estait assise en pays de montagne, froid et stérile, autant et plus que lieu qui fust au comté de Bourgogne, car bien souvent la neige schéait sur les bleds y venant, qui estaient seulement orge et avoine, en aoust, septembre et octobre, de manière que lesdits bleds ne pouvaient venir à maturation et souvent estaient gelez et gâtez aux champs desdites neiges et froidures, et à ce moyen lesdits habitants estaient vrays et pauvres gens de labeur, qui pour la plupart ne mangeaient que pain d’avoine et à la vérité c’estait un des plus pauvres

157 Op. cit. supra « ad arcenda gelidissimi loci frigora »

158 Ibidem « Si vero vis frigoris sese ingesisset austerior… »

159 Vie de Saint-Oyend § 129. « nec in frigidissimis pruinis nec in magnis nivibus… »

160 J. MUSY, Mouthe. Histoire du prieuré et de la Terre seigneuriale, Pontarler : La Gentiane bleue, 1930, p.131

lieux comme chacun sait. » Le tableau est sans doute noirci car il s’agit d’obtenir du souverain une réduction des impôts.

Il n’est donc guère étonnant de constater que les mêmes griefs contre le climat seront repris dans le « Cahier de doléances » de Rochejean le 20 mars 1788 ! « La position de la seigneurie (Mouthe) aux environs de la source du Doubs, dans les plus hautes montagnes du Jura, ne permet pas de semer autre chose que de l’orge et de l’avoine, souvent surpris par les gelées d’automne. Des hivers les plus rigoureux pendant six ou sept mois de l’année rendent le pays nécessairement pauvre par nature. »

Ces extraits sont révélateurs de toute la subjectivité et l’approximation qui entourent la perception humaine du temps météorologique. Pour la région et l’époque qui nous intéressent en tout cas, on ne trouve guère d’observations précises et circonstanciées, à notre connaissance du moins, pas de données chiffrées, encore moins de séries. Ce déficit d’informations s’avère général.

Pierre Gresser 161 relève dans la documentation, pour le bas Moyen Âge, quelques allusions météorologiques, précisant qu’elles concernent surtout les variations de températures (grands froids hivernaux, chaleurs estivales excessives) ou les précipitations dont sont tributaires les cultures (inondations, sécheresses exceptionnelles). Il déplore pourtant l’absence, pour la région, d’études sérielles que les données comptables nombreuses aux XIVe et XVe siècles rendraient possibles.

Roland Fiétier 162 qui s’est penché sur la question du climat à Besançon aux trois derniers siècles du Moyen Âge, a constaté la rareté des renseignements fournis par les chroniques ; en suivant la méthode préconisée par Emmanuel Le Roy Ladurie, il a tenté d’établir un état du climat comtois médiéval à partir des bans de vendange et du prix du muid de vin à Besançon, mais, en l’absence d’étude statistique, les résultats sont peu concluants.

La même démarche adoptée par Rémi Boivert163 pour la région d’Arbois (Jura) n’est guère

161 P. GRESSER, La Franche-Comté au temps de la Guerre de Cent Ans, Besançon : Cêtre, 1989, p.20-21 ; Le Crépuscule du Moyen Âge en Franche-Comté, Besançon : Cêtre, 1992, p.120-126 ; Calamités et maux naturels en Franche-Comté aux XIVe et XVe siècles, Besançon : Cêtre, 2008.

162 R. FIETIER, Recherches sur la banlieue de Besançon au Moyen Âge, Paris, 1973.

Pour information signalons aussi A. ANGOT « Etudes sur les vendanges en France », in Annales du Bureau Central Météorologique de France, année 1883 (Etude des Orages en France et Mémoires divers, Paris 1885 ; H. DUCHAUSSOY, « Les bans des vendanges de la région parisienne » in La Météorologie, 77, 1934, p. 111-188 ; M. GARNIER, « Contribution de la Phénologie à l’étude des variations climatiques », in La Météorologie, 1955, p.291- 300.

163 R. BOIVERT, La seigneurie d’Arbois, mém.de maîtrise, Besançon, t.I, 1976, p.134-135.

plus probante. Jacky Theurot qui a étudié à Dole les fluctuations du débit du Doubs164, a constaté des crues importantes en janvier 1493, 1496 et 1499 mais ce sont des observations très ponctuelles.

On peut donc constater que les informations sont souvent trop partielles pour être exploitables et éclairantes. En outre, ces données sur la vigne et le bas pays ne renseignent pas directement sur le climat d’altitude. Et Pierre Gresser165 de conclure que sans exploitation systématique des sources écrites166, la méthode historique sera inefficace.

Confrontés à la subjectivité des témoignages écrits et à la pénurie de données chiffrées qui seules permettraient une quantification propre à garantir la valeur scientifique de ces compilations météorologiques, nous sommes tentés d’emprunter à Pierre Alexandre167 sa démarche pluridisciplinaire originale et de demander aux sciences naturelles et aux travaux consacrés aux paléoclimats, ce que ne peuvent fournir des investigations purement historiques.

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