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CHAPITRE 2 : MÉTHODOLOGIE

2.3 Méthode de collecte de données

La cueillette de données, qui fut effectuée entre mai 2010 et juin 2011, s’est déroulée dans les locaux du C.O. Nord du SPVM. Les données relatives au traitement judiciaire des incidents commis en contexte conjugal utilisées dans le cadre de cette étude ont été recueillies à l’aide d’un des rares procédés mis au point expressément pour l’étude des faits de communication : l’analyse de contenu. L’analyse de contenu est une technique d’analyse servant à la description objective, systématique et quantitative du contenu manifeste des communications. L'objectif de celle-ci est de réduire la complexité du matériel et de le présenter dans un format statistiquement exploitable (De Bonville, 2006).

La cueillette des données utilisées dans cette thèse s’est effectuée en plusieurs étapes. Tout d’abord, une lecture attentive et répétée des pièces écrites fut effectuée afin de nous familiariser avec le contenu de celles-ci. Cette étape nous a permis de dégager, pour chaque type de pièces écrites, des catégories et des sous-catégories d’analyses et d’identifier les variables qui y sont liées. À partir de ces informations, une grille d’analyse fut élaborée pour chaque type de pièces écrites10. Ces grilles d’analyse nous ont permis de codifier, de manière

systématique, des informations concernant divers types de variables préalablement sélectionnées et catégorisées. La décision d’élaborée une grille d’analyse par types de pièces écrites fut prise afin de tenir compte du moment de prise de connaissance de l’information par les intervenants judiciaires et de la fluctuation des informations. En effet, les diverses

10 Au total, onze grilles d’analyse ont été élaborées dans le cadre de cette étude. Ces grilles d’analyses portent

sur : le rapport d’événement, la déclaration de la victime, la déclaration du suspect, les déclarations de témoins, le sommaire de l’enquête, le précis des faits, la demande d’intenter des procédures des policiers, l’engagement à comparaitre, la promesse émise à un agent de la paix ou un fonctionnaire responsable, les rapports complémentaires et le plumitif. Ces grilles d’analyse sont disponibles sur demande.

pièces écrites liées à un incident ne sont pas toutes rédigées au même moment et une première lecture flottante des dossiers nous avait permis de constater que certains types d’informations n’étaient disponibles qu’à certains moments du processus judiciaire alors que d’autres changeaient en cours de processus. L’utilisation de grilles d’analyse distinctes nous a permis de tenir compte de cette particularité. Suite à l’élaboration de ces grilles, toutes les pièces écrites relatives à chacun des incidents de notre échantillon ont été codifiées à l’aide de celles- ci11.

La qualité d’une analyse de contenu repose sur la justesse et la constance des jugements posés par les personnes qui codent les informations du corpus empirique. La mesure de fidélité révèle ce degré de constance dans le travail des codeurs et indique jusqu’à quel point il est raisonnable de se fier aux résultats de l’analyse (De Bonville, 2006). Compte tenu de la difficulté d’accès aux données et du temps associé à la collecte, une seule personne a procédé à la cueillette des données. Ceci constitue une des limites de cette étude puisque le degré d’indépendance à l’égard de la subjectivité du codeur, donc la fidélité de la catégorisation, peut être mis en doute. En effet, il est impossible d’éliminer la possibilité que la codification des documents ait été influencée par le jugement subjectif du codeur, qui est également l’auteur de cette étude.

La décision d’utiliser les pièces écrites relatives au cheminement judiciaire des incidents commis en contexte conjugal fut prise pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il fut décidé de procéder à l’aide des pièces écrites liées à ces dossiers, car ceux-ci réfèrent au cheminement réel de ces cas dans l’appareil judiciaire. Les sondages ou les vignettes, qui sont généralement utilisées pour étudier les décisions effectuées par les acteurs du système judiciaire, utilisent majoritairement la méthode des jugements simulés. Cette méthode implique que divers scénarios d’incidents, dont les modalités varient, sont soumis aux intervenants judiciaires à qui l’on demande d’indiquer la décision qu’il prendrait dans de tels cas. L’inconvénient majeur de cette méthode est qu’elle n’est qu’une simulation; il est possible que les intervenants judiciaires adoptent une position différente lorsqu’ils sont confrontés à une situation réelle. L’utilisation de pièces écrites permet de résoudre ce problème puisque celles-

11 Bien entendu, une période de pré-test fut effectuée afin de vérifier qu’aucune information pertinente n’avait

ci font référence à des causes réelles ayant des conséquences sur l’accusé. De plus, l’utilisation de pièces écrites permet d’avoir accès à une multitude d’informations qui n’auraient pas été accessibles via d’autres sources de données, tel que les systèmes informatisés. En effet, une critique formulée à l’endroit des statistiques et des informations portant sur la criminalité et le processus judiciaire en accès libre concerne le fait qu’elles sont fractionnées et incomplètes (Ministère de la Justice, s.d.). Presque toutes les enquêtes publiques, les enquêtes du coroner et les enquêtes gouvernementales sur les incidents d’homicide envers un conjoint déplorent l’absence de renseignements détaillés sur les interventions du système de justice pénale face aux incidents de violence familiale (Ministère de la Justice, s.d.). Au contraire, l’utilisation des pièces écrites permet d’avoir accès aux narratifs expliquant le déroulement des incidents ainsi qu’à l’ensemble des décisions prises par les intervenants judiciaires. Ces avantages sont particulièrement importants dans le cadre de cette étude puisque celle-ci met l’accent sur les facteurs liés à la nature et aux circonstances entourant les événements se déroulant en contexte conjugal ainsi que sur les décisions des acteurs du système judiciaire. Finalement, l’utilisation des pièces écrites permet d’insérer une dimension temporelle au cheminement judiciaire des incidents commis en contexte conjugal. En effet, il est possible que certains types d’informations ne soient accessibles qu’à certains moments ou à certains intervenants du système judiciaire. L’utilisation de pièces écrites liées à diverses étapes du processus permet donc de tenir compte du moment de prise de connaissance de ces informations par les intervenants judiciaires.

Malheureusement, l’utilisation de pièces écrites comporte également certains inconvénients. Tout d’abord, la qualité des données amassées pour cette étude dépend du sérieux, de la minutie et de la qualité avec laquelle les personnes en charge de compléter ces pièces écrites effectuent ce travail. L’utilisation de pièces écrites implique également que certaines des données amassées sont tributaires de la subjectivité des individus qui les ont rédigées. D’une part, les intervenants judiciaires ne mentionnent que les informations qu’ils jugent pertinentes dans la partie narrative de ces pièces écrites. D’autre part, les informations jugées pertinentes par les intervenants judiciaires peuvent être agencées de manière à refléter leur compréhension de l’incident. En somme, la fidélité des données amassées via l’analyse de pièces écrites peut être remise en question puisque certaines des informations recueillies par les intervenants judiciaires ne sont pas mentionnées dans les dossiers alors que d’autres

reflètent peut-être davantage le point de vue des intervenants judiciaires sur la situation plutôt que le déroulement réel de l’incident. L’interprétation personnelle et les préjugés des individus ayant rédigés ces pièces, ainsi que la subjectivité du codeur, ayant une influence sur les données amassées dans cette étude, la reproductibilité de cette étude peut également être remise en question.

Ensuite, une des limites de cette étude concerne la véracité des informations contenues dans les pièces écrites. En effet, il existe une forte probabilité que les informations fournies par la victime ou l’agresseur ne soient pas totalement conformes à la réalité. Par exemple, il est possible que certaines victimes minimisent les gestes commis à leur endroit afin de protéger l’agresseur. Ainsi, le fait que ces informations aient été recueillies dans un contexte où celles- ci pouvaient avoir de graves répercussions sur la vie des individus doit être pris en compte. Malgré tout, nous croyons que cette limite a peu d’impact sur la présente étude puisque celle- ci porte sur les décisions prises par les intervenants judiciaires en fonction des informations dont ils disposent, que celles-ci soient véridiques ou non.

Finalement, l’utilisation de documents policiers et judiciaires comme sources de données implique la gestion d’un grand nombre de données manquantes12. Une grande partie des

données recueillies lors de la collecte de données étant inscrites sous forme narrative dans les documents analysés, il s’ensuit que les intervenants judiciaires ne sont pas tenus de mentionner certains types d’informations de manière systématique dans leur rapport13. Il est

de la responsabilité du policier d’inscrire toutes les informations pertinentes dont ils disposent et, parfois, certaines informations ne sont pas traitées dans les documents analysés, ni même recueillies auprès des individus impliqués. Trois stratégies de gestion des données manquantes furent utilisées dans cette étude, dépendamment de la nature et du type de variables. Dans le cas de données binaires, les données manquantes furent généralement considérées en tant que valeur négative (soit l’absence de la caractéristique). Cette décision fut prise de manière individuelle pour chaque variable et s’appuie sur certains résultats de

12 En statistique, nous parlons de données manquantes lorsque nous n’avons pas d’observation pour une variable

donnée pour un incident

13 Bien entendu, certaines sections des documents sont réservées au traitement d’informations spécifiques (tel

que le sexe du suspect, sa date de naissance, etc.) dont les intervenants judiciaires doivent obligatoirement faire mention.

recherches laissant présager que bien souvent, lorsqu’une information est négative, c'est-à- dire que la vérification d’une information démontre que l’incident ne présente pas une caractéristique donnée, les intervenants judiciaires n’inscrivent pas cette information dans leur rapport (Baril, Cousineau et Gravel, 1983). Dans le cas de données continues, les données manquantes furent généralement remplacées par la moyenne de l’échantillon. Bien que cette méthode permette d’effectuer des analyses sur un plus grand échantillon et ne modifie pas les mesures de tendances centrales, elle comporte l’inconvénient de conduire à une sous-estimation de la variance. Dans certains cas, il s’avéra impossible d’imputer des valeurs aux données manquantes. Par exemple, il était impossible d’imputer une valeur à la durée de cohabitation des individus pour les incidents impliquant des individus ne cohabitent pas. Les observations furent donc exclues des analyses.