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V. Les interactions médicamenteuses

5.2 Les interactions pharmacocinétiques

5.2.3 Métabolisme

Une fois que les médicaments sont distribués, ils sont ensuite métabolisés et c’est à cette étape que les interactions répertoriées sont les plus nombreuses. En effet, les CYPs jouent un rôle très important dans le métabolisme de phase I des médicaments.

Plusieurs mécanismes peuvent avoir lieu pour provoquer des interactions médicamenteuses néfastes :

Inhibition enzymatique

La plupart des interactions médicamenteuses cliniquement significatives sont dues à une inhibition au niveau des CYPs. Les phénomènes d’inhibition enzymatique peuvent être classifiés en deux catégories : les inhibitions réversibles et irréversibles.

Inhibitions réversibles

-Lorsque deux molécules sont métabolisées par la même voie enzymatique, il y a une compétition qui se fait au niveau des sites de liaisons de l’enzyme. Cette forme d’inhibition est dite compétitive et dépend de l’affinité des substrats pour cette enzyme, de la demi-vie de la substance inhibitrice et de la concentration inhibitrice.

-Des inhibitions enzymatiques non-compétitives peuvent également avoir lieu ; dans ce cas, la substance inhibitrice se lie à la même enzyme que l’autre médicament mais sur un site de liaison différent, en produisant un changement de conformation de l’enzyme et une inactivation du CYP concerné. La concentration de substrat n’intervient pas dans ce type d’interaction.

-Le troisième type d’inhibition est dit incompétitif : l’inhibiteur forme un complexe avec le CYP, ce qui le rend inactif.

L’activité inhibitrice d’une substance peut se traduire par la constante d’inhibition Ki ou l’IC50 qui est la concentration nécessaire pour inhiber 50% de l’activité de l’enzyme. Pour une inhibition réversible compétitive, l’équation de Michaelis-Menten devient :

Vi= Vmax . S

Km (1+[I]/Ki) + [S] (1+ [I]/Ki)

Un inhibiteur compétitif va ainsi augmenter le Km sans avoir d’influence sur le Vmax alors qu’un inhibiteur non compétitif va diminuer le Vmax et n’influencera pas le Km. Une inhibition incompétitive quant à elle va diminuer de la même manière le Vmax et le Km.

Une différence permettant de distinguer une inhibition réversible d’une inhibition irréversible est la perte d’activité dépendante du temps. En effet, la pré-incubation d’un inhibiteur irréversible en présence de l’enzyme avant l’addition du substrat amène à une perte d’activité de l’enzyme avec le temps.

Inhibitions irréversibles

Certaines substances contiennent des groupes fonctionnels qui peuvent être oxydés par les CYPs pour donner des réactifs intermédiaires qui conduisent à une inactivation de l’enzyme par l’altération de l’hème ou de la partie protéique ou les deux. Ces substances qui inhibent de manière irréversible les CYPs sont appelées inhibiteurs suicides. Ces réactions d’inactivation résultent en une perte d’activité du CYP de façon dose et temps-dépendante.

L’activité des CYPs n’est alors retrouvée qu’après une nouvelle synthèse de CYP. Ceci est souvent à l’origine d’un délai entre l’arrêt d’un traitement qui inactive un CYP et la reprise d’un métabolisme normal.

La furafylline est par exemple un inhibiteur suicide du CYP1A2 : un réactif intermédiaire produit par la furafylline va se fixer de manière covalente à l’hème du CYP1A2.

Le ritonavir est un inhibiteur suicide du CYP3A. Une récente étude réalisée sur des volontaires sains a montré que le ritonavir inhibait le métabolisme du midazolam pendant au moins trois jours après l’arrêt du traitement (120). Une étude in vitro a mis en évidence les mécanismes d’inhibition du CYP3A par le ritonavir : c’est un inhibiteur irreversible qui peut déplacer les substrats de leur site actif, se lier au fer de l’hème, diminuer le potentiel redox et donc inhiber la réaction de réduction par la CYP reductase (121).

Le tableau ci-dessous montre les différents substrats et inhibiteurs spécifiques des CYPs que l’on peut utiliser pour les études d’interactions médicamenteuses in vitro et in vivo (adapté de (105)). (Les substances en italiques sont des composés pour lesquels le niveau de preuve n’est pas très élevé mais qui sont recommandés dans l’attente de nouvelles données).

In vitro In vivo

substrat inhibiteur substrat inhibiteur

CYP1A2 phenacetine furafylline caféine, théophylline

furafylline

CYP2B6 efavirenz, bupropion

ticlopidine efavirenz, bupropion CYP2C9 warfarine,

diclofenac

sulphaphenazole warfarine, tolbutamide

fluconazole

CYP2C19 mephenytoine ticlopidine, loratadine

omeprazole omeprazole, fluvoxamine CYP2D6 bufuralol quinidine metoprolol,

desipramine

quinidine, paroxetine,

fluoxetine CYP3A midazolam,

testosterone

ketoconazole, itraconazole

midazolam itraconazole, ketoconazole,

ritonavir, clarithromycin

Induction enzymatique

L’induction enzymatique est beaucoup moins observée que l’inhibition mais elle n’en reste pas moins cliniquement pertinente. Le mécanisme d’induction est souvent une augmentation du taux de transcription ou de traduction du gène codant pour le CYP conduisant à une synthèse plus importante de l’enzyme. Ceci induit une augmentation du métabolisme de l’autre médicament qui peut décroître son effet.

Par exemple, l’induction du CYP3A4 se fait via le PXR qui est un récepteur nucléaire exprimé principalement dans le foie, l’intestin et le colon et dont les ligands pharmaceutiques peuvent être la rifampicine ou le phénobarbital. Un autre récepteur nucléaire : le récepteur CAR qui est exprimé principalement dans le foie est capable d’induire le CYP2B6 et plus faiblement le CYP3A4. Ces deux récepteurs ont besoin d’une hétérodimérisation pour être ensuite capable de se lier à l’ADN.

Dans le cas d’une pro-drogue, l’induction d’un CYP impliqué dans la bioactivation de la substance en son métabolite actif, va augmenter la production de ce dernier et ainsi accroître l’effet pharmacologique ou la toxicité. L’induction est un processus relativement long car c’est un effet qui est produit en général au steady-state du médicament, après plusieurs jours de traitement.

Les interactions utiles

Fréquemment, les interactions médicamenteuses peuvent être recherchées car elles s’avèrent utiles en pratique clinique :

-Elles permettent d’améliorer la sécurité d’emploi en donnant deux doses faibles de molécules de la même classe pour potentialiser l’effet et augmenter la tolérance (association par exemple de deux antihypertenseurs). Le rapport bénéfice/risque est alors augmenté.

-Dans le cas de médicaments très onéreux, les interactions cinétiques peuvent permettre d’associer un inhibiteur du métabolisme hépatique de la ciclosporine par exemple pour diminuer les doses de traitement nécessaires.

-Un autre exemple est la thérapie antirétrovirale : chez les patients atteints du VIH, le ritonavir qui est un inhibiteur puissant du CYP3A (CYP impliqué dans le métabolisme de la plupart des autres médicaments antirétroviraux) est ajouté à de faibles doses comme booster des autres inhibiteurs de la protéase (ex : association lopinavir/ritonavir).