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A Le métabolisme halogéné : originalité et particularité des algues marines

Chapitre III. Identification de marqueurs moléculaires des réponses de

III. A Le métabolisme halogéné : originalité et particularité des algues marines

Les haloperoxydases dépendantes du vanadium sont particulièrement bien décrites chez les algues marines en raison de leur implication dans la synthèse de COHV. Chez L. digitata, les haloperoxydases sont codées par des familles multigéniques (Colin et coll., 2003, Colin et coll., 2005). Il a été suggéré que les différents membres ont pu évoluer vers des fonctions spécialisées, comme l'absorption d'iode, le renforcement pariétal ou la défense chimique liée à la formation des COHV (Leblanc et coll., 2006). Pour autant, il n’existe pas à ce jour d’études concrètes validant ces hypothèses. L'expression de 2 bromopéroxydases (v- BPO1, v-BPO3) et de 2 iodopéroxydases (v-IPO1, v-IPO3) a donc été suivie en réponse à l'élicitation par les oligoguluronates, afin d’apporter des premiers éléments de réponse.

Curieusement, le gène codant la v-BPO1 est très fortement réprimé à 3 heures et tend à revenir à son niveau d’expression initial au cours des 12 heures qui suivent. Au contraire, le gène codant la v-BPO3 s’est avéré très clairement surexprimé par l’approche macroarrays et les données de PCR Quantitative ont confirmé son induction ponctuelle à 3 heures chez les plantules sauvages. Ces données transcriptomiques confortent les résultats précédemment acquis sur l’expression de ce gène, qui a été isolé à partir de la banque de protoplastes et dont des expériences de northern blot ont montré qu’il ne s’exprime pas chez le sporophyte non stressé (Roeder et coll., 2005). L'ensemble de ces résultats tend à prouver que la v-BPO3 est une enzyme spécifiquement produite au cours de réponses de défense, impliquant un stress oxydant.

Concernant les iodopéroxydases, le gène codant v-IPO1 montre une légère induction à 6 heures avant d’être réprimé. Au contraire, le gène codant v-IPO3 est très fortement induit, uniquement à 3 heures, d’un facteur 7 en moyenne et jusqu’à plus de 20 fois pour l’un des réplicats. Ce nouvel ADNc de v-IPO, isolé par des approches PCR à partir d’ARN de sporophyte élicité par les oligoguluronates, n'avait été mis en évidence dans aucune des banques de laminaire. L'ensemble de ces informations et résultats confirme donc l'existence d'une forme de v-IPO, nommée v-IPO3, très faiblement exprimée chez le sporophyte dans un environnement sain, voir non exprimé. v-IPO3 représenterait tout comme v-BPO3 une forme d’haloperoxydase exclusivement et spécifiquement induite au cours des réponses de défense.

Trois fonctions biologiques principales sont généralement attribuées aux HPO : le renforcement pariétal, la détoxication des EAO, et la synthèse des COHV.

De manière concomitante à la production d’H2O2, l’élicitation de L. digitata par les

oligoguluronates entraîne un net efflux d’iodure (Fievet et coll., communication personnelle). Le pontage oxydatif des polyphénols a été obtenu in vitro en présence de H2O2,

d’haloperoxydase et d’un halogénure (Berglin et coll., 2004, Bitton et coll., 2006). Ainsi, les haloperoxydases dont l’expression est spécifiquement induite par l’application d’oligoguluronates, v-BPO3 et v-IPO3, pourraient donc être sollicitées pour assurer le renforcement pariétal et de fait augmenter la protection mécanique vis-à-vis d’agressions pathogènes ultérieures. Cependant, la cinétique d’induction des gènes codant v-BPO3 et v- IPO3 impose que si ces enzymes sont effectivement impliquées dans le pontage oxydatif des polyphénols et des alginates, ce n’est pas par l’utilisation du H2O2 produit au cours du burst

oxydant, car il est rapidement éliminé.

La réaction d'oxydation d'halogénure que les haloperoxydases catalysent en présence de H2O2 pourrait leur attribuer un rôle important dans le contrôle du burst oxydant en assurant

une détoxication plus efficace du péroxyde d’hydrogène (Collèn et coll., 1994a, Malin et coll., 2001, Manley, 2002). Cependant, l’élimination du H2O2 est très rapide, de l’ordre d’une

trentaine de minutes, alors que les gènes codant v-BPO3 et v-IPO3 sont induits dans les 3 premières heures suivant l’élicitation. Ces enzymes produites de novo ne semblent donc pas impliquées dans la gestion du stress oxydant. Seules les v-BPO1 et v-IPO1, dont les gènes montrent une expression constitutive chez les sporophytes peuvent éventuellement contribuer à la détoxication du H2O2. Cette hypothèse est d’autant plus appuyée par le fait que v-BPO1

et v-IPO1 possèdent un peptide signal d’adressage suggérant une localisation pariétale de ces enzymes (Colin et coll., 2003, Colin et coll., 2005).

L’élicitation de L. digitata par les oligoguluronates entraîne une augmentation de l’émission de composés carbonés volatils iodés ainsi que d’iode moléculaire I2 (Malin et coll.,

2001, Palmer et coll., 2005). En partenariat avec le Laboratoire de Chimie Analytique Bioinorganique et Environnementale de l’université de Pau (LCABIE, UMR CNRS 5034) nous avons également montré l’augmentation de l’émission de plusieurs composés iodés, notamment la production massive et tardive de CH2I2 suite à l’élicitation par les

CH2I C2H5I C3H7I C4H9I CH2I2

Témoin 0,4 0,12 0,12 0,0 3,39

Elicitée 0,5 0,62 0,37 0,2 33,6

Figure 47: Augmentation de la production de composés volatiles iodés suite à l’élicitation par les oligoguluronates chez L. digitata

L’émission de COHV est mesurée par CGC-ICP-MS. Les quantités produites sont exprimées en pmol h-1 g-1 MF.

La capacité de L. digitata à accumuler l’iode, jusqu’à 4,7 % de son poids sec, et à émettre des COHV impose chez cette algue un métabolisme halogéné actif. D’après des travaux récents utilisant la technique d’EXAFS, il apparaît que l’essentiel de l’iode intracellulaire se trouve sous forme iodure. Cependant, les haloperoxydases pourraient fixer des halogénures sur des squelettes carbonés de longueur variée et produire ainsi des métabolites non volatils. En collaboration avec l’équipe de R. Lobinsky du LCABIE, j’ai donc mené des expériences préliminaires afin de valider cette hypothèse. La chromatographie liquide haute performance (HPLC) associée à un spectromètre de masse utilisant un plasma à couplage inductif (ICP MS) comme source d’ionisation est une technique de choix pour séparer et identifier spécifiquement des composés portant un atome particulier, l’iode et le brome dans notre cas. Les analyses ont révélé que L. digitata produit naturellement plus d’une vingtaine de composés iodés, certains de haut poids moléculaire et pouvant porter au moins deux atomes d’iode (Figure 48). Les différences de profils obtenus à partir d’extraction organique utilisant des solvants différents indiquent une nature diverse de ces composés iodés. Par couplage avec un détecteur UV, nous avons également pu montrer que certains d’entre eux possèdent des cycles aromatiques. La très grande diversité des composés halogénés produits chez les organismes marins est largement décrite. Elle comprend des indoles, des terpènes, des acétogénines, des phénols… (Dembitsky et Srebnik, 2002, Gribble, 2003). De plus, alors que L. digitata émet de nombreux composés bromés volatils, aucun composé bromé intracellulaire n’a été détecté dans les différents extraits préparés. L. digitata ne concentre pas le brome

0 25 5 10 15 20

CH2I2 µg I L-1

Heures élicitées témoin

comme elle le fait pour l’iode, il est donc possible qu’elle ne synthétise pas de composés organiques bromés non volatils. S’ils existent, alors ils sont chimiquement très différents des composés iodés mis en évidence et ne pouvaient pas être détectés dans les extraits organiques considérés. Enfin, l’application d’oligoguluronates semble induire une augmentation de l’activité du métabolisme iodé intracellulaire dans les 24 heures qui suivent l’élicitation, par une augmentation de la synthèse de certains composés. L’activité antiseptique des espèces iodées est connue depuis longtemps et fait l’objet d’application médicale. Ainsi, les nombreux composés iodés identifiés chez L. digitata représentent un fort potentiel de composés impliqués dans les réponses de défense.

Figure 48 : Mise en évidence de la biosynthèse de composés iodés intracellulaires chez L. digitata

La comparaison des algues témoins et élicitées après 24 heures semble indiquer une augmentation du métabolisme iodé suite à l’élicitation par les oligoguluronates. Les étoiles jaunes indiquent des métabolites dont la biosynthèse pourrait être favorisée au cours des réponses de défense. Profil métabolique obtenu par LCP-ICP- MS à partir d’extrait organique.

Elicitée Témoin 0 200000 400000 600000 800000 1000000 1200000 1400000 1600000 800 1000 1200 1400 1600 1800 2000 Temps (sec) Intensité, cps

L’ensemble de ces données décrit un métabolisme halogéné actif chez L. digitata, qui est activé au niveau transcriptomique et métabolique au cours des réponses de défense de l’algue. Le délai d’émission des composés volatils suite à l’élicitation et celui nécessaire à l’induction des gènes codant v-BPO3 et v-IPO3 suggèrent que ces enzymes sont impliquées dans la biosynthèse des COHV. v-IPO3 pourrait de plus participer à la synthèse de nouveaux composés iodés intracellulaires et / ou à l’augmentation de leur synthèse.

Par ailleurs, ces résultats suggèrent une transition du métabolisme halogéné basal brome/iode vers un métabolisme plus spécifique de l’iode. L’algue orienterait donc son métabolisme vers la production de composés iodés, au pouvoir anti-oxydant et antibiotique, plus fort que les composés bromés, afin de développer des réponses de défense plus efficaces.

III.B La voie des pentoses phosphates : un rôle central dans la régulation redox