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CHAPITRE 2 CADRE CONCEPTUEL

2.1. LE PROCESSUS D’ÉCRITURE

2.1.4. Les concepts clés autour du processus rédactionnel

2.1.4.5. La mémoire de travail

La mémoire de travail (MDT), souvent appelée également mémoire à court terme, est un concept capital dans toute activité humaine dans le domaine de la psychologie cognitive, plus précisément dans l’approche du traitement de l’information. Avec l’influence prédominante de la psychologie cognitive dans l’étude du processus rédactionnel, le concept est devenu incontournable pour expliquer le fonctionnement de ce processus. Alors que la mémoire à long terme est la source de récupération des informations, la MDT est considérée comme celle qui gère directement les ressources cognitives indispensables à la réalisation de la production écrite. Il convient de définir le concept en explicitant son utilité, de décrire ses différentes composantes et d’expliquer la relation entre le processus d’écriture et l’énergie cognitive en MDT.

a) Le concept de mémoire de travail

Le concept de mémoire de travail peut se définir comme le système mnésique chargé du maintien temporaire et du traitement des informations indispensables à l’accomplissement d’une tâche. Autrement dit, son rôle est de maintenir temporairement des informations de

façon à les rendre accessibles à des fins d’utilisation immédiate pendant la réalisation de la tâche. Le concept repose donc sur le postulat que toute activité humaine met à contribution des ressources cognitives qui sont sollicitées et stockées temporairement dans cette MDT et que cette capacité de stockage est limitée.

Même si le concept de MDT n’apparait pas expressément tel quel dans Hayes et Flower (1980), il n’en est pas pour autant absent. Chanquoy et Alamargot (2002 : 5 ) résument les faits en ces termes :

« La capacité de stockage temporaire du système cognitif a été très tôt considérée comme une contrainte fondamentale dans l’activité rédactionnelle (Cf. Flower et Hayes, 1980 ; van Dijk et Kintsch, 1983 ; Bereiter et Scardamalia, 1987). En effet, même si les auteurs n’utilisaient alors pas forcément le concept de mémoire de travail, ils soulignaient déjà les contraintes liées à un système cognitif à capacité limitée».

L’absence du concept de mémoire de travail dans le modèle de Hayes et Flower (1980) s’explique probablement par le fait que les auteurs visaient beaucoup plus l’identification et la description des processus que l’explication de leur fonctionnement. Depuis lors, les recherches se sont appuyées sur ce même modèle et ont progressé. Aujourd’hui, le concept est devenu incontournable pour expliquer le fonctionnement du processus d’écriture si nous restons dans le paradigme modulaire (fonctionnement en série ou en parallèle). Ce constat est reflété dans les modèles plus récents (Hayes, 1996 ; Kellogg, 1996, McCutchen, 1996).

Des dispositifs expérimentaux permettent de mettre en évidence que la capacité de la MDT est limitée. Ces expérimentations sont souvent appelées méthodologie de la double tâche (cf. entre autres Coen, 2000) ou encore utilisation de tâches secondaires (voir Fayol, 1997) ou même triple tâche (Piolat, Kellogg et Farioli, 2001). Les méthodes utilisées sont diverses. Cependant, on peut dire qu’en général elles consistent à assigner à un sujet une tâche principale (par exemple une tâche d’écriture) et une autre tâche secondaire (par exemple, dire «stop» à une sonnerie qui intervient comme stimuli à des intervalles répétées au cours de la tâche principale). L’interprétation est que plus le temps de réaction à la tâche secondaire est long, plus grande alors est la quantité des ressources cognitives de la MDT consacrées à la tâche principale. Et inversement, si le temps de réaction est court, c’est parce que la tâche principale

mobilise peu d’énergie cognitive en MDT. Dans tous les cas, la variation du temps de réaction à la tâche secondaire est la preuve que le même sujet a des limites quant à l’exécution simultanée de plusieurs tâches cognitives, ce qui sous-entend que la capacité de la MTD est bien limitée.

La recension des travaux dans ce domaine faite dans Fayol (1997 : 49-55) montre qu’en fonction de la méthodologie utilisée les auteurs aboutissent parfois à des résultats différents, voire divergents. Cependant, tous ont le méritent de mettre en évidence que la capacité de traitement de l’information par l’être humain est limitée, que certaines activités sollicitent beaucoup plus de ressources que d’autres. De façon simplifiée, au bas de l’échelle, on pourrait trouver les activités qui s’exécutent avec un certain automatisme et qui nécessitent très peu ou pas de ressources cognitives. On peut admettre à la limite que ces activités relèvent du système non cognitif tel que défini par Schacter cité par Guichart-Gomez (2006).

Les ressources cognitives se définissent comme « l’énergie mentale mobilisable par un individu » (Foulin et Mouchon, 1998 : 20). Elles sont limitées. Il importe de savoir que la MDT « est incapable de les maintenir et de les manipuler en même temps si elles venaient à être trop nombreuses, trop importantes ou trop compliquées. En d’autres termes, la réussite d’une activité dépend de la gestion judicieuse des ressources cognitives à disposition » (Coen, 2000). Pour illustrer la situation, Coen (op. cit.) donne l’exemple de la conduite d’un avion : de nombreux facteurs sont en jeu et si le pilote n’arrive pas à hiérarchiser le traitement de l’information, l’issue est fatale.

b) La mémoire de travail et ses composantes

La MDT et ses composantes ont fait l’objet de nombreuses investigations avec des conceptions et des orientations différentes dans le domaine de la psychologie cognitive et ses champs disciplinaires. Il serait prétentieux de vouloir faire étalage de ces investigations de façon exhaustive ici. Ce qui importe est qu’il existe un consensus sur l’importance du rôle de la MDT dans la cognition et la plupart des auteurs s’accordent à dire que ce système vient contraindre, par ses capacités limitées, les activités cognitives complexes (Monnier et Roulin, 1994).

Le modèle proposé par Baddeley (1986, 1990, 1992, 2000, 2003) est une référence des plus citées sur la MDT. Ce modèle stipule que la MDT comprend trois composantes en interaction en fonction de la tâche : l’administrateur central et deux systèmes qui lui sont subordonnés, la boucle phonologique et le calepin visuo-spatial. Comment fonctionne ce modèle ?

- L’administrateur central, comme son nom l’indique, occupe une place pivot car c’est cette composante qui contrôle le transfert des informations en mémoire à long terme. Il coordonne les opérations des deux autres composantes spécialisées et il a en charge la sélection stratégique des actions les plus efficaces. C’est donc lui qui prend les décisions qui s’imposent quant à la hiérarchisation des ressources cognitives en choisissant celles qui doivent passer en premier plan dans l’exécution d’une tâche, tout en étant responsable du fonctionnement des deux autres composantes qui lui sont subordonnées;

- La boucle phonologique ou articulatoire a en charge le stockage temporaire de l’information verbale. Elle se compose, d’une part, d’un stock phonologique qui reçoit l’information présentée auditivement ou visuellement et qui la retient sous forme de codes phonologiques, et d’autre part, d’un mécanisme de recapitalisation articulatoire pour rafraichir l’information et la réintroduire dans le stock phonologique. La boucle articulatoire dispose d’une capacité mnémonique très restreinte : 2 secondes environ;

- Le calepin visuo-spatial est la composante qui gère les processus liés à l’imagerie mentale. Elle a en charge le maintien temporaire des informations spatiales et visuelles, ainsi que la formation et la manipulation des images mentales. Par exemple, en lien avec la production verbale, la mémorisation d’un mot est facilitée si une image mentale ou une représentation dans l’espace lui est associée. Le calepin visuo-spatial aurait distinctement un constituant visuel et un constituant spatial.

Notons cependant que Kellogg (1996, 1998), en s’intéressant spécifiquement à la rédaction de texte, a repris le modèle de Baddeley (unité centrale, boucle phonologique et calepin visuo- spatial) et y a associé trois instances de processus rédactionnel empruntées à Brown et al. (1988) et dont chacune comprend deux sous-processus comme le montre la figure 4.

Figure 4. Un modèle de la mémoire de travail dans la rédaction selon Kellogg (1998), tel que repris par Coen (2000).

Il y a premièrement l’instance de formulation qui sert à planifier les idées (planning) et à les traduire (translating) en message écrit de façon à les rendre concrètes. Deuxièmement, il y a l’instance d’exécution où deux sous-processus, la programmation (programming) et l’exécution (executing) où le résultat de la traduction est respectivement programmé et utilisé par le système moteur dans l’écriture manuelle ou la dactylographie. Et enfin troisièmement, il y a l’instance de contrôle où se déroulent deux sous-processus, la lecture et la révision.

c) Processus d’écriture et énergie cognitive en MDT

La MDT et son fonctionnement sont pertinents et permettent de mieux comprendre le processus d’écriture. En effet, une tâche d’écriture déclenche une mobilisation de ressources cognitives dont l’utilisation est déterminante dans la production écrite. Pour s’en convaincre, il faut se référer à la double fonction de stockage et de traitement de l’information. McCutchen (1996) cité par Coen (2000) explique : « plus les ressources sont dévolues aux fonctions de traitement, moins elles sont disponibles pour le stockage de l’information […]. Or la compréhension et la composition imposent toutes deux des exigences de stockage et de traitement considérable ». Coen (2000) souligne que les enjeux liés à l’allocation des ressources en MDT constituent une des clés de la réussite du processus d’écriture. On imagine alors qu’une mauvaise gestion des ressources cognitives ou encore une surcharge cognitive peut avoir un effet sur la qualité de la production écrite chez le scripteur.

Pour Kellogg (1996), les résultats de nombre de travaux en la matière suggèrent que certains processus sont plus couteux en énergie cognitive que d’autres : se référant aux processus identifiés dans son modèle, la formulation (planification-traduction) et le contrôle (lecture – révision) seraient de grands consommateurs d’énergie cognitive tandis que l’exécution (programmation – exécution) solliciterait relativement peu de ressources cognitives de par sa nature quasi-automatique. Si l’on transpose par analogie ces conclusions sur le modèle de Hayes et Flower (1980), l’on dira que la planification, ainsi que la révision, sont les processus les plus gourmands en énergie cognitive alors que la textualisation demande moins de ressources cognitives en MDT. Par ailleurs, au sujet des deux fonctions de la MDT (stockage et traitement de l’information), McCutchen (1998) révèle que plus l’habileté en traitement se développe, plus les processus deviennent automatiques et peu couteux en ressources cognitives. Autrement dit, dans des situations comparables, le même processus solliciterait plus d’énergie cognitive chez le novice que chez l’expert. De plus, Coen (2000) dans son expérience comparant un novice et un scripteur plus avancé constate que le second produit des fragments de texte plus longs au fur et à mesure que sa production avance. L’auteur interprète cette observation par le fait que la planification, qui demande plus de ressources cognitives, est beaucoup plus présente en début de production écrite. Kellogg (1996) avait abouti à des résultats semblables chez des adultes en révélant que les activités de la planification diminuaient progressivement au cours de la rédaction. Cependant, il avait tout de même relevé qu’en contrepartie, les proportions des activités de révision augmentaient. Piolat et al.(2004) se sont intéressés à l’effort cognitif fourni lors de la révision. Leurs résultats suggèrent que le type d’erreur (orthographe, syntaxe ou cohérence) n’a pas d’effet sur l’effort cognitif. Par contre, les mêmes résultats révèlent que la lecture pour identifier un problème demande plus d’énergie cognitive que la lecture pour comprendre.

Dans tous les cas, les résultats de plusieurs travaux suggèrent que la qualité d’une production écrite peut être affectée soit par une surcharge cognitive, soit par une mauvaise répartition des ressources cognitives au service des différents sous-processus en jeu dans le processus d’écriture. À des fins pédagogiques, Coen (2000), en s’appuyant sur les résultats de certains travaux (Flower et Hayes, 1980, Kellogg, 1988, 1994, 1998, Hayes et Nash, 1996, etc.)

suggère quelques pistes à exploiter qui peuvent être résumées comme suit : préparer un sommaire avant de commencer le premier brouillon afin de se décharger d’une partie de ses idées et, par là, réduire la charge cognitive; donner plus de temps à la planification et finir celle-ci avant l’exécution; faire varier progressivement les exigences de la tâche en introduisant des consignes; travailler à l’automatisation de certains processus à travers des exercices appropriés.

Même si le présent travail est centré sur l’évaluation de la compétence à écrire et ne se veut pas un travail spécialisé du domaine de la psychologie cognitive, la MDT est un concept clé qui interviendra dans l’analyse et l’interprétation des données.

Bien entendu, le processus d’écriture et ses sous-processus ne sont pas observables en eux- mêmes. On ne peut les étudier qu’à travers les indicateurs qui en sont la face visible. Il est donc évident que nous ne pouvons que nous fonder sur les indicateurs des processus pour mener nos observations dans l’étude du phénomène. Les concepts que nous venons de décrire sont les variables identifiées comme pertinentes pour notre recherche. L’opérationnalisation de ces variables pour notre modèle d’analyse sera décrite plus loin dans la partie méthodologie.