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La mémoire des organisations vivantes

Liste des différents supports de mémoire dont se sert une organisation vivante :

Supports sur lesquels peuvent s'inscrire les résultats des interactions pour devenir structurants

HUMAINS :

-mémoires individuelles : souvenir collectif d'une scène partagée. (Evanescent.)

-habitudes : façon de parler, mimiques, techniques de corps sont autant d’inertie mentales qui gardent en mémoire ce que les individus ont connu dans le groupe par le passé.

-traditions : façons de se placer dans un lieu, heures de tenues des réunions, ponctualité… sont autant d’inerties sociales qui gardent en mémoire ce que chacun a connu dans le groupe par le passé.

-sociogramme : l’état des relations entre les différents membres du groupe est inscrit dans le sociogramme. Il garde en mémoire les relations passées entre tous les membres.

NON HUMAINS :

-la langue : les mots, les expressions

-les textes : orqanigramme, statuts, comptes rendus -les objets produits par le groupe : site internet

-l’environnement, en partie choisi, qui offre un moule de contraintes et de ressources : école, professeur pilote…

Propriétés de la mémoire des groupes :

-elle ne dure que si elle est réactivée : les éléments qui ne servent pas tombent dans l’oubli. -les traces matérielles sont plus fortes, notamment envers les membres extérieurs au groupe. -la mémoire est réinterprétée en situation, ce qui lui confère un certaine souplesse.

Différence entre la mémoire d’une organisation vivante et celle d’un organisme humain

La mémoire d’un groupe peut faire intervenir celle d’autres groupes à travers : -les objets techniques qui encadrent l’interaction

-la mémoire individuelle de chaque membre qui est marquée par son passage dans d’autres groupes (cf. les « traits de personnalité »).

Un autre élément, au-delà de la trace écrite, intervient cependant au cours de la deuxième rencontre : le souvenir partagé par les quatre membres présents à la réunion précédente. C'est une mémoire à court terme qui permet à ce groupuscule au sein du groupe de rappeler la scène de la réunion à quatre. Hervé pourra d'autant plus facilement organiser une nouvelle réunion sans opposition que plusieurs membres ont en mémoire la réunion précédente qui s'était déroulée de la sorte. Et en effet, la réunion à six ira elle aussi sans débat aucun. Le groupe est en période d'examens et le projet Inter Lang a été mis en suspens par la plupart des membres. Hervé a toutefois pris plusieurs contacts qui, lui semble-t-il, annoncent des développements prometteurs si l'on y travaille. Il est ainsi passé dans les bureaux du Crous -qui accueillent et logent les étudiants étrangers en France- et a discuté d'un éventuel partenariat avec un responsable de cette administration. Il a ensuite pris un contact avec la responsable des bureaux de relations internationales de l'ÉCOLE qui lui propose d'organiser des réunions d'information auprès des étudiants Erasmus venant pour le second semestre. Il reste enfin le contact pris il y a plusieurs mois auprès de la start-up Commevous et qui devrait donner lieu à un échange de bannière. Sans avoir rien réalisé concrètement, sans avoir rien terminé, Hervé a relevé plusieurs pistes possibles. Cette activité pour le site en période d'examens lui confère une légitimité auprès du groupe de travail. La réunion se déroule ainsi de manière unilatérale : Hervé décrit ces missions concrètes et les propose à chacun des membres. Laurent s'occupera du bureau de l'École, Alexandre et JC finaliseront le contact avec Commevous, Aurore s'occupera des relations avec les Crous. Les missions sont acceptées sans grand commentaire ; si ce n'est Aurore qui demande des détails et les numéros de téléphone sur les contacts pris au Crous. Cette réunion a ainsi une tonalité toute particulière : il ne s'agit pas de débattre d'objectifs ou de postes généraux, ni de négocier leur contenu. Il s'agit de répartir des missions prédéfinies. Certes, rien ne dit que les missions acceptées sous la pression de la réunion seront réalisées. Mais toujours est-il que les missions ont été acceptées et qu'un compte rendu vient à nouveau durcir ces résolutions.

Si l'on se remémore les différentes réunions et leur déroulement particulier, on peut constater une évolution progressive des comportements au sein du groupe. Alors même que la structure du groupe se durcit peu à peu à l'avantage d'Hervé, celui-ci durcit ses comportements et ses exigences à l'égard des autres membres. Les premières présentations ne pouvaient être exigeantes et tous ont débattu des objectifs possibles. Puis, une fois que l’administration a validé les objectifs proposés par Hervé, celui-ci a soumis au groupe une division du travail qui a été acceptée. Il s'agit maintenant de distribuer des missions

particulières dans le cadre de cette division. Les ordres n'étaient pas possibles lors des premières rencontres car rien ne retenait des individus libre de se retirer du projet si l'ambiance ne leur plaisait pas. Ils sont maintenant possibles puisque tous sont prisonniers de la structure qui s'est peu à peu construite autour du projet.

Cependant tout n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît : en réponse à ce durcissement de la structure du groupe plusieurs membres se sont mis dans une position d'attente. Ils sont comme ankylosés et ne réagissent que sous la pression au lieu que d'agir d'eux même dans le cadre d'Inter Lang. Qui plus est, les relations entre Hervé et les autres membres sont fortement influencées par cette position au sein du projet de travail. En dehors des réunion, il devient difficile de retrouver un ton sympathique de camarade de classe. Les relations sont tout de suite colorées par les rôles tenus au sein du projet. L'organigramme pèse sur le sociogramme.

Et ceci vaut aussi bien pour Hervé que pour les autres membres entre eux : en fonction de leurs missions particulières, comme cela est le cas en fonction de leurs pôles particuliers, les membres développent des affinités particulières (Dodier, 1995). C'est ainsi le cas d'Alexandre qui va travailler et sympathiser avec JC. Au lieu d'affinités de situation qui se développent parce que les individus partagent le même quartier ou les mêmes lieux de sorties, on assiste à des affinités techniques, liées à une activité commune aux personnes. La division du travail va peser sur les amitiés qui se nouent, la structure pèse sur les interactions.

Les deux réunions qui précèdent les vacances de février sont ainsi marquées par la volonté d'Hervé de dynamiser le groupe de travail. Il s'appuie pour cela, comme le font les autres membres dans leurs propres stratégies, sur la mémoire du groupe : c'est en faisant en sorte que l'organisation vivante oublie certains éléments et en mémorise d'autres, qu'il cherche à faire valoir ses vues. La mémoire du groupe est en effet suffisamment souple pour que les membres puissent en jouer dans leurs stratégies. Cette fonction interne de la mémoire est complétée par une fonction externe puisqu'elle sert aussi à fonder l'identité de l'organisation vivante. Mais nous verrons cette deuxième fonction ultérieurement. En effet, il reste maintenant à savoir si les efforts d'Hervé ne sont pas restés vains : l'organisation vivante a-t- elle fait un pas en avant décisif ?