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Mémoire, dispositions biologiques et entraînement

Dans le document Psychologie et cerveau (Page 143-153)

Selon une opinion répandue, les autistes ont une mémoire extraordinaire. Ce n’est malheureusement pas le cas et les enfants déficients mentaux ont en général une moins bonne

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

mémoire, un langage peu élaboré… Toutefois, il est vrai que quelques enfants autistes (5 % des autistes) ont des capacités extraordinaires mais pour une capacité unique.

Tel enfant a par exemple une mémoire « photographique » et est capable de redessiner de mémoire des façades d’édifices avec un réalisme étonnant, n’oubliant aucune fenêtre ou colonne. Tel autre rejoue de mémoire des airs qu’il vient d’entendre (néanmoins sans l’harmonisation).

Théodule Ribot, le père de la psychologie scientifique en France, citait le cas d’un oligophrène (débile profond) qui avait retenu depuis trente-cinq ans les dates de tous les enterrements de sa paroisse, le nom et l’âge de la personne décédée et le nom de toutes les personnes qui avaient parti-cipé à la cérémonie. Mais une très bonne mémoire caracté-rise plutôt les génies. Ainsi, alors que la mort surprit Borodine avant qu’il ait pu écrire la totalité de son opéra Le Prince Igor, Glazounoff put reconstruire de mémoire l’ouverture et les détails importants de l’œuvre que le compositeur avait joués au piano devant lui. De même pensez aux chefs d’orchestre d’exception, comme Tosca-nini ou Karajan qui ont en mémoire les partitions de symphonies ou d’opéras entiers de même, pour des scienti-fiques, des historiens, des maîtres d’échecs ou des cham-pions de bridge…

Attardons-nous sur le cas de Veniamin, célèbre mnémoniste professionnel russe dont le numéro consistait à apprendre chaque soir sur une scène de music-hall des tableaux de chif-fres, des listes sans signification, une liste d’une centaine de mots ! Ce cas est très bien connu grâce au psychologue russe Alexander Luria qui suivit ce sujet extraordinaire durant trente années (1970). Veniamin lui-même n’était pas cons-cient de ses aptitudes particulières et ce n’est que sur les con-seils d’un employeur qu’il vint consulter Luria. Ses aptitudes étaient pourtant exceptionnelles : d’un tableau de cinquante chiffres, en quatre colonnes, il est capable d’énoncer la

tota-lité des chiffres, les chiffres des diagonales, de chaque partie carrée du tableau (quatre lignes de quatre colonnes), les chif-fres des bords du tableau. En présence de l’académicien Orbelin, Veniamin mémorisa un tableau de vingt-cinq lignes de sept lettres de l’alphabet, soit un total de cent soixante-quinze éléments répartis au hasard. Il peut mémoriser puis reproduire trente, cinquante, soixante-dix mots sans erreur, dans l’ordre original, dans l’ordre inverse et peut réciter après quinze ans des listes entières de mots ou d’éléments sans signification.

Lorsqu’on le questionne sur la façon dont il mémorise, Venia-min répond qu’il « voit » le tableau de chiffres ou de lettres.

Ainsi s’explique la facilité avec laquelle il peut rappeler les éléments d’un tableau selon divers points de départ et direc-tions. Cette « photographie » (que Neisser a appelée plus tard « mémoire eidétique ») est à ce point précise que Venia-min peut être victime d’erreurs de « relecture » lorsque le chiffre ou la lettre sont mal écrits. Lorsqu’après quinze ans, Luria lui demande sans préparation de rappeler une liste, Veniamin déclare après quelques instants de réflexion :

« Oui, c’est bien, c’était dans votre ancien appartement, vous étiez assis devant la table et moi dans un fauteuil à bascule.

Vous portiez un complet gris et vous me regardiez comme ça. Voilà ce que vous me disiez… »

À l’inverse, la mémoire sémantique n’était pas son fort. Un autre psychologue russe Vygotski lui avait donné une liste de mots contenant, entre autres, plusieurs noms d’oiseaux.

Quelques années plus tard, un autre psychologue, Leontiev, lui donna une liste contenant plusieurs noms de liquides. Puis on lui demanda de rappeler uniquement les noms d’oiseaux de la première liste et les noms de liquides de la seconde.

Veniamin fut incapable de reconstituer ces deux catégories, contrairement à la plupart des gens qui catégorisent sponta-nément. En référence aux théories contemporaines, on pour-rait dire que chez Veniamin les mémoires « visuelle », imagée et visuospatiale étaient hypertrophiées au détriment de la mémoire sémantique.

Lorsque les capacités sont extraordinaires, sans éducation spéciale, on peut supposer que des zones du cerveau sont plus développées. Le cas connu du syndrome de Williams le montre bien.

De nombreuses légendes mentionnent de mignons petits per-sonnages à la mâchoire avancée au sourire marqué et aux petites oreilles pointues, sous des noms divers comme les elfes et les lutins. Cette description n’est pas si légendaire et le cardiologue néo-zélandais Williams a décrit des enfants ayant cette physionomie mais aussi des déficiences du sys-tème vasculaire, notamment du cœur, et leur vieillissement est prématuré. Dans ce cortège de caractères appelé « syn-drome de Williams », les compétences cognitives générales sont très déficitaires, comme chez les enfants trisomiques (par exemple, le QI moyen est de 60) mais ces personnes sont très souvent douées pour la musique (Lenhoff et al., 1998). L’ano-malie génétique a été identifiée en 1993 et semble provenir du chromosome 7 qui est endommagé dans la bande qui produit l’élastine, d’où les rides et le vieillissement prématuré ainsi que des malformations vasculaires (la « peau » des vaisseaux et des organes). L’étude du cerveau (autopsie après décès ou imagerie médicale) révèle de nombreuses dif-férences mais notamment « des caractéristiques anatomi-ques… [qui] expliqueraient en partie les talents musicaux des personnes ayant un syndrome de Williams : le cortex auditif primaire (… lobe temporal) et la région auditive adjacente, le planum temporale [prononcer « temporalé »]… sont plus volumineux que la normale… De plus, le planum temporale est normalement plus volumineux dans l’hémisphère gauche [sons du langage] que dans le droit, mais, chez certaines personnes ayant un syndrome de Williams, il est anormale-ment grand dans l’hémisphère [droit], comme chez les musi-ciens professionnels » (Lenhoff et al., 1998).

Conclusion

Des talents spéciaux ont donc vraisemblablement une origine biologique. Cependant l’entraînement conduit également à des modifications considérables. Une étude (Pantev et al., 1998), utilisant l’imagerie cérébrale, a comparé des pianistes et des personnes non musiciennes.

La zone auditive correspondant aux sons musicaux, présente une augmentation allant jusqu’à 25 %. De plus, cette augmentation dépend du nombre d’années de pratique alors qu’au contraire, la zone des sons purs, n’est pas chan-gée. Ces résultats montrent que l’entraînement joue égale-ment un rôle primordial dans les « dons » de mémoire. Le génie pourrait provenir de l’addition d’une disposition biologique et de l’entraînement.

3

La perception

Sommaire

*43 « Ça vous gratouille ou ça vous chatouille ? » Densité des points sensitifs

en fonction des régions du corps . . . 138

*44 Pourquoi des milliardaires peuvent-ils perdre un million au jeu ?

Stimulations physiques et sensations psychologiques. . 142

*45 Pourquoi les aliments n’ont-ils plus de goût lorsqu’on est enrhumé ?

Goût et sensations gastronomiques . . . 145

*46 Pourquoi mon chien a-t-il un meilleur odorat que moi ? Odorat et chimiorécepteurs . . . 149

*47 Le parfum qui rend amoureux existe-t-il ?

Phéromones sexuelles et attraction . . . 152

*48 Pourquoi certains sons vous paraissent-ils harmonieux et d’autres totalement discordants ?

Ondes sonores et audition . . . 154

*49 Pourquoi la musique donne-t-elle envie de danser ?

Oreille interne et mouvements ondulatoires . . . 157

*50 Pourquoi est-ce dangereux d’écouter la musique à plein tube ?

Les effets physiologiques du bruit . . . 160

*51 Pourquoi avons-nous le tournis ?

Oreille interne et équilibre . . . 162

*52 La lumière, qu’est-ce c’est ?

Spectre lumineux et vision . . . 164

*53 Savez-vous que vous devriez voir à l’envers ?

Globe oculaire et formation de l’image rétinienne . . . 166

*54 Pourquoi voit-on la vie en rose ?

La vision des couleurs . . . 168

*55 Les yeux : deux appareils photos de 130 millions de pixels !

Fovéa et acuité visuelle . . . 170

*56 Pourquoi votre enfant a-t-il tant de mal à trouver les œufs de Pâques ?

Exploration visuelle et construction des formes . . . 173

*57 Pourquoi la lecture ne peut-elle être globale ?

Saccades oculaires et lecture . . . 176

*58 Où est passée… la 25e image ?

Perception subliminale et influence . . . 178

*59 Pourquoi les objets éloignés vous paraissent plus petits ? Loi optique de la perspective… . . . 182

*60 Un ticket pour l’espace ?

La perception en 3D . . . 185

*61 Télépathie, télékinésie…

Avez-vous des pouvoirs paranormaux ?

Psychologie scientifique et parapsychologie . . . 188

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

On dit communément qu’il y a cinq sens, ou on parle, ce qui revient au même, d’un soi-disant sixième sens. Mais cette évaluation est largement loin du compte car notre corps est bardé de dispositifs de détection, récepteurs de la pression sanguine, récepteurs du taux de sucre, récepteurs des muscles et tendons, etc. : pour exemple, le sinus caroti-dien est un endroit de la carotide rempli de récepteurs de pression sanguine ; il est connu depuis des millénaires dans les arts martiaux (Karaté) comme un point vital car un coup porté à cet endroit provoque une syncope (le cerveau l’interprète comme un excès de pression sanguine). Et si nous avons faim à l’approche de midi, c’est que des récep-teurs du glucose dans des centres du cerveau, détectent une baisse du taux de glucose dans le sang. Enfin, nous tenons debout parce que des millions de capteurs de pression, dans les muscles et les tendons, informent certains centres du cerveau qui en retour commandent la contraction muscu-laire suffisante pour ne pas tomber.

Il existe donc une grande variété de récepteurs. Néan-moins, la plupart semblent jouer leur rôle dans des systè-mes automatiques et ne suscitent pas de sensations descriptibles, sauf à des niveaux très intenses de stimula-tion ce qui peut être vu sur le plan foncstimula-tionnel comme une alerte, étirement des tendons, douleur dans le ventre, etc.

D’autres modalités de réception de l’information détermi-nent des sensations descriptibles et pour cette raison entrent dans le domaine de la psychologie, ce sont les cinq

sens traditionnels, toucher, goût, odorat, audition et vision.

Elles-mêmes ne sont pas des modalités uniques (l’équilibre est différent mais voisin des centres l’audition) mais des catégories de plusieurs modalités sensorielles qui corres-pondent à une unité anatomique, la peau, la bouche, le nez, l’oreille et l’œil.

43 « Ça vous gratouille

Dans le document Psychologie et cerveau (Page 143-153)