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Du fait de ses propriétés contractiles, le muscle intervient dans de nombreuses fonctions physiologiques. Ces propriétés vont être dépendantes à la fois de régulations physiologiques mais aussi de l’équilibre métabolique. Néanmoins, ces mêmes régulations et équilibre peuvent être altérés et conduire à des dysfonctions. Des altérations musculaires observées dans certaines pathologies vont conduire à une altération de l’efficacité contractile en agissant sur le couplage excitation-contraction. Elles peuvent être en relation, sur le plan métabolique, avec un déséquilibre de la balance anabolisme/catabolisme et cela en faveur du catabolisme. Cela va se traduire de façon générale par une faiblesse musculaire. Cela est observé dans un certain nombre de pathologies telles que la cachexie cancéreuse, le SIDA, la broncho pneumopathie chronique obstructive (BPCO), la sclérose en plaques, l’insuffisance cardiaque chronique, le sepsis… [26,34,35]. Dans le cadre du présent travail, uniquement deux de ces pathologies seront approfondies, à savoir : la perte de masse et de fonction musculaires dues au sepsis ou à la cachexie cancéreuse. Ces deux pathologies distinctes impliquent une faiblesse musculaire. En effet, une modification de la masse musculaire est observée en liaison avec un catabolisme exacerbé, des modifications de la contraction allant dans le sens d’une diminution de la force de contraction et d’une altération de l’excitabilité membranaire. L’ensemble de ces phénomènes participe à la faiblesse musculaire.

Ces modifications musculaires peuvent se faire suite à une action directe, comme dans

le cas de la reconnaissance des parois bactériennes par le muscle via les TLR4 (toll like

receptor 4), une diminution de l’activité physique pour cause d’alitement, une diminution des apports alimentaires… Un certain nombre de médiateurs sont également capables de moduler directement le capital musculaire et les capacités contractiles. Parmi les médiateurs communs

40 à ces deux pathologies les cytokines sont les acteurs majeurs de la réponse inflammatoire. Ces cytokines, qui sont retrouvées dans la circulation sanguine lors du sepsis, sont produites par les cellules immunitaires mais également par les fibres musculaires à la suite d’une stimulation bactérienne. Elles sont aussi retrouvées lors de la cachexie cancéreuse où elles peuvent être produites directement par les cellules cancéreuses. D’autres médiateurs tel que

les glucocorticoïdes, les TGF-β (transforming growth factor β) qui sont connus pour voir une

implication forte dans l’atrophie musculaire sont aussi libérés dans le cas de ces pathologies.

1. Le TNF-α

Le TNF-α (tumor necrosis factor α) est une glycoprotéine de 185 acides aminés qui fait

partie de la famille des cytokines, et plus précisément des cytokines pro-inflammatoires. Il va être sécrété par les cellules immunitaires après stimulation par de l’endotoxine [36]. Le TNF-α circulant, vient principalement des monocytes et des macrophages [37]. Au niveau tissulaire il y a également des productions locales comme c’est le cas pour le cœur qui est considéré comme son producteur majeur de TNF-α [38].

Cette cytokine va agir au niveau tissulaire via la fixation à son récepteur qui est exprimé de manière ubiquitaire. Il y a deux types de récepteurs membranaires : TNFR1 et TNFR2, et un récepteur soluble qui va être libéré dans la circulation et servir de leurre afin de réduire l’action du TNF-α (TNFsR). L’activation du récepteur TNFR1 entraîne l’activation de voies de signalisation qui vont conduire à une perte de masse musculaire, alors que TNFR2 a plutôt

un effet protecteur (Figure 19). Lorsque TNFR1 est activé, il y a activation de TRADD (tumor

necrosis factor receptor type 1-associated DEATH domain) qui à son tour active d’une part,

par l’intermédiaire de FADD (fas-associated protein with death domain), la caspase 8 qui est

impliquée dans l’apoptose, mais également la RIP-1 (receptor-interacting protein 1) qui est

impliquée dans l’activation d’IKK (IκB kinase). Cette dernière est la kinase responsable de la

phosphorylation d’IκBα (inhibiteur de kappa B α) qui est l’inhibiteur endogène de NFκB (nuclear factor-kappa B). NFκB est alors libéré et peut migrer dans le noyau pour activer la transcription de gènes impliqués dans l’inflammation et la protéolyse [39,40]. Il y a également l’activation d’un autre membre de la famille des TRAF par le TNF-α, comme TRAF6 qui est une E3 ligase et qui est impliquée dans l’activation de la protéolyse par le système UPS et l’autophagie [41]. L’expression de TRFA6 est augmentée dans le muscle après dénervation ou

inoculation de cellules cancéreuses LLC (Lewis lung carcinoma) chez la souris. Son

41 NFκB conduit également à l’inhibition de MyoD qui est un facteur de transcription clé, impliqué dans la différenciation des cellules musculaires striées [43].

Figure 19 : Voies de signalisation du TNF-α. [40]

Le TNF-α entrainerait aussi l’activation de la production de DAG (diacylglycerol) et AA (acide arachidonique), respectivement par les phospholipases C et la phospholipase A2. DAG et AA sont des seconds messagers activateurs des PKC [44], et ces PKC sont capables de participer à l’activation et à la translocation de NFκB [45].

2. L’IL-1

La super famille des interleukines (IL)-1 comprend 11 membres, parmi lesquelles l’IL-1α et l’IL-1β qui sont les plus documentées et qui possèdent des effets pro-inflammatoires importants. Elles sont tous les deux codées par des gènes différents, mais vont se fixer sur le même récepteur (IL-1R1), et vont avoir des effets biologiques similaires [46]. Une des différences entre ces deux isoformes vient du fait que l’IL-1α va être présente de manière constitutive dans les cellules épithéliales (le foie, l’intestin, le rein…) et va être libérée suite à de stress cellulaires. A l’inverse, l’IL-1β va être produite par les cellules immunitaires en réponse à l’activation des TLR, par des cytokines comme le TNF-α et l’IL-1 elle-même [47]. Les cellules musculaires sont également capable de produire de l’IL-1β [48].

42 Au niveau musculaire, l’IL-1 va être impliquée dans la perte de masse associée à une diminution de la protéosynthèse. En effet, la perfusion par voie intraveineuse d’IL-1α durant 6 jours va induire une diminution de la masse du gastrocnémien associée à une diminution de la quantité de protéines par mg de tissu [49]. Les auteurs montrent également une diminution du taux de synthèse protéique dans le gastrocnémien, mais également dans le soléaire. L’IL-1 induit aussi, sur un modèle utilisant les myotubes C2C12, une diminution de l’actine. Cela est associé à une augmentation de la transcription de MAFbx et MuRF1, de l’activation de p38 et de NFκB.

3. L’IL-6

L’Il-6 est une cytokine qui est caractérisée par des effets pro- et anti-inflammatoires. Elle est sécrétée par divers types cellulaires, comme les lymphocytes T, les macrophages et les cellules musculaires squelettiques [50]. Elle va être libérée dans la circulation sanguine et agir au niveau tissulaire via la fixation à son récepteur, qui est formé de l’IL-6Rα (ou gp80) qui va reconnaitre l’IL-6, entraînant le recrutement et l’homo-dimérisation avec gp130. Cela va permettre la transduction du signal via les activités tyrosine kinases de son domaine

intracellulaire et activer les facteurs de transcription JAK/STAT (janus kinase / signal

transducers and activators of transcription) [51].

Sur des études in vitro, l’IL-6 n’a pas montré d’effet sur la protéosynthèse, mesuré par

l’incorporation de phénylalanine C14

dans le soléaire et l’EDL [52]. De plus, les auteurs montrent une augmentation du catabolisme dans ces mêmes muscles incubés avec du plasma de rats septiques alors que l’incubation avec l’IL-6 seul n’a pas d’effet. Goodman et al. ont observé le même effet sur la protéolyse au niveau de muscle incubé in vitro avec l’IL-6 [53]. Néanmoins, ces derniers montrent que, lorsqu’ils injectent de l’IL-6 (en IP) à l’animal il y a une augmentation de la libération de tyrosine et de la 3 méthyl-histidine, ce qui reflète une augmentation du catabolisme musculaire. Des études sur des souris C57BL/6J sur-exprimant l’IL-6 montrent que, de manière chronique (12 semaines), l’IL-6 induit une diminution de la masse musculaire, associée à une augmentation de l’expression des ARNm et de l’activité des cathepsines B et L [54]. Les auteurs ont confirmé dans une autre étude que ce mécanisme est dépendant de la fixation de l’IL-6 sur son récepteur, avec pour conséquence l’inhibition de l’atrophie musculaire et l’augmentation de l’expression et de l’activité des cathepsines B et L avec un retour aux valeurs contrôles [55]. Dans un modèle de cachexie cancéreuse (souris ApcMin/+ qui est un modèle de cancer colorectal spontané) entraînant une perte de masse du

43 gastrocnémien, l’inhibition de l’IL-6 a permis de ramener la masse du muscle à des valeurs contrôles, et cela associé à une diminution de l’activation par phosphorylation de STAT3 [56]. Même si l’implication de l’IL-6 dans l’atrophie musculaire apparait évidente, les mécanismes d’action mis en jeu ne sont pas encore élucidés [57]. Dans une étude de 2013, les auteurs montrent que l’IL-6 induit une perte de masse du gastrocnémien, associée à l’inhibition des voies de la protéosynthèse, à la diminution de la phosphorylation de mTOR, 4E-BP1 et S6K1 et à une activation de STAT3, et cela de manière dose dépendante [58].

4. La myostatine

La myostatine, connue aussi sous le nom de GDF-8, est une protéine de 376 acides aminés qui appartient à la super famille des TGF-β identifiée en 1997 pour ses effets sur la masse musculaire [59]. En effet, les auteurs montrent que l’inhibition de la myostatine grâce à un modèle de KO conduit à une augmentation de la masse musculaire. Par ailleurs, ils montrent que l’expression de la myostatine est quasi exclusivement musculaire, avec des variations de taux d’expression en fonction du muscle.

La myostatine se fixe avec une forte affinité à son récepteur ActRIIB, qui est sous forme de dimère, ce qui entraîne la phosphorylation et l’activation du récepteur 1 TGFβR1 (de type

ALK4 et ALK5 pour Activin-like kinase 4 et 5) présent également sous forme de dimère

(Figure 20) [60]. Du fait de l’activité kinase des récepteurs ALK4 et ALK5, SMAD2 et SMAD3 vont être phosphorylés et activés, ce qui entraîne leur dimérisation, leur association à SMAD4 et leur translocation au noyau afin d’agir en tant que facteur de transcription [60–62]. Ce complexe peut être néanmoins inhibé par SMAD7, ce qui se traduit par un effet bénéfique sur la masse musculaire [63]. Le complexe SMAD2/3/4 est capable de moduler la transcription de gènes, néanmoins à ce jour aucun mécanisme prouvant une action directe de ce complexe sur l’atrophie n’a été mis en évidence. En revanche, il est capable de diminuer

l’expression des facteurs MyoD, Myf-5 (myogenic factor 5) ou encore de la myogénine qui

sont impliqués dans l’activation des cellules satellites, leur prolifération en myoblastes et leur différenciation en myotubes [64]. En plus de cette action directe de la myostatine, dite canonique, il y a également des voies d’action non canoniques qui vont contribuer à la perte de masse musculaire. En effet, il y a d’une part une activation des MAPK, avec p39 et

ERK1/2 (Extracellular signal-regulated kinases 1/2) qui sont impliqués dans l’inhibition de la

44 l’inhibition de la protéosynthèse et, en même temps, une levée de l’inhibition de FOXO qui va activer la transcription des atrogènes comme MAFbx et MuRF1 [65].

Figure 20 : Voies de signalisation de la myostatine dans le muscle strié squelettique. [65]

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II. Le sepsis

A. Physiopathologie

La polyneuromyopathie acquise en réanimation (PNMAR) est une pathologie observée majoritairement en unité de soins intensifs. Initialement décrite en 1892 comme une rapide perte de masse musculaire chez les patients présentant un sepsis prolongé [66], elle a été caractérisée par Bolton en 1986, qui la différencie du syndrome de Guillain-Barré, et met en évidence une faiblesse musculaire des membres ainsi qu’une difficulté de sevrage ventilatoire [67]. La PNMAR se manifeste par une faiblesse musculaire, due à une atteinte musculaire et/ou nerveuse, en relation avec des modifications de l’excitabilité membranaire, un déséquilibre entre anabolisme et catabolisme et une atteinte métabolique [68]. L’incidence de la PNMAR est variable. Elle peut aller de 20 à 50% selon les études, et peut augmenter en fonction de la gravité de l’état des patients à leur arrivée en soins intensifs [68]. Parmi les facteurs de risques conduisant à la PNMAR on va retrouver principalement le sepsis et la réaction inflammatoire associée, la ventilation mécanique et l’immobilisation, ainsi que la malnutrition, les stéroïdes et les agents neuromusculaires bloquants (même si ces derniers ne sont quasiment plus utilisés) [50].

Le sepsis est caractérisé par la présence d’un syndrome de réponse inflammatoire

systémique (SIRS pour Systemic Inflammatory Response Syndrome) associé à une

infection [69]. Le SIRS est caractérisé par une anomalie d’au moins 2 des 4 critères suivent : la température, le rythme cardiaque et respiratoire et la numération sanguine [70] (Figure 21). Le sepsis peut également évoluer en sepsis sévère s’il y a dysfonction d’organe en plus, voire en choc septique avec dans ce cas un risque vital important[71].

46 Figure 21 : Schéma des différents grades et des définitions du sepsis.

[71]

Les modèles d’étude de cette pathologie peuvent être présentés en 3 grands groupes : la ventilation mécanique prolongée, l’immobilisation musculaire et le sepsis. Dans nos études nous avons choisi d’utiliser le sepsis.

L’induction du sepsis va être principalement réalisée par ligature et perforation caecale

(CLP pour Cecal Ligation and Puncture), ou bien par injection de LPS (lipopolysaccharide)

ou Zymozan®. Les modèles CLP et LPS sont couramment utilisés. Le LPS a l’avantage de pouvoir être reproductible du fait de son injection dosée et contrôlée, soit en IP (intra péritonéal), soit en IV (intraveineux), alors que le CLP nécessite une chirurgie et peut présenter une certaine variabilité de réponses inter individuelles. Néanmoins, le LPS engendre surtout une réaction inflammatoire plus précoce et plus importante, avec des taux de cytokines, comme le TNF-α et l’IL-6, supérieurs à ce qui est observé avec la CLP, ce qui peut présenter un biais et majorer la réaction inflammatoire du sepsis [72]. Nous avons utilisé le modèle de sepsis induit par CLP car il permet d’obtenir un sepsis chronique avec un départ péritonéal, ce qui est un modèle plus proche de ce qui est observé en clinique. Cependant, en unité de soins intensifs, le sepsis peut aussi avoir une origine pulmonaire, en particulier lié à la ventilation mécanique, mais cette initiation du sepsis est plus délicate à reproduire chez l’animal.

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