II. Transmission des forces mécaniques et mécanosensibilité
3) Mécanosensibilité des complexes d’adhérence
Les complexes d’adhérence sont des structures permettant le contact et
l’attachement de la cellule avec sa MEC, et constituent l’interface physique entre des
forces provenant du microenvironnement et des forces générées par le cytosquelette.
Les intégrines sont associées au cytosquelette d’actine par l’intermédiaire d’un
réseau de plusieurs protéines incluant la vinculine et la taline, et constituent ensemble
« l’adhésome » (Kuo et al., 2011a; Prager-Khoutorsky et al., 2011; Schiller et al., 2011;
Zaidel-Bar et al., 2007). Cet ensemble est responsable principalement de deux fonctions
au niveau des sites d’adhérence : i) il joue le rôle d’une plateforme d’échafaudage qui
renforce le complexe d’adhérence pour supporter la transmission des stimuli mécaniques
provenant de la MEC et ii) joue un rôle dans la perception de ces stimuli par le
recrutement de protéines mécanosensibles (Oakes et al., 2012; Schiller et al., 2013a).
Grâce à ce couplage, on peut considérer l’ensemble des protéines mécanosensibles liées
aux protéines d’ancrage de la MEC comme étant un senseur à l’équilibre entre deux
forces opposées (figure 5).
Figure 5 : Les protéines mécanosensibles jouent le rôle de senseur de l’environnement mécanique. A. Une cellule expérimente différents types de contraintes mécaniques.
B. La cellule perçoit les forces de tension exogènes grâce aux protéines mécanosensibles présentes au niveau des complexes d’adhérence. C. La cellule utilise ces protéines pour apprécier la rigidité de la MEC. D’après Chen, 2008.
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L’émergence des techniques de microscopie à super-résolution et de transfert
d’énergie par résonnance de type Förster (FRET acronyme de Förster resonance energy
transfer) a permis de mettre en exergue la hiérarchisation des protéines des adhérences
(Kanchanawong et al., 2010). La taline et la vinculine sont, par exemple, deux protéines
clefs des processus permettant à la cellule de percevoir son environnement mécanique.
La taline, découverte en 1983 (Burridge and Connell, 1983; O’Halloran and
Burridge, 1986), est une protéine localisée au niveau des adhérences. Sa partie
globulaire en N-terminale possède des domaines 4.1/Ezrin/Radixin/Moesin (FERM)
qui lient le domaine cytosolique des intégrines. En C-terminal, des structures en
bâtonnet peuvent contenir jusqu’à 11 domaines de liaison à la vinculine (Critchley,
2000; Izard and Vonrhein, 2004). Certains de ces domaines de liaison à la vinculine
sont inaccessibles lorsque la protéine est dans un état natif (Papagrigoriou et al., 2004;
Patel et al., 2006). En combinant des approches de super-résolution, d’AFM et de
pinces magnétiques, le groupe de Michael Sheetz a montré in vitro que l’application
d’une force de tension de 12 pN induit un changement conformationnel de la taline,
libérant ainsi des sites de liaison à la vinculine (del Rio et al., 2009). Ces travaux ont
été corroborés plus récemment dans la cellule, à l’aide de la technique de FRET (Ringer
et al., 2017). Une fois dépliée, la taline va donc permettre le recrutement de la vinculine
qui va elle-même, à son tour, opérer des changements de conformation en fonction de
l’environnement mécanique.
Figure 6 : Caractérisation de la vinculine. La protéine est composée de 5 domaines répartis entre la tête (domaine D1 à 3), le cou (domaine D4), et la queue (domaine D5). D’après Bays and DeMali, 2017.
La vinculine, également découverte au début des années 80 (Burridge and
Feramisco, 1982; Geiger, 1979; Geiger et al., 1980; Price et al., 1989), est une protéine
de 117 kDa, qui reste à ce jour la protéine des adhérences la mieux caractérisée (Case
et al., 2015; Kanchanawong et al., 2010). Elle est formée de 5 domaines répartis en 3
groupes (figure 6). La « tête », qui comprend les 3 premiers domaines, est capable de
lier la taline, et permet également de lier la « queue » de la protéine par le domaine 5
assurant ainsi son auto-inhibition (Cohen et al., 2005). C’est également par ce domaine
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que la vinculine lie, entre autres, les filaments d’actine. Enfin les domaines 3 et 5 sont
reliés par « le cou » composé du domaine 4, qui agit comme un bras de levier pour
amplifier le mouvement généré par la tête (Izard and Vonrhein, 2004; Johnson and
Craig, 1994). Bien que le recrutement de la vinculine au niveau des complexes
d’adhérence ne semble pas être uniquement lié aux forces de traction générées par la
cellule (Gilmore and Burridge, 1996), son changement de conformation est directement
lié à la présence du cytosquelette d’actine qui permet de générer des tensions de l’ordre
de 2,5 pN pour la stabiliser en conformation active (Auernheimer et al., 2015; Chen et
al., 2006; Grashoff et al., 2010).
Figure 7 : Exemple des états d'activations de l'intégrine αLβ2. Les forces de friction et le renforcement du cytosquelette d’actine vont conduire à la succession de changements de conformation de l’intégrine, passant d’une affinité faible pour son ligand, ICAM-1, à une haute affinité. Selon la nature de son activation, des sites enfouis peuvent être accessibles. Ces épitopes (étoiles jaunes) sont ainsi utilisés pour évaluer, à l’aide d’anticorps, leurs états d’activation. D’après Hogg et al., 2011