L’enveloppe nucléaire, au sens strict, est constituée de deux membranes
nucléaires interne (MNI) et externe (MNE) et délimite, dans les cellules eucaryotes, le
compartiment dans lequel la chromatine est séquestrée et régule le mouvement
nucléo-cytoplasmique des protéines. Continuellement présente au cours de l’interphase, elle va
se dissocier uniquement de façon transitoire lors de la mitose. Au sens plus large, on y
inclut les complexes protéiques qui y sont associés tels que les complexes LINC, les
lamines et protéines associées, et les pores nucléaires (figure 18).
Figure 18 : La composition de l’enveloppe nucléaire. On retrouve les deux membranes interne et externe qui fusionnent au niveau des complexes de pores nucléaires (NPC), les complexes LINC composés des Nesprines et des protéines SUN qui relient le cytosquelette (microtubules, filaments intermédiaires, et actine-F) au nucléosquelette (lamine A/C). D’après Kirby and Lammerding, 2018.
En plus de son rôle de barrière physique, l’enveloppe nucléaire permet de réguler
de nombreuses fonctions cellulaires telles que la réponse aux dommages de l’ADN,
l’expression de gènes et la progression du cycle cellulaire comme nous allons le voir
dans les prochaines parties.
1. La lamina
Initialement caractérisées en 1956 par George Pappas comme des composants
fibreux du noyau (Pappas, 1956), Robert Aaronson et Günter Blobel ont décrit en 1975
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les lamines comme les structures majeures de l’enveloppe nucléaire (Aaronson and
Blobel, 1975). La lamina est un réseau maillé de filaments intermédiaires de type 4
composé des lamines de type A et B et sont classifiées sur la base de critères structuraux
et biochimiques (Burke and Gerace, 1986; Gerace and Blobel, 1980). Ainsi les lamines
de type A sont caractérisées par un point isoélectrique neutre et regroupent les
isoformes A, C, A
Δ10 et C2 codées par le gène LMNA (Lin and Worman, 1993; Wydneret al., 1996). Les lamines de types B sont, quant à elles, des protéines plus acides et
regroupent les lamines B1 et les isoformes B2 et B3 codées respectivement par les gènes
LMNB1 et LMNB2 (Biamonti et al., 1992; Lin and Worman, 1995; Peter et al., 1989).
La lamine A/C est la forme prédominante des types A et devient complètement soluble
lors de la mitose (Gerace and Blobel, 1980), à la différence des lamines B1 et B2 qui
restent associées aux membranes nucléaires (Meier and Georgatos, 1994).
Figure 19: (haut) Illustration schématique de l’assemblage des lamines. La dimérisation se fait par les domaines en superhélices. L’assemblage “tête à queue” est caractéristique des polymères. Enfin les filaments de lamines se font par l’assemblage antiparallèle des protofilaments. (bas) Illustration des différentes étapes, réalisée par microscopie électronique (Échelle : 100 nm). On peut voir en A. l’assemblage en collier de perle formé par les domaines Ig. D’après Ihalainen et al., 2015 et Herrmann and Aebi, 2004.
Les monomères de lamine sont composés d’une région centrale de 50 nm de long
avec 4 domaines de superhélices, flanqués en N- et C-terminal d’une tête et d’une queue
avec un domaine globulaire. La tête globulaire est courte comparée à la queue qui
contient notamment un repliement de type immunoglobuline (domaine Ig) d’un
diamètre de 3,5 nm (Dhe-Paganon et al., 2002; Turgay et al., 2017). Au niveau de ce
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dernier domaine, en C-terminal, un motif de signal de localisation nucléaire (NLS pour
Nuclear Localization Signal) est retrouvé ainsi qu’un motif CAAX (C : cystéine ; A :
acide aminé aliphatique ; X : autre acide aminé) uniquement présent dans la lamine A
et les lamines de type B. Les lamines sont les seuls filaments intermédiaires à posséder
ces motifs CAAX dont la prénylation permet leur fixation au niveau de la membrane
et l’initiation de modifications post-traductionnelles indispensables à leur maturation
(Krohne et al., 1989; Vorburger et al., 1989). Lors de l’assemblage des lamines, les
monomères s’assemblent au niveau de leur région en superhélice pour former des
dimères avec deux domaines Ig en C-terminal. Les dimères s’assemblent par la suite en
« tête à queue » pour former des polymères dans lesquels les domaines Ig se retrouvent
espacés d’environ 40 nm et qui donnent cette apparence caractéristique d’assemblage
de perles (Ben-Harush et al., 2009). Enfin, la polymérisation des protofilaments de
lamines se fait par l’assemblage antiparallèle des polymères de sorte que chaque
tétramère ait un chevauchement des domaines N- et C- terminaux (Steinert, 1991a,
1991b) (figure 19).
Figure 20 : Rapport stœchiométrique de l’expression de lamine A et lamine B, analysé par spectrométrie de masse, dans différents tissus, des cellules primaires et des lignées cellulaires. Plus le microenvironnement présente une rigidité importante, plus le rapport lamine A sur lamine B est important. E : exemples d’expression de la lamine A/C et de la lamine B1/2 dans le cerveau, le tissu adipeux, le cœur et le fémur. D’après Swift et al., 2013.
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Les lamines B sont exprimées de façon ubiquitaire dès l’embryon chez les
mammifères, sauf pour la lamine B3 qui est majoritairement exprimée dans les lignées
germinales, tout comme la lamine C2 (Furukawa and Hotta, 1993; Furukawa et al.,
1994). L’expression de la lamine A/C se fait à différents stades du développement de
façon tissu-spécifique (Röber et al., 1989; Stewart and Burke, 1987) et certains types
cellulaires, comme la lignée hématopoïétique, n’en expriment pas (Guilly et al., 1990;
Röber et al., 1990). De plus, des travaux récents du groupe de Denis Discher, ont
montré qu’il existe une étroite corrélation entre l’élasticité du microenvironnement et
l’expression de la lamine A/C (Swift et al., 2013). Ainsi, le rapport stœchiométrique de
lamine A/C par rapport à la lamine B sera plus grand pour des cellules exposées à un
environnement plus rigide, comme le cartilage ou les os (rapport d’environ 7), que dans
le muscle ou dans le cœur (rapport d’environ 2,5) (figure 20).
La différence d’expression des lamines a un impact direct sur les propriétés
mécaniques du noyau. En voulant analyser les conséquences de la perte de fonction de
la lamine A/C, le groupe de Ramaekers et de Lammerding ont montré que les noyaux
de fibroblastes d’embryon de souris LMNA
-/-sont moins rigides que les contrôles
(Broers et al., 2004; Lammerding et al., 2004). Ces résultats ont été confirmés plus
tard avec les travaux du groupe de Lee qui a montré que la lamine A est responsable
de la rigidité du noyau alors que la lamine B joue quant à elle un rôle dans son intégrité
(Lammerding et al., 2006). L’expression ubiquitaire de la lamine B et son rôle dans
l’intégrité nucléaire pourrait notamment expliquer son rôle essentiel dans le
développement (Harborth et al., 2001). En revanche, l’expression de la lamine A/C
dans les tissus soumis à de fortes contraintes mécaniques pourrait expliquer leur rôle
dans la protection du noyau à la déformation (Swift et al., 2013). Cette hypothèse est
appuyée notamment par l’existence de maladies regroupée sous le terme de
laminopathies (table 1), causées par des pertes de fonctions de la lamine A/C ou des
protéines associées aux lamines comme l’émerine ou la Lamina-associated polypeptides
2 (LAP2) qui seront décrits dans le chapitre suivant. (Butin-Israeli et al., 2012;
Davidson and Lammerding, 2014a; Worman, 2012). Il existe, à ce jour, plus de 464
mutations sur la lamine A/C associées à ces maladies (http://www.umd.be/LMNA).
Pourtant, bien que ce type de lamine soit exprimé de manière quasi-ubiquitaire, ces
maladies n’affectent qu’une partie des tissus, soumis, pour la plupart à d’importantes
contraintes mécaniques (Davidson and Lammerding, 2014). C’est le cas notamment des
dystrophies musculaires (Bonne et al., 1999) et des cardiomyopathies (Fatkin et al.,
1999). Cependant, il existe des exceptions comme le syndrome de Charcot-Marie-Tooth
(De Sandre-Giovannoli et al., 2002), qui affecte uniquement le système nerveux
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autonome et pourrait être expliqué également par le fait que ces mêmes mutations
peuvent également perturber l’organisation de la chromatine et la programmation
épigénétique (Mewborn et al., 2010; Perovanovic et al., 2016).
Tableau 1: Laminopathies et gènes associés. Abréviation : AD : dominant autosomique. a-WS : syndrome de Werner atypique, EDMD : dystrophie musculaire de Dreifuss, LGMD : dystrophie musculaire des ceintures, MDLC : dystrophie musculaire congénitale, DCM : cardiomyopathie dilatée, HGPS : syndrome de progeria Hutchinson–Gilford, MAD : dysplasie mandibulo-acrale, AR : autosomique-récessif, CMT : Charcot-Marie-Tooth. D’après Lattanzi et al., 2016