III. La réponse cellulaire aux forces
1) Les fibres de stress
Bien qu’initialement découvertes en culture (Cooke, 1976; Depue and Rice, 1965;
Hanson and Lowy, 1963; Huxley, 1963), les travaux de Ira Herman, Thomas Pollard et
de Keigi Fujiwara ont mis en évidence au début des années 80, in situ et in vivo la
présence de filaments d’acto-myosine dans les cellules endothéliales vasculaires exposées
à de fortes contraintes hémodynamiques et qui s’alignent parallèlement le long de la
direction du flux sanguin (White et al., 1983; Wong et al., 1983). Dans le même temps,
Mina Bissel exposait sa théorie de la réciprocité dynamique dans laquelle elle suggérait
que le remodelage du cytosquelette serait dépendant des composants de la MEC et
vice-versa (Bissell et al., 1982).
Quatre sortes de fibres de filaments d’actine ont été décrites à ce jour, qui
diffèrent selon leurs compositions, les voies de signalisation qui les contrôlent et leurs
fonctions (figure 8) :
1) Les fibres dorsales sont particulièrement retrouvées dans les cellules en
mouvement et pendant l’étalement. Elles sont enrichies en α-actinine, une
protéine décrite pour ponter les filaments d’actine-F parallèles entre-eux. Elle
sont également pauvres en myosine II, et prennent naissance au niveau des
adhérences focales pour polymériser vers le centre de la cellule (Hotulainen
and Lappalainen, 2006; Oakes et al., 2012).
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2) Les fibres transverses ou « fibres de stress en arc » prennent naissance à la
jonction lamellipode/lamellum. Elles sont caractérisées par la présence de
myosine II et bougent de façon centripète à partir de la périphérie cellulaire
(Burnette et al., 2011; Heath, 1983; Tojkander et al., 2011).
3) Les fibres ventrales sont majoritairement présentes dans les cellules très
étalées, qui migrent peu et lentement. Elles sont composées d’α-actinine et
de myosine II et sont reliées aux adhérences focales par leurs extrémités.
(Burridge, 1981a). Elles naissent de la fusion des fibres dorsales et des fibres
transverses lors de l’étalement ou de la migration (Tee et al., 2015; Tojkander
et al., 2012).
4) Les filaments périnucléaires, un sous-type de fibres ventrales présent
spécifiquement autour du noyau, qui exercent des forces de compression et
de tension via l’interaction aux complexes reliant le nucléosquelette (LINC
pour Linker of Nucleoskeleton and Cytoskeleton) par l’intermédiaire des
nesprines (Khatau et al., 2009; Kutscheidt et al., 2014; Luxton et al., 2010).
Deux types de filaments périnucléaires ont été décrits : le réseau d’actine qui
recouvre le noyau (actin cap), observé dans des cellules stationnaires ou lors
de la migration (Khatau et al., 2009), et les lignes d’actine associées au noyau
(transmembrane actin-associated nuclear TAN lines) qui sont
perpendiculaire à l’axe de migration de cellules mésenchymateuses (Luxton
et al., 2010).
Figure 8 : Les trois types de fibre de stress rencontrés dans une cellule.
A. On retrouve les arcs transverses, les fibres dorsales, les fibres ventrales et l’actine cap périnucléaire. B. En jaune : une fibre transverse, en rouge : une fibre dorsale, et vert : une fibre ventrale. D’après Tojkander et al., 2012.
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La génération de forces par les fibres de stress est réalisée de deux manières : i)
la polymérisation de l’actine contre la membrane cellulaire, qui permet de générer
suffisament de force pour la formation de protrusions membranaires pendant, par
exemple, la migration. ii) L’association de ces polymères d’actine avec la myosine II
pour générer des structures contractiles dépendant de l’ATP (Tojkander et al., 2012).
La nucléation et l’élongation de l’actine globulaire (actine G) en actine fibrillaire (actine
F) est assurée par trois groupes de protéines : le complexe actin-related protein 2/3
(ARP2/3), spécialisé dans la polymérisation de l’actine branchée à 70° (Blanchoin et
al., 2000; Mullins et al., 1998), les protéines Spire (Baum and Kunda, 2005; Ducka et
al., 2010) et les formines (Schönichen and Geyer, 2010). La nucléation correspond au
regroupement des trois premiers monomères d’actine G. L’élongation de l’actine F par
polymérisation s’effectue au niveau de l’extrémité « barbée » ou (+) et la dissociation
en monomère d’actine G s’effectue au niveau de l’extrémité « pointue » ou (-)
(Campellone and Welch, 2010). La polymérisation de ces différents types de fibres de
stress est interdépendante car l’abolition de la formation de l’une empêche la formation
des autres (Tee et al., 2015).
Ces structures filamenteuses d’actine-F sont des structures centrales de la
réponse aux forces mécaniques et sont ainsi retrouvées principalement dans les cellules
exposées à de fortes contraintes comme l’augmentation de la rigidité de la MEC (figure
9), l’exposition à des fortes contraintes hémodynamiques (White et al., 1983; Wong et
al., 1983), ou encore en réponse à l’étirement cyclique (Peterson et al., 2004).
Figure 9 : Le cytosquelette d'actine en réponse à la rigidité. A gauche, des fibroblastes sont cultivés sur une MEC de 5 kPa (forte compliance) et présentent peu de fibres de stress qui sont moins bien organisées en comparaison avec les fibroblastes cultivés sur une MEC de 2 MPa (faible compliance), à droite. D’après Prager-Khoutorsky et al., 2011.