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TITRE II : LA MISE EN ŒUVRE DE LA PROTECTION CONTRE LE

Section 1- La Loi sur les normes du travail

§ 1. Le nouveau recours

A) Les conditions d’ouverture

Le nouveau recours prévu à la LNT ne s’applique pas à tous, contrairement à la croyance populaire. Il emporte certaines conditions d’ouverture. Premièrement, la LNT s’applique seulement aux employeurs soumis à la juridiction provinciale226. Deuxièmement, les dispositions qui prévoient que le salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique, d’une part, et qui attribuent à cet égard une responsabilité à l’employeur, d’autre part, font entrer en jeu la notion de « salarié » au sens de la LNT227. Cette notion est définie à l’article 1(10) :

« salarié » : une personne qui travaille pour un employeur et qui a droit à un salaire ; ce mot comprend en outre le travailleur partie à un contrat en vertu duquel :

i- il s’oblige envers une personne à exécuter un travail déterminé dans le cadre et selon les méthodes et les moyens que cette personne détermine ; ii- il s’oblige à fournir, pour l’exécution du contrat, le matériel, l’équipement, les matières premières ou la marchandise choisis par cette personne, et à les utiliser de la façon qu’elle indique ;

iii- il conserve, à titre de rémunération, le montant qui lui reste de la somme reçue conformément au contrat, après déduction des frais d’exécution de ce contrat ;

Étant donné que le salarié est celui qui reçoit un salaire, les bénévoles sont exclus de l’application de la loi. Il en est généralement de même des gardiens, des entrepreneurs indépendants et des étudiants228. Les salariés du secteur de la construction régis par la Loi

sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction et les cadres supérieurs sont aussi exclus de l’application

226 Lafond et Provencher Employeur, supra note 152, à la p. 1. 227 Art. 81.19 L.N.T.

de la loi. Toutefois, certaines dispositions s’appliquent à ces salariés exclus, dont celles portant sur le harcèlement psychologique au travail229.

Bref, la notion de « salarié » s’applique à la situation classique d’emploi où il existe un lien de subordination avec l’employeur et à la situation de l’entrepreneur dépendant230. Pour distinguer l’entrepreneur indépendant du salarié ou de l’entrepreneur dépendant, la jurisprudence a établi trois facteurs : la prestation de travail, la rémunération et la subordination juridique. C’est le dernier élément qui, dans la plupart des cas, est déterminant231. Néanmoins, la Cour suprême est d’avis que les autres éléments ne doivent pas être mis de côté, favorisant ainsi une approche globale pour déterminer le véritable employeur dans une relation tripartite. Il est possible que cette conception soit appliquée, par analogie, lors de la détermination du statut de salarié :

En résumé, le Tribunal du travail a majoritairement énoncé qu’un critère important pour identifier l’employeur dans une relation tripartite était celui de la subordination juridique. Plus précisément, le Tribunal a insisté sur le fait qu’il est important de déterminer quelle partie exerce le contrôle le plus direct sur l’employé temporaire au niveau de son travail quotidien. Toutefois, il est primordial de souligner que le Tribunal du travail, dans chacun des cas cités, n’a jamais réduit son analyse à l’examen du seul critère de la subordination juridique. Chaque décision était fondée sur une appréciation complète de la preuve et la prise en considération des autres facteurs reliés à la relation employeur-salarié, telle la rémunération. Plusieurs juges du Tribunal du travail ont certes accordé un poids prépondérant au critère de la subordination juridique alors que, comme je le proposerai plus tard, une approche plus globale est plus appropriée dans le cadre d'une relation tripartite.

[…]

229 Art. 3.1 L.N.T.

230 Robert P. Gagnon, Le droit du travail du Québec, 5e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2003, au par. 185;

Nathalie-Anne Béliveau, Les normes du travail, Cowansville, Yvon Blais, 2003, aux pp. 28 et suiv. Voir pour l’entrepreneur dépendant : Services financiers FBN inc. c. Chaumont, [2003] R.J.Q. 365 (C.A.) (autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée).

231 Bélanger et Axios inc., D.T.E. 2004T-510 (C.R.T.) (entrepreneur indépendant); Renaud et Gestion D.M.

Roy inc., D.T.E. 2004T-509 (C.R.T.) (salarié); Québec (Commission des normes du travail) c. Les importations Jacsim inc., [2000] R.J.D.T. 177 (C.Q.). Pointe-Claire (Ville de) c. Québec (Tribunal du travail), [1997] 1 R.C.S. 15, aux par. 1044 et 1047.

Je suis d'accord avec l’approche plus globale proposée par le juge Grenier dans Vassart afin d’identifier le véritable employeur dans des relations tripartites.

[…]

Selon cette approche plus globale, les critères de la subordination juridique et de l’intégration dans l’entreprise ne devraient pas être utilisés comme des critères exclusifs pour déterminer le véritable employeur. À mon avis, dans un contexte de rapports collectifs régis par le Code du travail, il est primordial que l’employé temporaire puisse négocier avec la partie qui exerce le plus grand contrôle sur tous les aspects de son travail -- et non seulement sur la supervision de son travail quotidien. De plus, lorsqu’un certain dédoublement de l’identité de l’employeur se produit dans le cadre d'une relation tripartite, l’approche plus globale et plus souple a l’avantage de permettre l'examen de la partie qui a le plus de contrôle sur tous les aspects du travail selon la situation factuelle particulière à chaque affaire. Sans établir une liste exhaustive des éléments se rapportant à la relation employeur-salarié, je mentionnerai à titre d’exemples, le processus de sélection, l’embauche, la formation, la discipline, l’évaluation, la supervision, l’assignation des tâches, la rémunération et l’intégration dans l’entreprise.232

La subordination juridique se mesure principalement selon le contrôle exercé par l’employeur, c’est-à-dire « la détermination par une partie et l’acceptation par l’autre d’un

« cadre de travail »233. Plusieurs éléments ont été déterminés par la jurisprudence comme étant des indices du lien de subordination. Aucun de ces éléments n’est déterminant en soi, mais la présence d’un nombre important de ceux-ci permet de conclure au statut de salarié234.

Pour déterminer s’il s’agit d’un salarié, d’un travailleur indépendant ou autonome ou d’un entrepreneur dépendant, les principaux critères sont :

1) L’existence de l’élément de profit ou du risque de perte; 2) L’obligation de rendement et de production;

3) La façon dont quelqu’un peut être embauché ou congédié;

232 Pointe-Claire, ibid, aux par. 43, 47 et 48.

233 Lamarche et Service d’interprétation visuelle tactile, [1998] R.J.D.T. 722 (C.T.). 234 Québec (Commission des normes du travail) c. Paquette, [2000] R.J.D.T. 169 (C.Q.).

4) Le lien de préposition, de subordination;

5) Lorsqu’une personne, dans l’exécution de ses fonctions, peut, par sa faute, erreur ou négligence, entraîner la responsabilité de celui qui le paie; 6) Lorsque la marchandise ou les instruments de travail sont fournis à l’employé par l’employeur;

7) L’obligation d’aviser s’il y a absence du travail;

8) L’obligation de faire rapport, que ce soit chaque jour, semaine ou mois; 9) L’obligation de faire le travail soi-même et non par d’autres;

10) Le comportement employeur-employé relativement à l’assurance- chômage, la Régie des rentes du Québec, les plans d’assurance-maladie.235

Bref, l’employeur a plus de contrôle sur le travail du salarié que sur celui de l’entrepreneur indépendant.

Troisièmement, l’article 81.19 de la LNT parle de milieu de travail. Cette notion « s’entend

non seulement du lieu physique où le salarié travaille, mais aussi de tout lieu où celui-ci peut être appelé à travailler en fonction de son emploi »236. En conséquence, le harcèlement peut provenir de l’employeur, de collègues de travail, d’un tiers ou encore de la clientèle de l’employeur237. Il peut aussi se manifester lors de conférences ou de formation auxquelles participe un employé, ainsi que lors de dîners d’affaires et dans bien d’autres situations.

B) La procédure

Pour les salariés satisfaisant aux conditions d’ouverture du recours en vertu de la LNT, la

CRT a une compétence exclusive en matière de harcèlement psychologique au travail. À cet

égard, le cas des salariés syndiqués commande cependant des nuances importantes qui

235 Commission des normes du travail c. Girard, D.T.E. 99T-774 (C.Q.) (Azimut), à la p. 3; Poitras c.

Ultramar Ltée, D.T.E. 2003T-723 (C.R.T.).

236 Poirier et Rivest Développements récents, supra note 80, à la p. 217.

237 Caisse populaire Desjardins d’Amqui, supra note 161; Bushey c. Sharma, D.T.E. 2004T-326 (T.C.D.P.);

Linch c. Ministère du solliciteur général du Canada, [1987] C.A.L.P. 590; Services correctionnels du Canada c. L. (B.), [1993] B.R.P. 369. Voir le site internet de la Commission des normes du travail : http://www.cnt.gouv.qc.ca/fr/site_hp/loi/normes.asp (consultée le 7 janvier 2005).

seront faites dans les pages suivantes238. Par l’effet conjugué des articles 123.6, 123.8 et 123.12 de la LNT, un salarié victime de harcèlement psychologique au travail doit faire une plainte à la CNT, plainte qui sera déférée à la CRT à la fin de l’enquête si elle s’avère fondée. Par la suite, l’article 123.14 nous réfère au Code du travail [ci-après CT] concernant la compétence de la CRT. C’est donc finalement l’article 114 du CT qui précise l’exclusivité de la compétence de la CRT pour les recours formés en vertu de l’annexe I, dont celui concernant le harcèlement psychologique au travail :

Loi sur les normes du travail :

123.6. Le salarié qui croit avoir été victime de harcèlement psychologique peut adresser, par écrit, une plainte à la Commission. Une telle plainte peut aussi être adressée, pour le compte d’un ou de plusieurs salariés qui y consentent par écrit, par un organisme sans but lucratif de défense des droits des salariés.

123.8. Sur réception d'une plainte, la Commission fait enquête avec diligence. Les articles 103 à 110 s’appliquent à cette enquête, compte tenu des adaptations nécessaires.

123.12. À la fin de l’enquête, si aucun règlement n’intervient entre les parties concernées et si la Commission accepte de donner suite à la plainte, elle la défère sans délai à la Commission des relations du travail.

123.14. Les dispositions du Code du travail (chapitre C-27) relatives à la Commission des relations du travail, à ses commissaires, à leurs décisions et à l’exercice de leur compétence, de même que l’article 100.12 de ce code s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, à l’exception des articles 15 à 19.

Code du travail :

114. La Commission [des relations de travail] est chargée d’assurer

l’application diligente et efficace du présent code et d’exercer les autres fonctions que celui-ci et toute autre loi lui attribuent.

Sauf pour l’application des dispositions prévues aux articles 111.0.1 à 111.2, 111.10 à 111.20 et au chapitre IX, la Commission connaît et dispose,

238 En vertu des articles 123.12 et 123.14 de la Loi sur les normes du travail ainsi que de l’article 114 du Code

à l’exclusion de tout tribunal, d’une plainte alléguant une contravention au présent code, de tout recours formé en application des dispositions du présent code ou d’une autre loi et de toute demande qui lui est faite conformément au présent code ou à une autre loi. Les recours formés devant la Commission en application d’une autre loi sont énumérés à l’annexe I. À ces fins, la Commission exerce les fonctions, pouvoirs et devoirs qui lui sont attribués par le présent code et par toute autre loi.

ANNEXE I

RECOURS FORMÉS EN VERTU D'AUTRES LOIS

En plus des recours formés en vertu du présent code, la Commission connaît et dispose des recours formés en vertu:

[…]

15° des articles 86.1, 123.4, 123.9, 123.12 et 126 de la Loi sur les normes

du travail ( chapitre N-1.1);

[…] (Nos soulignements)

Dès lors, les nouvelles dispositions de la LNT accordent une compétence exclusive à la CRT en ce qui concerne le harcèlement psychologique au travail des salariés visés par cette loi. Toutefois, les salariés syndiqués, y compris ceux de la fonction publique provinciale, devront porter leur recours devant l’arbitre de grief en raison de l’intégration des dispositions de la LNT concernant le harcèlement psychologique au travail dans toutes les conventions collectives239. Cependant, les employés de la fonction publique qui ne sont pas syndiqués devront plutôt exercer leur recours devant la Commission de la fonction publique [ci-après CFP], puisque les dispositions concernant le harcèlement psychologique au travail font partie des conditions de travail de la Loi sur la fonction publique [ci-après LFP]240

239 Art. 81.20 al. 1 et 3 L.N.T. 240 Art. 81.20 al. 3 L.N.T.

Un salarié non syndiqué, victime de harcèlement psychologique, qui ne travaille pas dans la fonction publique peut porter plainte à la CNT dans les 90 jours de la dernière manifestation du harcèlement241.

Lorsqu’une plainte est portée, la CNT doit d’abord en évaluer la recevabilité, savoir si le plaignant est un salarié au sens de la LNT, s’il est couvert par une convention collective, si l’entreprise pour laquelle il travaille est de juridiction provinciale et si le délai est respecté242.

À ce stade, si la plainte est jugée non recevable par la CNT, le salarié peut demander une révision puisqu’il s’agit d’une décision administrative243. Lorsque la révision ne lui est pas accordée, il peut toujours faire une demande écrite à la CNT pour déférer sa plainte directement à la CRT244.

Si la plainte est jugée recevable, la CNT doit faire enquête de façon diligente245. À tout moment en cours d’enquête, les parties peuvent demander la médiation par le Ministère du

travail246. Lorsque aucun règlement n’intervient et que l’enquête révèle que la plainte est

fondée, la CNT défère la plainte à la CRT et elle peut y représenter le salarié247. La décision rendue par la CRT est sans appel248. Par contre, si la CNT juge que la plainte n’est pas fondée, elle en avise le salarié, qui peut demander la révision de cette décision249. Lorsque le résultat n’est pas à sa satisfaction, il peut demander que sa plainte soit déférée à la

CRT250. Par contre, dans ce cas, la CNT ne représentera pas le travailleur devant la CRT. La procédure peut donc se représenter ainsi :

241 Art. 123.6 et 123.7 L.N.T. Étant donné que ce recours n’est pas rétroactif, le délai de 90 jours ne peut

commencer à courir qu’à compter de la date d’entrée en vigueur de la disposition, soit le 1er juin 2004 :

Lafond et Provencher Employeur, supra note 152, à la p. 48; Trudeau, supra note 210, au par. 40.

242 Lafond et Provencher Employeur, ibid, à la p. 49.

243 Art. 107 et 107.1 L.N.T.; Lafond et Provencher Employeur, ibid, à la p. 49; Poirier et Rivest Nouvelles

normes, supra note 131, aux pp. 120-121.

244 Art. 123.9 L.N.T. Il pourrait être intéressant de s’interroger sur le traitement de cet article par analogie avec

l’article 84 de la Charte. À ce sujet, la Cour d’appel a interprété le droit de substitution de façon restrictive : Ménard c. Rivet, [1997] R.J.Q. 2108, à la p. 2120 (C.A.).

245 Art. 123.8 L.N.T.

246 Art. 123.10 L.N.T. C’est aussi le cas en France : art. L.122-54 du Code du travail français. 247 Art. 123.12 et 123.13 L.N.T.

248 Art. 123.14 L.N.T. et 134 C.T. 249 Art. 107 et 107.1 L.N.T. 250 Art. 123.9 L.N.T.

Figure 5- Processus de plainte Plainte à la CNT 123.5 Révision administrative 107.1 Évaluation de la recevabilité par la CNT Plainte jugée recevable (a priori) Enquête de la CNT 123.8 Plainte jugée irrecevable (a priori) 106, 107 Médiation possible 123.10 Demande de déférer la plainte à la CRT 123.9 Plainte déférée à la CRT 123.12 Révision refusée Révision acceptée Plainte rejetée Plainte fondée

C) Les particularités de la preuve

Au niveau de la preuve à faire devant la CRT, plusieurs auteurs en soulignent la difficulté :

Le harcèlement est une question de seuil, d’évaluation de l’anormalité du comportement. On quitte alors la question de la matérialité des comportements pour gagner celle de la subjectivité des jugements. C’est en ce sens que le harcèlement moral diffère de beaucoup du harcèlement sexuel, non pas sur un terrain matériel, mais sur le fait que l’essence de l’atteinte est ici immatérielle.251

Il s’agit donc de gestes intangibles dont les seuls témoins sont souvent le harceleur et sa victime. Même s’il existe d’autres témoins, en général, ceux-ci n’osent pas parler, de peur de perdre leur emploi ou de subir le même sort. En droit français, le législateur a adopté, à cet effet, une disposition pour protéger les témoins qui dénoncent le phénomène252. Au Québec, il n’y a pas de disposition spécifique. Par contre, la LNT protège, de façon générale, le témoin contre les représailles253.

De même, le salarié doit prouver qu’il y a harcèlement psychologique. Lorsque cette preuve est faite, l’employeur doit démontrer qu’il a pris les moyens raisonnables pour prévenir et faire cesser cette conduite. Cependant, certains auteurs sont d’avis que :

Même s’il existe des distinctions significatives entre les articles de la LNT et ceux du Code du travail en France, notamment au niveau de la terminologie dans la description de la prohibition de harceler, l’on peut s’attendre à ce que le fardeau initial incombe au plaignant qui devra apporter des preuves factuelles suffisamment crédibles et précises. Quant à l’employeur contre qui la plainte sera logée (sic), il devra de son côté démontrer que les allégués (sic) ne supportent pas la conclusion qu’il y a eu du harcèlement psychologique et de manière générale, démontrer par ailleurs qu’il s’est acquitté de toutes ses obligations.254

251 Charbonneau et Pansier, supra note 108, à la p. 7; Susan Heap, « Le harcèlement d’un salarié non syndiqué

– Y a-t-il un recours? », Mini-Colloque « Les recours en matière de harcèlement et de violence en milieu de travail », Montréal, 8 décembre 2000, Barreau du Québec [Heap].

252 Art. L.122-46 Code du travail français. 253 Art. 122 (2) L.N.T.

Pourtant, le législateur québécois n’a pas cru bon d’édicter une présomption à la faveur de la victime, contrairement à son homologue français :

L. 122-52. - En cas de litige relatif à l’application des articles L. 122-46 et L. 122-49, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. (Nos soulignements)

Ainsi, dans la loi française, le fardeau de preuve de la victime est allégé. Le travailleur doit démontrer des éléments de preuve laissant croire au harcèlement, alors que l’employeur doit prouver qu’il ne s’agit pas de harcèlement, mais bien de décisions justifiées par des éléments objectifs255. Néanmoins, le Conseil constitutionnel256 a émis une réserve d’interprétation concernant cette disposition :

[…] les règles de preuve plus favorables à la partie demanderesse instaurées par les dispositions critiquées ne sauraient dispenser celle-ci d’établir la matérialité des éléments de fait précis et concordants qu’elle présente au soutien de l’allégation selon laquelle la décision prise à son égard constituerait une discrimination en matière de logement ou procéderait d’un harcèlement moral ou sexuel au travail.257 (Nos soulignements)

En d’autres mots, la victime n’est pas dispensée d’établir des faits précis et concordants258. À la suite de cette réserve d’interprétation, le législateur français a modifié la formulation

255 Ravisy, supra note 20; Picca, supra note 153.

256 Le Conseil constitutionnel exerce un contrôle a priori de la légalité de la loi. Les réserves d’interprétation

qu’il émet sont présumées faire partie intégrante de la loi : Jean Pélissier, Alain Supiot et Antoine Jeammaud, Droit du travail, 21e éd., Paris, Dalloz, 2002.

257 Conseil constitutionnel, Décision no 2001-455, dans Cyrille Charbonneau et Frédéric-Jérôme Pansier,

« Présentation de la loi du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques », 27 Les Petites Affiches, 2003.27.4 [Charbonneau et Pansier « Présentation »]. Concernant l’effet d’une réserve d’interprétation, voir Georges Picca et Alain Sauret, « Chronique de droit social », 48 Les Petites Affiches 2002.18 [Picca et Sauret].

258 Picca et Sauret, ibid; Antoine Mazeaud, « Harcèlement entre salariés: apport de la loi de modernisation »,

de la loi en remplaçant « les éléments de fait laissant supposer l’existence du harcèlement » par « des faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement »259.

Compte tenu de la difficulté de prouver le harcèlement, peut-être aurait-il été souhaitable d’édicter une présomption semblable à celle de la loi française. Toutefois, comme la loi québécoise ne contient aucune protection contre les plaintes abusives ― contrairement à la loi française ― il est possible que le silence du législateur québécois sous ce rapport rétablisse, en un sens, un certain équilibre entre les parties, équilibre que l’ajout d’une présomption favorable au salarié risquait peut-être de rompre…

§ 2. Les recours préexistants

A) Les conditions d’ouverture