• Aucun résultat trouvé

4. ANALYSES

4.2. A NALYSE STRUCTURELLE

4.2.1. Logos, titres et sous-titres

- Rubriques des articles de Fox News

Nous nous sommes tout d’abord interrogés aux sections ou thèmes éditoriaux auxquels les 28 articles de notre corpus sont rattachés. Le site de CNN ne référence aucun de ces articles dans une section spécifique (rubriques), contrairement au site Fox News. Nous avons classé les thèmes auxquels les articles Fox News sont rattachés dans le tableau suivant :

Tableau 1. Rubriques des articles Fox News en fonction de la couleur de peau des tireurs

Tireurs noirs Tireurs blancs

Micah X. Johnson: “Police and Law Enforcement” (Fox News 2016a)

Matthew Riehl: “US” (Fox News 2018)

Willie C. Godbolt: “Mass Murder” (Fox News 2017c)

Joseph J. Aldridge: “US” (Fox News 2015a)

Gavin E. Long: “Missouri” (Fox News 2016c)

John R. Houser: “Southeast” (Fox News 2015c)

Nicholas Glenn: “Police and Law Enforcement” (Fox News 2016b)

Ryan E. Giroux: “US” (Fox News 2015b)

Cedric Ford: “Homicide” (Fox News 2016d)

Geddy Kramer: “US” (Fox News 2014b)

Henry Bello: “Crime” (Fox News 2017a) John R. Neumann: “Crime” (Fox News 2017d)

Radee L. Prince: “Manhunt” (Fox News 2017b)

Ivan Lopez: “World” (Fox News 2014a)

Les résultats sont parlants : en effet, le site de Fox rattache quasi systématiquement les articles de (mass) shootings commis par les blancs à des zones géographiques plus ou moins larges (« US », « Southeast », « World » etc.). A l’inverse cependant, les articles concernant les criminels noirs sont quasi-systématiquement rattachés à des thèmes concernant la criminalité tels que : « crime », « mass murder », « manhunt » etc.

Dans le cas de fusillades contre la police, on remarque que deux des trois cas commis par des hommes noirs (Johnson, Long et Glenn) sont rattachés au thème « police and law enforcement », le troisième est rattaché à une localité (« Missouri »), le seul à ne pas être rattaché à un thème évoquant la criminalité. Nous émettons l’hypothèse que ceci peut être expliqué par le titre (et framing général) de l’article (FoxNews 2016), qui identifie avant tout le tueur comme un « ex-marine », soit une fonction particulièrement honorable aux États-Unis, qui vaut à Gavin E. Long de ne pas être associé à un « simple » criminel et assassin. La seule fusillade contre la police opérée par un homme blanc (Riehl) est quant à elle rattachée au thème

« US », catégorie très large et floue.

A l’inverse, il est intéressant de constater que tous les articles conernant les shootings réalisés par des hommes blancs (sauf un) renvoient à des régions géographiques plus ou moins précises.

Le seul article sur un shooting réalisé par un homme blanc rattaché à un thème renvoyant au crime (« Crime ») est celui de John R. Neumann (FoxNews 2017). L’article parle d’un ex-employé renvoyé qui retourne dans son ancienne usine et tue ses anciens collègues. Les raisons de ce choix éditorial (thème « Crime » pour cet article et pas pour un autre homme blanc tireur) ne nous apparaissent pas complètement claires. Il demeure cependant intéressant de remarquer que l’article concernant le shooting par le criminel multi-récidiviste Ryan E. Giroux est également rattaché au thème « US » (alors qu’il aurait par exemple pu être rattaché aux thème

« Crime » ou « Homicide »). Ceci nous mène donc à constater qu’un criminels blanc même

multirécidiviste est avantagé dans sa présentation médiatique, face à un criminel noir ayant un passé criminel moins chargé.

Nous voyons donc que par les choix éditoriaux subtils (rattachement des articles à certains thèmes), nous émettons l’hypothèse qu’il en résulte une surreprésentation d’articles concernant des criminels noirs dans les sections du site internet renvoyant à la criminalité : les crimes commis par des hommes blancs sont référencés selon les zones géographiques (à différents niveaux) où ils ont été commis. Nous postulons qu’il en résulte une impression de fait divers occasionnels par le lecteur qui voit ponctuellement apparaitre des articles concernant des crimes (commis par des blancs) lorsque celui-ci s’intéresse aux articles rattachés à une région géographique. Ceci demanderait cependant à être vérifié avec un corpus plus large étant donné que nous tirons les conclusions présentes à partir de quatorze articles (Fox News).

- Titres des articles de Fox News et CNN

Par la suite, nous nous sommes intéressés aux titres des articles de notre corpus afin d’y déceler d’éventuelles tendances racistes dans la formulation de ces derniers. Nous avons présenté dans le tableau ci-dessous le nombre d’utilisation des différents termes désignant les suspects dans chaque titre d’article de note corpus.

Tableau 2. Occurrence21 des termes dans les titres des articles de CNN et Fox News en fonction de la couleur de peau des tireurs

Tireurs noirs Tireurs blancs

Total

Suspect 4 2 6

Gunman 4 4 8

Missouri man, man, Fedex worker, (name), drifter, ex-marine, cousin, fired worker, doctor

4 6 10

Sniper/Killer 4 0 4

Shooter 1 3 4

21 En valeurs absolues, car le nombre d’article (et donc de titres) et égal pour les suspects noir et blancs.

Nous tenons d’abord à expliquer les deux dernières lignes du tableau où nous avons associé les termes « sniper » et « killer » mais séparés ces deux d’avec le terme « shooter ». En effet, nous avons estimé que dans le contexte dans lequel « sniper » a été utilisé renvoyait à l’idée d’un tueur, insaisissable et agissant dans l’ombre. A l’inverse, nous avons estimé que le terme

« shooter » n’as pas une connotation aussi négative (mais plutôt neutre) dans le contexte américain, où la détention d’armes à feu est légale : les policiers utilisent fréquemment leurs armes et les citoyens utilisant les leurs pour se défendre contre les criminels sont considérés comme de véritables héros. En ressort donc la différence d’occurrence de ces termes en fonction de la couleurs de peau : les hommes noirs utilisant une arme à feu sont criminalisés (renvoi à des termes à connotation négative « sniper »/ « killer ») et les hommes blancs faisant de même ne sont « que » des « shooters », soit une absence supposée de préméditation et d’esprit retord22. Les résultats de ce tableau peuvent d’ailleurs apparaitre encore plus clairement si l’on enlève les cas de Ryan E. Giroux (multi-récidiviste en liberté conditionnelle) et Gavin E. Long (ex-Marine au casier judiciaire vierge), présentés tous deux comme des cas « gris » précédemment.

Tableau 2*. Occurrence des termes dans les titres des articles de CNN et Fox News en fonction de la couleur de peau des tireurs (sans Ryan E. Giroux et Gavin E. Long)

Tireurs noirs Tireurs blancs

Total

Suspect 4 0 4

Gunman 4 4 8

Missouri man, man, Fedex worker, (name), drifter, ex-marine, cousin, fired worker, doctor

2 6 8

Sniper/Killer 3 0 3

Shooter 0 3 3

22 Nous restons cependant conscients que ces conclusions se basent sur de faibles fréquences, et qu’une analyse se basant sur plus de données nous permettrait de vérifier ou pas ce phénomène. Nous remarquerons cependant au cours de l’analyse 2, qu’un certain nombre d’éléments semble aller dans ce sens.

Nous voyons ici que les auteurs noirs sont fréquemment désignés par le terme « suspect », terme qui n’est utilisé qu’une seule fois dans le cas d’un criminel blanc (il s’agit des deux articles concernant Ryan E. Giroux, un criminel reconnu et en liberté conditionnelle au temps de l’attaque).

Dans le cas de Radee L. Prince par exemple, le titre de l’article Fox News est : « Maryland-Delaware shooting suspect caught after 3 killed, 3 other wounded » (Fox News 2017b), là où le titre de l’article concernant Ivan Lopez (également un shooting au lieu de travail) s’intitule :

« Alleged Fort Hood shooter Ivan Lopez had been treated for mental health issues ; kills 3, wounds 16 » (Fox News 2014a). On note les différences suivantes : on insiste sur les problèmes mentaux d’Ivan Lopez (blanc), alors qu’on insiste sur le fait que l’homme noir a été arrêté et est hors d’état de nuire. On retrouve également cette logique dans les cas similaires de Geddy Kramer et Cedric Ford. En effet, dans le cas du tireur blanc, l’article s’intitule: « Police: FedEx worker wounds 6 in Georgia, then kills himself » (CNN 2014b). On remarque ici encore une fois que l’homme n’est pas quelconque : il travaille à FedEx, le lecteur suppose alors que les causes d’un tel acte sont liées au travail du tireur. A l’inverse, le titre concernant le shooting commis par Cedric Ford ne nous donne aucune information sur l’homme, ni sur les raisons de la fusillade : « Kansas shooting : Gunman kills 3, wounds 14 at lawn care company » (CNN 2016c). Nous pourrions encore citer les cas John R. Houser et Nicholas Glenn, le premier étant désigné comme « drifter », autrement dit un « outcast », une personne étrange (« Police say

« drifter » killed 2, injured 9 in Lafayette, La. Movie theater shooting », Fox News 2015c). A l’inverse, l’article concernant Nicholas Glenn s’intitule : « Philadelphia gunman left rambling letter, police commissioner says » (CNN 2016d), ce qui encore une fois ne nous informe strictement pas sur la personne, si ce n’est nous dire qu’elle est incohérente (« rambling »).

Tout au long des titres des articles nous voyons donc que les hommes blancs sont avant tout désignés de manière particularisante, ou en d’autres termes par des mots spécifiques (non génériques), qui contribue à la pensée selon laquelle les hommes blancs qui commettent des fusillades agissent selon des contextes et conditions bien spécifiques, contrairement aux hommes noirs qui commettent des actes similaires sans raisons ni conditions préalables. Nous concluons donc que par ce framing, les cas concernant les shootings opérés par des blancs sont interprétés comme étant rares et particuliers, alors que ceux opérés par les hommes noirs apparaissent génériques.

Ces résultats font remarquablement échos à des recherches menées dans le domaine de la psychologie sociale, et particulièrement des travaux de Lorenzi-Cioldi (2009), dans lesquels il explique qu’un groupe dominant (ici, les blancs) attribuent à chacun de leur groupe une personnalité et des caractéristiques spécifiques. A l’inverse, les personnes considérées comme faisant partie d’un groupe extérieur sont dépersonnalisées et assignées des caractéristiques qui sont collées à l’ensemble du groupe (2009). Ici donc, ceci signifie que l’industrie médiatique (détenue par des hommes blancs) spécifie et particularise des tireurs blancs, ce qui a pour effet de donner l’impression que chaque cas de fusillade est unique. A l’inverse, elle traite (désigne) les tireurs noirs de manière interchangeable, ce qui a pour effet de renforcer le stéréotype ségrégationiste selon lequel les hommes noirs sont dangereux et violents (Crenshaw 1988 :1337).

Nous estimons par ailleurs que ce mécanisme est renforcé par la dissémination fréquente dans les titres d’indices supposant des mobiles pour les hommes blancs (et aucun pour les hommes noirs).

En effet, comme nous l’avons déjà indiqué dans le cas de Ivan Lopez (Fox News 2014a), le titre indique que la santé mentale de l’individu serait probablement en cause da la fusillade. Le cas de John R. Houser (Fox News 2015c), désigné comme « drifter » suppose que l’homme était atypique et étrange, ce qui semble également apporter un début de réponse similaire (de l’ordre du mental) à celui de Ivan Lopez sur les causes de la fusillade. On retrouve également un indice de mobile dans le cas de John R. Neumann : « Sheriff : Fired worker killed 5, shot self as siren neared » (Fox News 2017d). En effet, l’information indiquant le licenciement préalable de l’homme fait émerger un mobile supposé, celui de la vengeance. A l’inverse cette tendance est totalement absente dans les titres des articles où l’auteur de la fusillade est noir.

Au contraire, les titres ont tendance à les présenter comme des personnages suspicieux et retords et même dangereux comme dans les titres suivants : « Dallas sniper who gunned down 5 cops

« wanted to kill white people », chief says » (Micah X. Johnson, Fox News 2016a),

« Philadelphia gunman left ramling letter, police commissioner says » (Nicholas Glenn, CNN 2016d), « Kansas gunman killed 3 after being served retraining order, cheriff says » (Cedric Ford, Fox News 2016d). Si donc les informations données dans les titres ont tendance à déculpabiliser les hommes blancs, celles-ci incrimineront au contraire les noirs, comme nous le constatons ci-dessus.

Face à ces éléments évoqués, nous supposons donc que de tels titres contribuent du moins inconsciemment au renforcement de l’image de l’homme noir dangereux, irrationnel et vicieux, opposé à l’homme blanc qui n’agit pas de manière cachée (ou suspecte) et rationnel. S’ensuit donc la pensée en filigrane : « il faut craindre les hommes blancs qui ont une raison de devenir violent à notre encontre (problèmes mentaux, licenciés…), et il faut craindre les hommes noirs tout court (quels qu’ils soient) ».

Aucun des articles étudiés ne disposaient de sous-titres. Ils disposaient cependant pour la plupart des titres de sous-sections (excepté sur le site Fox News) que nous allons étudier dans un dernier temps.

- Sous-titres des articles CNN

Ce que nous remarquons dans l’analyse des titres de paragraphes des articles où les tireurs sont noirs, c’est l’accent sur la préméditation des actes. En effet, dans le cas de Nicholas Glenn qui a tendu un piège à la police, un paragraphe de l’article s’intitule « Cornered in an alley » (CNN 2016d) alors que par exemple pour le cas de Matthew Riehl qui avait également piégé la police, aucun titre de paragraphe n’évoque ce fait. Le titre d’un paragraphe décrivant le modus operandi de Micah X. Johnson s’appelle « Well-planned attack » (CNN 2016b) et aucun paragraphe d’article concernant un tireur blanc n’a un titre similaire, alors qu’il semble évident que certains des criminels blancs ont eux aussi planifié leur fusillade (par exemple John Russel Houser pour lequel il est dit : « this wasn’t a spontaneous act », CNN 2015b). On retrouve encore cette idée dans la description de l’attaque des victimes dans le cas de Radee L. Prince, paragraphe qui se nomme « Police : Six victims were targeted » (CNN 2017c). Ce qui est particulièrement intéressant, ce n’est pas seulement que ces sous-titres soulignent l’intentionnalité des tueurs, mais aussi et surtout que l’intentionnalité est absente de tous les autres titres de paragraphes des articles écrits à propos fusillades opérées par des hommes blancs.

A l’inverse, dans le cas des articles où l’auteur des crimes est blanc, nous remarquons une redondance de titres de paragraphes concernant les victimes et évoquant la tristesse et l’effroi, comme on le voit par exemple dans le cas de Matthew Riehl. En effet, le titre du paragraphe parlant des victimes (reprenant les mots du Sheriff) s’intitule « A tragic day that we will be feeling for a long time » (CNN 2018). On retrouve également un cas similaire dans le titre du paragraphe évoquant les victimes de John R. Houser, qui s’appelle « Time for recorvery,

mourning » (CNN 2015b). Un dernier exemple que nous citerons pour illustrer nos propos est celui de l’article évoquant la fusillade causée par Joseph J. Aldridge, dans lequel deux paragraphes (l’un introduisant les propos du gouverneur exprimant ses condoléances et l’autre parlant du choc du Sheriff concernant la situation) ont respectivement pour titres « Senseless horror » et « Losing count » (CNN 2015c).

S’ensuit donc l’impression que les shootings sont fréquemment perpétrés par les noirs (ce qui est faux car la majorité des mass shootings que nous avons recensés ont été perpétrés par des hommes blancs). Si donc les sentiments évoqués face à des actes similaires (shootings) sont du ressort de la tristesse et de la stupeur lorsque les suspects sont blancs, ils sont avant tout du ressort du blâme (responsabilité) voire de la colère lorsque ceux-ci sont noirs. En effet, lorsqu’interrogé sur le futur de la communauté, le Sheriff dans le cas du tireur noir Cedric Ford affirme « this will take some time » (titre du paragraphe, CNN 2016c), évoquant davantage une certaine rancune que de la tristesse.