• Aucun résultat trouvé

2 4 L’identification des mots écrits

2.4.2.1 Localisation des aires cérébrales du langage au XIX ième siècle

Dès 1861, un neurochirurgien français, Paul Broca (1824-1880), fut le premier à localiser dans le cerveau ce qu’il appelait « la faculté du langage articulé ». Il rap- porte une étude post-mortem d’un patient ayant des problèmes d’articulation et d’expression du langage, sans paralysie des muscles bucco-phonatoires, et avec une compréhension relativement épargnée (Broca 1861). Ce patient avait, entre autres, une lésion corticale située dans le tiers inféro-externe du cortex pré-moteur consti- tuée du pied et du cap de la troisième circonvolution frontale gauche (gyrus frontal postérieur inférieur gauche, correspondant aux aires de Brodmann BA 44/45) (voir figure 2.10. L’aire décrite, appelée depuis « aire de Broca », fut associée par déduc- tion à la production de la parole. On lui attribue généralement un rôle central dans l’organisation articulée du langage oral. La destruction complète ou partielle de cette zone, souvent accompagnée de lésions des aires adjacentes, entraîne une aphasie de Broca ou aphasie motrice. Dans ce type d’aphasie, la compréhension du langage oral et écrit est relativement préservée tandis que l’expression est labo- rieuse : le débit est ralenti, le vocabulaire est restreint, l’articulation est difficile et les structures grammaticales sont simplifiées ou absentes (agrammatisme).

Quelques années plus tard, Carl Wernicke (1848-1905) identifia par une étude post- mortem une deuxième aire apparemment dédiée au langage. Ce neurologue alle- mand présenta le cas d’un patient aphasique avec un déficit touchant principale- ment la compréhension du langage (Wernicke 1874). La lésion fut identifiée dans le cortex associatif auditif, en dessous et en arrière du cortex auditif primaire. Cette zone, appelée aujoud’hui « aire de Wernicke » est constituée de la moitié posté- rieure de la 1ère circonvolution temporale gauche (BA 22) ainsi que du « planum temporale » (BA 42). Toutefois, la taille et la délimitation de cette zone peuvent varier sensiblement d’un individu et d’un auteur à l’autre. Cette aire est consi- dérée comme mettant en oeuvre un mécanisme central dans la compréhension du langage et comme lieu de stockage de la forme phonologique des mots. Sa perte en- traînant une aphasie de Wernicke ou aphasie sensorielle, caractérisée par un déficit du décodage des informations verbales et par un désordre expressif. La production orale est entâchée de nombreuses paraphasies, souvent de type phonémique mais sans altération de l’articulation.

Par ailleurs, Wernicke postula l’existence d’une connexion directe entre les aires de Broca et Wernicke, et qu’une lésion de la matière blanche connectant ces deux aires cérébrales provoquerait une incapacité à répéter les mots entendus, mais avec

une compréhension et une production de la parole intactes. Ce type de syndrome de dysconnexion, appelé « aphasie de conduction », fut rapporté par le médecin allemand Ludwig Lichtheim en 1885 (Lichtheim 1885).

Une connexion privilégiée entre le lobe frontal postérieur et le lobe temporal supé- rieur avait déjà été décrite par Karl Burdach (médecin allemand), et fut confirmée ensuite par Joseph Déjerine (neurologue français) qui nomma ce « chemin » le fais- ceau arqué de Burdach (Déjerine, 1892). En 1885, Lichtheim proposa aussi une extension du modèle existant « Broca - faisceau arqué - Wernicke », grâce à l’ob- servation de différents symptômes d’aphasie. Il fit l’hypothèse d’une « voie » ad- ditionnelle entre les aires de Broca et Wernicke au travers d’un troisième « centre » théorique, dédié au traitement sémantique : le « concept center ».

En ce qui concerne la lecture, Déjerine(1849-1917) fut le premier à publier deux cas de patients souffrant d’alexie à la suite d’accidents vasculaires cérébraux. L’un avait perdu totalement les capacités de compréhension et d’expression du langage écrit (Déjerine 1891) à la suite d’une petite lésion, « pas plus grosse qu’une pièce de 5 francs » à la jonction temporo-occipitale de l’hémisphère gauche (région dé- nommée gyrus angulaire). Déjerine proposa donc que le gyrus angulaire gauche est associé à la mémoire des formes visuelles des mots. L’autre sujet présentait également une perte de la compréhension du langage écrit mais chez celui-ci, la capacité d’écriture était préservée. Etant donné que l’orthographe des mots n’était pas affectée, Déjerine fit l’hypothèse que le gyrus angulaire n’était pas lésé mais qu’il était privé d’afférences visuelles. En effet, l’atteinte fut localisée, post-mortem, au niveau du cortex occipital interne gauche et à la partie la plus ventrale du splé- nium du corps calleux. Déjerine parla pour ce patient de « cécité verbale pure ». Par la suite, ces tableaux furent appelés alexies avec ou sans agraphie, et cette dernière fut attribuée à une dysconnexion entre le gyrus angulaire gauche et le cortex visuel (Damasio et Damasio 1983).

Ces différentes observations permirent de mettre en évidence que la répétition de mots entendus impliquerait des traitements acoustiques dans le cortex auditif pri- maire, la connexion aux images auditives de la parole dans l’aire de Wernicke et aux images motrices de la parole dans l’aire de Broca, et enfin la génération de la parole dans le cortex moteur (gyrus précentral). La lecture d’un mot impliquerait quant à elle le cortex visuel pour le traitement visuel, et le gyrus angulaire, siège de la mémoire des formes visuelles des mots. Les connexions entre le gyrus angulaire et l’aire de Wernicke permettraient de faire le lien entre la forme visuelle d’un mot

Figure 2.10 – Principales aires cérébrales du langage situées dans l’hémisphère gauche

et la forme auditive correspondante, indispensable à la production de parole lors de la lecture à voix haute, sous-tendue par l’aire de Broca (Geschwind 1965).