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Un livre parfait pour s’évader

Il n’existe pas de recette ou de formule magique pour concocter un roman à succès pour adolescents ; cependant, certains thèmes sont souvent les prémices d’un « bon livre » au point de devenir des clichés.

Le « petit promis à un grand avenir »

Un de ces clichés est « le petit destiné à de grandes choses ». Le fait de suivre les aventures d’un héros timide, maladroit et qui manque de confiance en lui est un topos de la littérature en général. Il n’est donc pas étonnant que cette recette séduise également le lectorat adolescent. Heidi, Anne, Bastien et Harry se moulent parfaitement dans ce stéréotype. Aucun d’eux ne vient d’un milieu privilégié, tout au plus Bastien et Harry appartiennent à la classe moyenne de leur temps et de leur monde. Mary est — au sens propre — le vilain petit canard, son seul atout est d’appartenir à l’aristocratie anglaise.

Le lecteur se plaît à suivre ces héros-là. Il est non seulement facile, mais en plus attendu de s’y identifier. De plus, la particularité même de la jeunesse est de croire que tous les rêves sont possibles et réalisables. L’adolescent qui lit ces œuvres aime à se projeter comme quelqu’un d’accompli dans sa future vie. De plus, le mérite et le succès sont d’autant plus admirables que les chances de réussite au départ sont minces. C’est pourquoi d’autres « défauts » s’ajoutent à la liste de caractéristique du « petit ».

Le solitaire

Outre la timidité, la maladresse, et le manque de confiance en soi, nos héros cumulent également la solitude et le goût de la lecture. Or pour les adolescents, être un « intello » n’est pas perçu comme une qualité. Aussi les orphelins souffrent-ils des critiques de leurs pairs. Nos cinq protagonistes se sont habitués à être les boucs émissaires de leurs camarades (Mary, Harry et Bastien), à essuyer les moqueries (Anne, Mary, Harry et Bastien) et à accuser les coups (Harry et Bastien). Ils sont des exclus, ils n’ont pas d’amis. Nous insistons là-dessus : ce n’est pas qu’ils ont peu d’amis, mais pas d’amis du tout. Aucun des cinq héros n’a partagé l’amitié de quelqu’un avant le début de l’histoire. Et les deux amies imaginaires d’Anne ne comptent pas, car l’affection n’est partagée que dans un sens. Dans les années 1990, la pression sociale est si forte, que ne pas avoir d’amis pendant les dix premières années de sa vie est considéré comme un échec par soi-même, par sa famille et par ses camarades de classe. La solitude est mal vue. Or, déjà à l’adolescence, les jeunes se lient et se délient d’amitié en passant parfois par des périodes de solitude. La lecture est alors une revanche sur les disputes de la vraie vie. Les livres sont un refuge, une échappatoire. Et dans les moments de faiblesse ou de remise en question, l’identification aux héros joue un rôle providentiel.

L’ambitieux

Ajoutons un dernier élément d’identification qui est un stéréotype par excellence : l’espoir de changer le monde. Tous nos jeunes sont avides d’accomplir des exploits. Cet espoir est leur moteur d’actions pour avancer. Harry, qui ne se souvient pas de ce pourquoi il est célèbre, veut gagner l’estime de ses camarades par le sport. Faire remporter la victoire à son équipe de Quidditich est une réussite personnelle qui n’a rien à voir avec sa célébrité :

Jamais il ne s’était senti aussi heureux. Cette fois, il avait véritablement accompli quelque chose dont il pouvait être fier. Plus personne ne pouvait dire qu’il n’était qu’un célèbre nom, rien de plus.

Harry Potter, p. 222

Mary veut être celle qui a retrouvé le jardin en secret et qui l’a ramené à la vie. Heidi veut être celle qui ramène le grand-père bourru parmi les hommes. Anne veut être la meilleure élève et étudiante de l’Ile-du-Prince-Edouard. Et Bastien veut être le sauveur du Pays Fantastique. Tous veulent et revendiquent — certes avec modestie — l’exclusivité de leurs prouesses. Etre

le meilleur, tel est l’ambition de tout lecteur quel que soit le domaine. Et non seulement accomplir de grandes choses, mais en plus contribuer à son échelle à changer le monde. Cette volonté est un puissant vecteur d’identification du lecteur adolescent qui se cherche encore et qui ne sait dans quelles voies s’engager.

La musique et la littérature de jeunesse

Les cinq romans de notre corpus sont parfaits pour rêver et s’évader. Dans le cadre d’un séminaire sur la rhétorique des arts, nous avons travaillé sur la musique dans la littérature de jeunesse. A l’occasion, nous avons analysé la place et le rôle de celle-ci dans notre corpus. Les prémices de ce séminaire posaient comme hypothèse que la musique était l’art suprême (au dessus de tous les autres dont la littérature) par lequel l’évasion et l’accession à un au-delà était possible. Il est donc possible, ou pas impossible, que les références à la musique dans nos romans jouent également ce rôle d’évasion. Nous ne nous attardons pas sur l’analyse, nous préférons simplement rapporter nos conclusions. Dans Anne, Le Jardin secret et Heidi, la musique est surtout celle de la nature (vent dans les arbres, chant des oiseaux, et orchestre imaginaire pour dépeindre la beauté du paysage). Mais elle peut également être synonyme de fête. Par exemple dans les épisodes de la cérémonie de bienvenue et la soirée de Noël dans

Harry Potter, dans les récitals d’Anne, dans la pause récréative de Heidi et Clara. Malgré

notre relevé méticuleux des occurrences sur la musique dans nos œuvres et notre analyse, nous nous devons de constater qu’en réalité les livres sont assez silencieux. Il n’est que peu question de musique ou d’un quelconque paysage sonore. Est-ce parce que ces romans sont destinés à la jeunesse ? ou est-ce une coïncidence due au corpus ?

Nous n’avons pas la réponse. Toujours est-il que nous nous devions de rapporter ce travail de recherches, même s’il ne débouche sur aucune conclusion concrète. Retenons simplement qu’il n’est pas impossible que l’évasion du lecteur et donc son identification aux héros soient liées inconsciemment à la musique (musique dans le texte et musique du texte).

Ainsi, nos cinq romans de jeunesse remplissent leur pacte de lecture, à savoir ils permettent aux lecteurs de s’évader de leurs tracas quotidiens le temps de la lecture. Pour cela, de nombreux stéréotypes de la littérature sont utilisés, l’identification des lecteurs n’en est que plus intense et efficace.