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L’orphelinisme selon les personnages adjuvants

Nous avons vu le silence ou la discrétion des orphelins sur leurs propres situations familiales, à présent concentrons-nous sur l’orphelinisme vu par les personnages secondaires32. Il peut s’agir de remarques sur l’origine douteuse de l’enfant ou sur son caractère potentiellement dangereux ou anormal. La rumeur précède souvent la rencontre de l’orphelin, et fréquemment les commentaires sont loin d’être flatteurs.

L’adoption synonyme de danger

En effet, la première réaction à l’égard des orphelins est la méfiance. L’incipit d’Anne… La

Maison aux pignons verts s’ouvre sur la visite de Mme Rachel Lynde à Marilla, c'est-à-dire de

la commère du village à la femme qui s’apprête à adopter un enfant. Marilla n’ayant pas demandé l’avis de son amie quant à cette adoption se voit raconter une multitude d’histoires macabres sur des orphelins qui ont assassiné leurs protecteurs.

[...] « il a incendié leur maison la nuit, il a mis le feu par pure méchanceté, Marilla, et il les a presque grillés tout vifs dans leur lit. » [...] « cet enfant adopté qui gobait des œufs tout crus — ils n’ont jamais réussi à le débarrasser de cette détestable habitude. », [...] « s’il vide de la strychnine dans le puits » [...].

Vous ne savez pas à quoi vous vous exposez ! Vous amenez un enfant inconnu dans votre maison, dans votre foyer, sans rien savoir de lui, ni de son caractère, ni de quels parents il est né, ni ce qu’il risque de devenir !

Anne, p. 22-25

Avant même de rencontrer Anne, le lecteur s’attend donc au pire. A la suite de Mme Lynde, il se met à douter de la sagesse d’un tel acte qui engage la famille d’accueil à vie. Des a priori, des clichés et des préjugés prennent forme. Mais Marilla persiste dans sa décision, alors l’argument décisif de Mme Lynde est énoncé : l’enfant est-il au moins Canadien ? Autrement dit : il représente un moindre danger si du sang canadien coule dans ses veines. (« Au moins, qu’il soit d’ici », « né au Canada » p. 25)

Contre toute attente, l’adoption d’un enfant devient ainsi un enjeu patriotique. Un inconnu Canadien est moins dangereux qu’un inconnu des Etats-Unis ou de la vieille Europe. Rappelons que l’histoire se déroule entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Les enjeux nationaux sont encore bien vivants à cette époque ; l’Europe traverse alors le Siècle des Nationalismes.

Ceci étant souligné, il n’en demeure pas moins que les a priori de Mme Lynde sur les orphelins sont très négatifs, elle envisage d’entrée de jeu qu’ils soient dangereux, vindicatifs et sauvages.

Ces mêmes clichés sont repris, à moindre échelle certes, par les enfants d’Avonlea (village où se déroule l’histoire) qui s’imaginent rencontrer une ogresse et non une petite orpheline pleine de vie. La rumeur se propage et amplifie les moindres bêtises d’Anne qui devient une légende avant même la rentrée des classes.

Les petites filles d’Avonlea avaient déjà entendu des histoires étranges sur Anne ; Mme Lynde avait raconté qu’elle avait un caractère exécrable ; Jerry Buote, le garçon engagé à Green Gables, prétendait qu’elle se parlait toute seule sans arrêt, ou alors qu’elle parlait avec les arbres et les fleurs, comme une demeurée. Elles la dévorèrent des yeux, donc, et se mirent à bavarder à voix basse, derrière leurs livrets de catéchèse. Aucune d’entre elles n’esquissa de geste amical, même plus tard, lorsque, les premiers exercices terminés, Anne se retrouva dans la classe de Mlle Rogerson. »

Anne, p. 165

La rumeur précède les orphelins

Il en est de même pour Harry, qui est lui aussi précédé par sa propre légende. Où qu’il aille, en particulier dans le premier tome de ses aventures, il est montré du doigt, les têtes se surélèvent pour l’apercevoir, et les discussions s’arrêtent. Harry est le centre de l’attention dès son arrivée dans le monde magique. Même des livres de sorcellerie le mentionnent (p. 109). Ironie du sort, il ne se souvient pas de l’épisode qui l’a rendu célèbre, à savoir la disparition du mage noir Voldemort alors que ce dernier essayait de l’assassiner. Les remarques sur sa célébrité sont très nombreuses dans les livres, et rendent l’orphelin très gêné de la situation. Ce paradoxe rend le héros éponyme d’autant plus charmant aux yeux du lecteur.

— Les Potter, c’est ça, c’est ce que j’ai entendu dire… — Oui, leurs fils, Harry…

Et ces murmures, ces murmures sur les Potter…

Des gens pareils seront incapables de comprendre ce garçon ! Il va devenir célèbre — une véritable légende vivante —, je ne serais pas étonnée que la date d’aujourd’hui devienne dans l’avenir la fête de Harry Potter. On écrira des livres sur lui. Tous les enfants du monde connaîtront son nom !

— Il faut absolument que tu saches qui étaient ton père et ta mère, dit-il. Ils sont célèbres. Et toi aussi, tu es célèbre.

— Quoi ? Mais mon père et ma mère n’ont jamais été célèbres.

[...] Et tu deviendras un sacré bon sorcier dès que tu auras un peu d’entraînement. Avec un père et une mère comme les tiens, ça ne peut pas être autrement.

Les deux frères le regardèrent bouche bée et Harry se sentit rougir.

Harry Potter, p. 8 ; p. 11 ; p. 18; p. 55-56; p. 98

Quand l’orphelinisme devient une insulte

Les réactions des autres personnages à l’orphelinisme des héros sont toujours négatives. Pas une seule fois, un personnage adjuvant ne félicite la famille d’accueil, ou ne reconnaît son courage et son dévouement. Soit l’adoption est désapprouvée, soit la rumeur souille le portrait du nouvel arrivant avant même la première rencontre. Heureusement, les orphelins adolescents parviennent à se faire des amis et à construire un cadre de vie relativement normal assez rapidement, aussi l’orphelinisme en tant que caractéristique première s’efface au profit d’autres qualités. Notons qu’au mieux cette note distinctive est effacée, mais elle n’est jamais valorisée… du moins pas par les personnages, les narrateurs ou les auteurs. Seul le lecteur valorisera ce fait (cf. l’étude de la réception au chapitre IV).

Cependant, à l’image des jalousies non romanesques, il existe également des mauvaises langues qui critiquent les héros orphelins. L’orphelinisme peut devenir une insulte dans la bouche de Josie Pye rivale d’Anne :

[...] orphelines qui vivent de charité [...].

Je lui ai répondu que tu étais une orpheline que les Cuthbert avaient adoptée et qu’on ne savait pas grand-chose sur ton passé, à part ça.

Anne, p. 485 ; p. 558

Ou encore de Drago Malfoy, ennemi autoproclamé d’Harry :

— Si j’étais toi, je serais un peu plus prudent, Potter, dit-il lentement. Si tu n’es pas plus poli, tu vas finir comme tes parents. Eux aussi ont manqué de prudence. Si tu traînes avec la racaille comme les Weasley ou ce Hagrid, ils finiront par déteindre sur toi.

[...] Malfoy se consolait en saisissant toutes les occasions de rappeler que Harry n’avait pas de famille digne de ce nom.

Ils vont chercher les gens qui leur font pitié. Par exemple, ils ont pris Potter parce qu’il n’a pas de parents, les Weasley parce qu’ils n’ont pas d’argent et ils vont surement prendre Neville Londubat parce qu’il n’a pas de cerveau.

Harry Potter, p. 112 ; p. 194 ; p. 221

Tous deux rivaux des héros éponymes, Josie Pye et Drago Malfoy se moquent respectivement de Anne et de Harry qui n’ont pas de famille. Leurs noms les prédestinent d’ailleurs aux médisances. Ces insultes sont récurrentes et extrêmement blessantes pour les adolescents. Elles visent à empêcher leur destinataire à s’intégrer dans un nouveau cercle d’amis (Anne), à le déstabiliser avant une épreuve importante en concentrant son attention sur sa tristesse et non sur les enjeux du moment (Anne et Harry), ou encore à le blesser en sous-entendant que c’est lui qui est responsable de la mort de ses parents (Harry). Ce genre de remarques blessantes est fréquent, elles blessent d’autant plus qu’un petit doute subsiste dans l’esprit des orphelins, et qu’elles reposent sur une vérité : ne pas avoir de famille est un handicap.

Le fait d’être un orphelin est donc une situation difficile pour Anne, Mary, Heidi, Bastien et Harry. Non seulement les différents contextes de l’époque ne jouent pas en leur faveur, mais en plus l’opinion qui circule sur eux est passable. Les auteurs insistent sur ces pénibles circonstances pour faire d’autant plus rebondir leurs héros.

En brossant le portrait de l’orphelin type, nous remarquons donc de nombreuses caractéristiques récurrentes, que ce soit un passé malheureux ou une opinion défavorable à leur sujet. Cependant, les protagonistes parviennent progressivement à conquérir le cœur de leurs voisins. En effet, nos cinq héros trouvent leurs marques dans le monde scolaire, et parviennent à surmonter leurs handicaps en s’entourant de fidèles amis, là encore un schéma- type se répète.

II. L’épanouissement par l’école et l’amitié

Non seulement les orphelins partagent un passé semblable, mais en plus leur présent (voire, leur avenir) comporte de nombreux points communs. Tous s’épanouissent à l’école en s’entourant de fidèles amis.